L'histoire du dimanche - Ernest Froidure, le pyromane qui a semé la terreur à Villers-Bocage en 1875

Pendant plusieurs mois, entre 1874 et 1875, Villers-Bocage a été le théâtre d'incendies d'origine criminelle. Ernest Froidure, un solitaire à la réputation sulfureuse, est condamné à mort aux Assises de la Somme.

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Il existe peu d'archives sur cette affaire qui a enflammé le village de Villers-Bocage pendant des mois, si ce n'est des coupures de presse de l'époque. Mais dans son livre Les grandes affaires criminelles de la Somme, publié en 2009 aux éditions De Borée, la journaliste Magali Rigaut a retracé le fil de cette sombre histoire.

La terreur des agriculteurs

Tout commence le jour du réveillon de Noël, en 1874, lorsqu'un incendie ravage deux granges appartenant à un cultivateur, Jean-Baptiste Payen. "La perte que causa ce sinistre, évaluée à 6 200 francs, n'était couverte par une assurance jusqu'à concurrence de 5 000 francs", apprend-on dans un article du journal "Le droit" de novembre 1875. L'événement cause de l'émoi dans le village, et si l'enquête des gendarmes conclut qu'il ne s'agit pas d'un accident, mais bien d'un incendie volontaire, l'identité du criminel reste un mystère.

Quelques jours plus tard, l'année 1875 démarre avec un autre incendie. Le 2 janvier, une autre grange, celle d'Alphonse Bouthors, agriculteur et conseiller municipal, prend feu. "Le drame qui le frappe émeut donc une bonne partie du village, au moins celle qui l'a soutenu dans ses démarches électorales, relate Magali Rigaut dans son ouvrage. La stupeur est d'autant plus grande que le montant des pertes est affolant : Bouthors l'estime à 10 800 francs."

La journaliste cite un extrait d'une lettre adressée au procureur de la République par l'officier enquêteur : "[Les deux incendies] touchent les plus gros agriculteurs de la région et plongent la population dans l'inquiétude."

Ernest Froidure, le coupable idéal

Le printemps finit par arriver, avec deux nouveaux incendies, visant des meules cette fois-ci. Le premier a lieu le 4 avril, le second le 18. L'enquête se poursuit pour trouver ce pyromane qui terrorise le village. Les auditions de témoins se succèdent, et les gendarmes finissent par arrêter Ernest Froidure, un manouvrier de 31 ans, le 24 avril. Magali Rigaut le décrit comme "une force de la nature, aussi charpenté qu'un buffet, mais dont la carrure, finalement, tranche avec son visage d'enfant."

À en croire les recherches de la journaliste et les articles de presse de l'époque, cet individu solitaire n'inspire pas confiance dans le village. Une réputation sulfureuse lui colle à la peau. "Froidure a de mauvais antécédents, il a été condamné par le Conseil de guerre de Bourges, le 5 juin 1859, à un an de prison pour vol, et par le tribunal d’Amiens à dix jours de prison pour bris de clôture", lit-on dans le journal Le Droit.

"Il a des habitudes d’ivresse et a dissipé en peu de temps l’héritage de son père et de sa sœur ; afin de subvenir à ses dépenses, il poursuit sa mère de demandes d’argent, et lorsque celle-ci refuse, il menace de mettre le feu à sa maison. Dans le pays, on le redoute ; on n’hésite pas à l’accuser des incendies successifs qui ont désolé la commune."

Extrait du journal "Le Droit", 1875

La rumeur va bon train. Ernest Froidure est incarcéré à la maison d'arrêt d'Amiens. D'après la presse, son arrestation apaise les inquiétudes des villageois. Une vingtaine de témoins est entendue par le magistrat instructeur. Si personne n'a vu Froidure allumer un feu, plusieurs témoins disent l'avoir croisé dans les environs des scènes de crime au moment des drames. Ernest Froidure nie tout en bloc et clame son innocence, mais les éléments de l'enquête semblent l'acculer.

Un procès sans preuves tangibles

Le jeune homme est-il victime d'un concours de circonstances et paie-t-il les frais de sa mauvaise réputation ? Ce sera aux assises de la Somme de le décider. De nos jours, les incendies de ce type sont des délits, mais à l'époque, ils sont considérés comme des crimes et punis par la peine capitale.

Le procès se tient le 23 octobre. Ernest Froidure reste sur sa ligne et assure qu'il est innocent, arguant que les témoins ont confondu ou se sont trompés. Son avocat, maître Aubey, rappelle que l'homme n'a pas de mobile, et "s'attache à démontrer que l'accusation n'apporte aucune preuve certaine de la culpabilité de son client, que dans cette affaire on ne rencontre que des présomptions, des inductions bien vagues, que plusieurs des faits rapportés par les témoins ont été démontrés inexacts", rapporte le journal. L'avocat de la défense affirme également qu'un autre incendie malveillant s'est produit à Villers-Bocage alors qu'Ernest Froidure était déjà en détention, et que le pyromane court donc toujours.

Ces efforts ne suffiront pas à convaincre le jury qui, après une demi-heure de délibération, déclare Ernest Froidure coupable des deux premiers incendies, mais pas des deux suivants. Il est condamné à la peine de mort, comme le prévoit la loi de l'époque.

"La foule se retire lentement, vivement émue de cette condamnation", rapporte le Journal du Midi. Les incendies n'ayant pas fait de blessés ni de mort, le jury signe tout de même, dans la foulée, un recours en grâce.

Ernest Froidure tente de faire annuler sa condamnation, mais la Cour de cassation rejette son pourvoi le 18 novembre. Finalement, le 3 décembre, il est gracié par le président de la République, comme l'ont demandé les jurés. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité.

D'après le récit de Magali Rigaut, Froidure aurait tenté, depuis le bagne de Saint-Martin-de-Ré, de faire rouvrir le dossier. Dans une lettre au procureur, il assure qu'il a été témoin du comportement suspect d'un certain Jean-Baptiste Carpentier le jour du premier incendie. Une enquête et menée, mais les accusations formulées par Ernest Froidure sont vite réfutées. Il restera au bagne, mais aurait eu droit à une réduction de peine.

Nous n'avons pas trouvé d'informations sur son décès. A-t-il fini sa vie comme forçat, ou a-t-il fini par retrouver la liberté ? Le mystère est entier.

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