Retirée des programmes scolaires après la Première Guerre mondiale, la bataille de Saucourt-en-Vimeu dans l'actuelle Somme, le 3 août 881, a pourtant constitué une victoire éclatante du roi carolingien Louis III des Francs sur les Vikings.
Il doit faire chaud sur les plaines au nord de la Francie occidentale en cet été 881. Les chemins secs et poussiéreux seront parfaits pour l'attaque. Dans le fond de la vallée de Saucourt près de Nibas, Louis III attend les Vikings avec l'assurance du roi chrétien : Dieu est avec lui.
Quelques semaines plus tôt, alors qu'il combat aux côtés de son frère Carloman près de Vienne, ses espions l'ont averti de l'installation de Normands (originaires de Scandinavie) à Laviers. Entre temps, ils sont descendus à Beauvais piller les abbayes et les villas.
Des Normands chargés d'or et de pierres précieuses
Louis n'a que 18 ans, mais l'art de la guerre n'a pas de secret pour lui. "Quand [les princes et seigneurs francs] avaient sept ou huit ans, on leur donnait une épée en bois, on les entraînait au tir à l'arc, à la fronde, à la lutte et surtout à l'équitation. [Ils] étaient majeurs à 12 ans", rappelle l'historienne locale Edwige Fontaine.
Pour cet affrontement à venir, il a convoqué l'ost, une armée en campagne formée de seigneurs vassaux. Ses guetteurs sont en place en un endroit connu désormais comme le lieu-dit les "Grands yeux". Quand les Hommes du nord reviendront, chargés d'or et de pierres précieuses, les Francs leur couperont la route.
Les Vikings sont une plaie pour les Carolingiens depuis plus de cent ans. Ces marchands-guerriers multiplient leurs raids en remontant les fleuves. Villes et monastères sont ravagés. Rouen, Nantes, Paris, les abbayes de Saint-Germain, de Saint-Riquier ou de Corbie sont mis à feu à sang.
Les rois francs sont dépassés. Le grand-père de Louis III, Charles II le Chauve, n'a-t-il pas accepté quatre ans plus tôt de leur payer 5 000 livres d'argent plutôt que de les combattre ? Et il n'est pas le seul. Les rançons deviennent courantes : un accommodement insupportable pour le jeune Louis.
Louis III, rusé meneur d'hommes
Ce 3 août 881, ses rabatteurs poussent les Normands dans la vallée. À la tête d'une centaine de chevaliers et de soldats, il lance la charge. Le combat commence, cavalerie contre cavalerie. Très bons pour la guerilla, les Vikings sont beaucoup moins à l'aise lors d'une bataille rangée. Les Francs prennent donc vite l'ascendant ; les pillards abandonnent leur butin et font mine de fuir vers Laviers.
Mais leur retour surprise désorganise l'ost : "selon les Annales de Saint-Vaast, il y aurait eu cent morts parmi les Francs", explique Aurore Geltz, professeure d'histoire-géographie à Villers-Bretonneux, autrice d'un mémoire de recherche sur la bataille de Saucourt-en-Vimeu.
Plusieurs seigneurs, paniqués, s'apprêtent à rentrer vers leurs terres. Au contraire des déserteurs, Louis reste concentré. Rusé, il descend de son cheval. Un acte fort. Sa personne est sacrée, ses vassaux doivent lui porter assistance. La troupe se reforme autour du courageux souverain. "Il a pris un sérieux risque. Si les seigneurs n'étaient pas revenus, il se serait retrouvé seul", confirme Aurore Geltz.
L'heure du troisième et dernier acte de la bataille a sonné. Plus long, plus rude, plus intense. Les hommes se battent au corps-à-corps, à coups de haches et d'épées, coiffés de casques en métal ou en cuir, simplement protégés de cottes de mailles sur leurs vêtements tissés.
Cette bataille n'a servi à rien.
Aurore Geltz, professeure d'histoire
À la fin de la journée, les Vikings sont vaincus. La légende évoque 9 000 morts de leur côté. Un nombre exagéré, selon Aurore Geltz : "Ils n'avaient pas besoin d'être si nombreux pour les raids. Et il y a fort à parier que la plupart d'entre eux étaient restés au camp à Laviers. Ils ne devaient être que quelques centaines d'hommes tout au plus".
Les survivants, laissés libres de repartir, propagent la nouvelle : les invasions vikings cesseront pendant de longs mois. Mais sur la durée, "cette bataille n'a servi à rien", relativise Aurore Geltz, puisque les envahisseurs obtiendront dès le Xe siècle un duché à leur nom : la Normandie.
Mais en 881, le prestige de Louis III est total. Il n'en profite malheureusement pas longtemps. À peine un an plus tard, le jeune roi, tombé en pâmoison devant la beauté d'une jouvencelle, mais peu intéressé par son consentement, se blesse mortellement en la poursuivant : "Elle s'est réfugiée dans le château de son père. Il était à cheval et s'est pris le linteau sur le front. (...) Il s'est fracassé une partie du crâne et la colonne vertébrale", révèle Edwige Fontaine.
Des chants et des poèmes célèbrent la victoire
Sa mort est un coup dur pour les érudits du royaume convaincus qu'ils tenaient en lui le grand successeur de son illustre arrière-arrière-grand-père Charlemagne.
Mais par son courage et son intelligence, le roi de Francie occidentale devient un modèle, mis en exergue dans une quinzaine de textes au fil des siècles, un nombre de sources conséquent pour un événement du IXe siècle. Le Ludwigslied, un poème considéré comme l’un des plus anciens témoignages de la langue germanique, est écrit en son honneur.
La victoire franque entre même dans les manuels scolaires de la IIIe République au même titre que les batailles de Gergovie ou Marignan, avant d'en disparaître après la Première Guerre mondiale.
Le souvenir du 3 août 881 s'est peu à peu effacé. Quelques passionnés comme Edwige Fontaine et Aurore Geltz tentent de le raviver. Un week-end de commémoration a attiré de nombreux visiteurs au mois d'août 2022 à Nibas.
Des vestiges de l'affrontement sommeillent sûrement encore sous les terres cultivées de Saucourt. Pour les découvrir, il suffirait de lancer enfin les fouilles archéologiques que l'événement mérite : "on peut retrouver une lame, des ossements", espère Aurore Geltz.