C'est une première. L'évêque d'Arras a invité des victimes d'abus sexuels dans l'Eglise à prendre la parole devant des religieux ou fidèles d'Aire-sur-la-Lys. Dans cette petite paroisse du Pas-de-Calais des viols ont eu lieu dans les années 80.
C'est une façon de voir la vérité en face. On n'est pas au tribunal, mais à l'Eglise. Un temps exceptionnel de parole et de prière (libre) ont été observés à Ayre-sur-la-Lys ce dimanche 15 mai 2022 avec des victimes de pédophilie dans l'Eglise d'Arras et des environs. D'ailleurs dans cette collégiale, des faits se sont produits dans les années 80 : "C'est un peu le retour aux racines du mal et un pied de nez à l’agresseur, chez ce prêtre qui a fait du mal à tant d’enfants ici, à Aire-sur-la-Lys", confiait ému l'une des victimes qui a brisé le silence et qui depuis trois ans a engagé le combat de la reconnaissance.
Pour l'occasion et à la demande des victimes présentes, des symboles religieux ont été enlevés et les chaises ont pu être disposées autrement : il fallait que ce moment ne soit pas une messe traditionnelle, les codes ont donc été volontairement bousculés. A Aires-sur-la-Lys, le moment n'a rien d'anodin. C'est une première ici et peut-être même en France.
Les mots utilisés ont été écrits avant d'être lus à voix haute devant ce public sidéré. Les phrases sont ponctuées d'émotion et de silences, parfois brefs, parfois très émus.
Il me tient la tête fermement pour descendre ma tête vers son entrejambe. Je le ressens encore quand je vous parle. Il m'oblige à lui faire une fellation. Je n'avais même pas douze ans.
Jean-François aux fidèles venus l'entendre
"C’est très fort pour nous en symbolique. Si on pouvait toucher toute la population et aider même une seule personne isolée. Il faut en parler", insiste l'un des organisateurs, très engagé dans la libération de la parole.
C’est un sujet tabou et ce genre d’événement c’est pour rappeler aux gens que ça peut encore arriver. Nous, nous sommes des faits du passé mais il y a encore des gens abusés dans l’église. Il faut les aider à libérer leur parole.
Alors que les mots encore à vif de Jean-François et Mathieu résonnent entre les murs de l'église. Une personne dans le public prend la parole, les larmes ne tardent pas à courir sur ses joues et les mots sortent enfin. Cet homme aussi a été victime : "ses attouchements me donnaient envie d'hurler aux dames qui nous accompagnaient mais son emprise était tellement forte", qu'il n'a rien dit, même quand ils n'étaient pas seuls.
Le rapport de la CIASE, commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, montre l’ampleur du désastre avec 350 000 victimes de prêtres ou religieux en France. Ils seraient une quarantaine autour d'Arras.
Les faits sont survenus à Aire-sur-la-Lys il y a plus de trente-cinq ans, mais la douleur reste vive. Jean-François n'avait pas douze ans en 1983 lorsqu'il est violé par le prêtre de son église. Il préparait sa communion. Trois ans plus tard, Mathieu est victime du même abbé. Comme à chaque séance de catéchisme, le prêtre demande à un des petits garçons présents de lire un texte religieux, et de venir s'asseoir à côté de lui. Mathieu se souvient de scènes d'abus sexuel : "c’est là qu'il nous touchait, c’était des caresses pendant la lecture. Caresses au niveau des cuisses, au niveau des fesses, et il nous touchait légèrement le sexe."
L'abbé pédophile est décédé en 1996. Il quitté la paroisse sans explication en 1987. Il n'y aura donc jamais de procès.
Des paroissiens sidérés
Ils sont nombreux à dire leur émotion après avoir entendu ces témoignages dans la collégiale : "ça fait 50 ans que je suis paroissienne ici. Je suis choquée car je connaissais ce prêtre et je n'aurais jamais pu imaginer qu'il arrive des chose pareil", témoigne sidérée une auditrice à la sortie. "Si j'avais su, j'aurais réagi de toutes mes tripes."
Je suis sidérée, ça me ronge... l'Eglise, elle est ma famille mais quand j'entends des choses comme ça, je me dis que ma famille est atteinte profondément.
Une paroissienne
Parmi ceux qui écoutent, l'évêque d'Arras, est là. Il est à l'initiative de cette journée mais il a du mal à ne pas se laisser submerger par l'émotion. L'homme d'Eglise est troublé. Il avoue même, micro en main, "L'évêque que je suis n'est pas très à l'aise, il n'est même pas très fier de son Eglise. C'est le moins qu'on puisse dire."
Cette soirée hommage et écoute est une première. "Il faut maintenant que tous les gens qui savaient quelque chose en 1986 parlent. Même quarante ans après, il n'est pas trop tard ", affirme Olivier Leborgne, nommé en septembre 2020". L’église aurait dû être en avance. Et elle ne l’a pas été."