Né en 1695 à Calais, Olivier Levasseur est devenu une légende de la piraterie dans les Caraïbes et dans l'océan Indien. Son nom de capitaine : La Buse. Il fascine encore aujourd'hui pour son parcours, et pour le fabuleux trésor qu'il aurait laissé derrière lui.
Le 6 novembre 1695, à l'église Notre-Dame de Calais, c'est le baptême d'un bébé né la veille, Olivier Levasseur. Sa mère, Marie-Anne Jensse, porte encore le deuil. Quelques mois plus tôt, son mari a été tué lors du bombardement de Calais par les Anglais, le 27 août. Il grandit dans une famille de marins : son grand-père gagne sa vie en transportant marchandise et voyageurs entre les ports voisins. Il apprend auprès de lui les rudiments de la navigation.
On suppose qu'il s'enrôle dès l'âge de 15 ans sur un navire de corsaires. En France, Louis XIV est sur le trône, et engagé dans la guerre de succession d'Espagne. Cette guerre se joue largement sur les océans : la couronne engage des marins chargés d'attaquer les navires ennemis et les colonies anglaises et hollandaises. Certains témoignages tendent à montrer qu'Olivier Levasseur devient rapidement capitaine d'un navire corsaire.
Mais les corsaires sont considérés comme des supplétifs de la marine nationale. Ils ne peuvent se livrer à leur activité de pillage qu'en temps de guerre, ne peuvent s'attaquer qu'aux ennemis de leurs rois et ont en leur possession une autorisation qu'on appelle "lettre de marque". C'est ce qui les distingue des pirates.
Olivier Levasseur "tourne forban"
Olivier Levasseur va basculer dans la piraterie précisément à la fin de cette guerre, signée le 24 août 1713. Comme lui, des milliers de corsaires se retrouvent soudainement désœuvrés et sans moyen de subsistance. Leurs lettres de marque sont désormais caduques. Olivier Levasseur, lui, va continuer ses activités de piraterie malgré tout : il "tourne forban", comme on dit à l'époque. La fin de la guerre de succession espagnole provoque une explosion de la piraterie, d'abord dans les Antilles et dans les Caraïbes. Les galions des couronnes d'Espagne et du Portugal, colons du "Nouveau monde", sont toujours chargés de richesse et attirent les convoitises.
La carrière de pirate de Levasseur commence par une mutinerie dans les Caraïbes. Avec une dizaine d'hommes, ils se rebellent contre le capitaine de leur navire, l'emprisonnent et prennent possession de son bâtiment, un voilier d'excellente facture nommé Le Portillon. Mais l'équipage est encore peu nombreux, et le voilier manque de canons et de poudre. En juillet 1715, il rallie la Martinique pour recruter des hommes. Il parvient à débaucher une trentaine de marins, dont trois soldats de la garnison royale de Louis XIV.
Le capitaine Levasseur se fait désormais appeler La Buse, en référence au fameux oiseau de proie, qui niche notamment dans les jardins du château de Versailles. Son premier pavillon pirate entre dans la légende. L'historien maritimiste Jacques Gasser a découvert, en 2018, les écrits d'un capitaine anglais attaqué par La Buse au large de Saint-Domingue. "En 1715, il avait un drapeau décrit comme "quatre têtes de mort, deux tibias entrecroisés au milieu et des larmes blanches parsemées sur le drapeau". C'est son premier drapeau forban. Si vous opposez la moindre résistance, vous serez tous massacrés, c’est ce que veut dire ce drapeau" détaille le spécialiste, interviewé par le documentariste William Cally.
New Providence, paradis des forbans
À l'époque, dans les Caraïbes, l'île de New Providence devient un véritable repaire de pirates. À la fin de la guerre de succession espagnole, vidée plusieurs fois de sa population, New Providence est en grande partie inoccupée. Un capitaine en particulier, lui aussi ancien corsaire, est un des premiers à investir la ville déserte de Nassau. Il est anglais et il s'appelle Benjamin Hornigold. Depuis sa base, il monte la confrérie du Flying gang, qui multiplie les raids dans les alentours et terrorise toute la région.
En mars 1716, il va croiser la route de La Buse, toujours au commande du Postillon. Les deux compagnies décident de s'associer. Le duo est bientôt rejoint par un autre pirate, Samuel Bellamy, déserteur de son ancien navire. L'escadron essaime les mers et se partage les butins. Mais le leadership de Hornigold est rapidement remis en cause par ses partenaires. Encore attaché à ses anciens principes de corsaire, il refuse de s'attaquer aux navires anglais, qui représentent pourtant une manne importante. Il est évincé après un vote.
Bellamy prend la tête de l'escadron, mais l'autorité de La Buse n'est pas remise en cause, pas plus sur son navire peuplé de Français que sur celui de son associé. "Il est accepté par les Anglais, ce qui est un exploit pour un Français, à l'époque, décrypte Jacques Gasser. Je pense qu'ils avaient pour lui beaucoup d'estime et qu'ils le respectaient comme leur frère d'armes."
Ensemble, La Buse et "Black Sam" font des étincelles. Le 16 septembre, ils prennent notamment un navire marchand parti de La Rochelle, pour un butin de 30 000 livres. Ils prennent ensuite le cap des Îles Vierges. À la fin de l'année 1716, la compagnie se sépare en se donnant rendez-vous quelques mois plus tard sur la côte Est des États-Unis. Mais la chance tourne pour Bellamy. Son navire s'échoue le 8 mai au large de Cap Cod, et ses partenaires l'attendront en vain au point de rendez-vous. La Buse finit par retourner à New Providence tisser de nouvelles alliances.
Dans les Caraïbes, la fin du règne des pirates
Mais à la même période, le règne de la piraterie dans les Caraïbes est menacé par une habile manœuvre de la couronne anglaise. Le roi Georges Ier diffuse dans les Bermudes une lettre de pardon royal pour tous les pirates qui accèdent une reddition immédiate avec restitution de leur butin. L'initiative divise les pirates, dont le territoire va bientôt passer sous la coupe de Woodes Rogers, lui-même corsaire émérite, envoyé avec la mission d'anéantir la piraterie.
Certains forbans, comme le capitaine Hornigold, acceptent avec empressement la proposition. D'autres Anglais s'y refusent, notamment les Jacobites, qui soutiennent un autre prétendant à la couronne. Olivier Levasseur refuse lui aussi la proposition et se met en route vers l'océan Indien, bien décidé à atteindre Madagascar. À proximité, l'île Sainte-Marie est connue comme un haut lieu de la piraterie. Longeant les côtes africaines, passant le cap de Bonne-Espérance, il pénètre dans l'océan Indien en 1719.
En route, il rencontre son nouvel associé, encore une fois anglais : le capitaine John Taylor. Ensemble, ils écument le Golfe de Guinée, l'archipel des Mascareignes et finissent par jeter l'ancre à la Réunion en avril 1721. C'est là qu'ils vont faire ensemble leur plus belle prise.
La plus grosse prise de l'histoire de la piraterie
Dans la rade de Saint-Denis, un navire est immobilisé pour des réparations. Il s'agit du Nossa Senhora de Cabo, qu'on connaît sous le nom de la Vierge du Cap. C'est un navire amiral de la marine portugaise qui en plus de sa cargaison transporte le comte d'Ericeira, vice-roi des Indes orientales portugaises, ainsi que l'archevêque de Goa, de très précieux otages.
La Buse et Taylor abordent le navire et parviennent à s'en emparer. Ils découvrent, dans les cales, des monceaux de richesses sur la route retour du Portugal. Objets de culte précieux, bijoux, diamants, lingots d'or et d'argent, meubles et tissus de valeurs... L'assaut de la Vierge du Cap est tout simplement l'une des plus grosses prises de l'histoire de la piraterie. La Buse en fait son navire personnel, renommé Le Victorieux. Quelques mois plus tard, le pirate récidive avec la prise d'un important navire négrier de la Compagnie des Indes, la Duchesse de Noailles.
L'assaut est consigné dans les archives maritimes de la ville de Lorient. Selon le chasseur de trésors Emmanuel Mezino, qui a consacré plusieurs ouvrages à La Buse, celui-ci, fâché du maigre butin récolté, aurait décidé de faire brûler le vaisseau malgré la présence à bord de nombreux esclaves. C'est moins la perte de ces vies humaines que le défaut de main-d'œuvre pour les colonies de Madagascar qui affectent les Français. L'incident provoque même une nouvelle campagne de lutte contre la piraterie dans l'Archipel.
À partir de là, l'itinéraire de La Buse se brouille. Selon certaines sources, il accepte en 1724 l'offre de pardon proposée aux pirates par la couronne de France contre l'arrêt de leurs activités criminelles. Mais Olivier Levasseur refuse en revanche de restituer son trésor, et se mêle à la vie locale dans la baie d'Antongil. C'est en 1729 qu'il y est reconnu, arrêté et envoyé à la Réunion pour son exécution. La légende associée au personnage raconte que, juste avant d'être pendu, il aurait jeté dans la foule un message codé, criant : "Mon trésor à qui saura le prendre !".
Jamais cette anecdote n'a pu être prouvée, mais la possibilité de retrouver le butin pillé dans l'assaut de la Vierge du Cap passionne encore les chasseurs de trésor, qui s'acharnent à déchiffrer un cryptogramme d'époque attribué à Levasseur. Le débat est toujours vif sur l'existence de ce trésor et sa localisation, que certains croient pouvoir situer à la Réunion. Olivier Levasseur a en tout cas durablement marqué le paysage locale : une tombe honorifique a été érigée à cet "écumeur des mers", dans le cimetière marin de Saint-Paul.