À Rue, en baie de Somme, un crucifix miraculeux est découvert dans une barque à l'été 1101. Au fur et à mesure des années, et grâce à cette statue, la commune s'enrichit et devient un haut lieu de pèlerinage. Récit.
C'est une légende qui a contribué à l'essor de la ville de Rue et qui, presque un siècle plus tard, se raconte encore aujourd'hui dans la commune. "C'est une histoire connue très localement. Ici, beaucoup d'habitants sont au courant", explique Karine Bellart, agent du patrimoine à la ville de Rue.
Le 1er dimanche d'août 1101, une barque sans voile ni rame s’échoue sur le rivage de la cité. Un crucifix est découvert à son bord. Il aurait traversé la Méditerranée poussé par le souffle du Saint-Esprit.
D'où vient-il ? La légende raconte que Nicodème, disciple du Christ, a sculpté trois statues représentant le Christ sur sa croix. Craignant d’être persécuté, il les cache. Mille ans plus tard, des chrétiens de Jérusalem les découvrent et, pour éviter qu’elles soient dérobées, décident de les abandonner à la mer. C'est comme ça que l’une des barques se serait échouée en Picardie.
À l'époque, cette découverte apparaît comme une bénédiction pour la ville de Rue car au XIIe siècle, le port est en train de disparaître avec l'ensablement. L'activité maritime qui permet à la ville de développer ses commerces est en danger. "Un miracle a lieu. Le cadeau venu de la mer va alors sauver l'économie de Rue et faire sa grandeur, sa richesse", analyse Karine Bellart.
Le crucifix est exposé au sein de l'ancienne église. Les pèlerins s'y succèdent : "Il y avait des messes et des prières. Des familles de marins venaient demander le retour de l’un de leur proche perdu en mer, des personnes demandaient la guérison d’un membre de leur famille, d’autres venaient pour s’amender. Les croyants demandaient la protection du crucifix, au même titre que l’on demande la protection des saints dans une cathédrale."
Une chapelle est construite pour le crucifix
Au vu du nombre important de pèlerins et de l'étroitesse de l'église, un édifice propre au culte du crucifix est érigé : la chapelle du Saint-Esprit. "C’est la dévotion pour ce crucifix qui fait naître la chapelle, c’est un peu la maison du crucifix miraculeux", interprète Karine Bellart.
De petite taille à sa construction, la chapelle n'aura de cesse de s'agrandir entre 1440 et 1525, grâce notamment à de riches donateurs comme Philippe le Bon, le roi de France Louis XI, le duc de Bourgogne et Isabelle de Portugal.
En 1184, les bourgeois achètent le droit de commune. Une fois affranchie, la ville bâtit un beffroi et des fortifications. La cité va aussi voir se développer un Hôtel Dieu et un couvent. Au Moyen Âge, Rue se veut très dynamique.
Qu'est devenu le crucifix ?
À la fin du XVIIIe siècle, la chapelle connaît beaucoup de destructions, le trésor disparaît. Durant cette période révolutionnaire, le crucifix est brûlé sur le parvis. Une habitante de la commune qui assiste à la scène récupère la main droite de la statue, la cache chez elle pendant plusieurs années. Elle finira par rendre la main au clergé quand les hommes seront moins virulents. Aujourd’hui, cette main en bois est placée derrière le maître autel.
Quid des deux autres crucifix de Nicodème ?
Comme la statue de Rue, à Dives-sur-Mer dans le Calvados, le crucifix a été détruit pendant les guerres de religion. Toutefois, à Lucques, en Toscane, la statue, appelée le "Volto Santo" ou "Visage Saint", a été conservée dans son intégralité. Elle est visible dans la cathédrale San Martino. Son pèlerinage a lieu à la mi-septembre.
En Picardie, un pèlerinage avait lieu le dimanche de Pentecôte jusqu'en 2019, mais depuis la pandémie de Covid, les célébrations n'ont pas eu lieu. Néanmoins, la chapelle du Saint-Esprit à Rue est ouverte toute l'année. Des visites scolaires sont aussi organisées : "On reçoit les élèves des deux écoles maternelle et élémentaires, des deux collèges et du lycée professionnel. [...] Les jeunes sont très à l’écoute. Certains émettent des doutes sur la légende. Là, c'est propre à chacun de croire ou de ne pas croire."
Tous les éléments sur la légende du crucifix ont été regroupés dans des documents rédigés par les sociétés savantes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.