Laurent Thiery, historien de la Coupole d'Helfaut, sort de l'oubli les déportés de Dora

C'est un mémorial de papier de 4,2 kilos, 2500 pages et 3000 photos : le "livre des 9000 déportés de France à Mittelbau-Dora" est le tour de force de Laurent Thiery, historien de la Coupole d'Helfaut (Pas-de-Calais) qui tire de l'oubli les vies brisées de ces résistants.
 

Dora est ce camp de concentration et d'extermination par le travail creusé ex-nihilo en 1943 dans une ancienne mine du centre de l'Allemagne pour y implanter l'usine de fabrication du V2, l'arme secrète d'Hitler qui devait, espérait-il, changer le cours de la guerre. 

Là, sans voir le jour pendant des mois, dans le vacarme des marteaux-piqueurs que la nuit glacée n'arrêtait pas et sous le joug des SS, les hommes tombaient en nombre. Des 9000 partis de France, seuls la moitié revinrent du "tunnel de Dora" et de ses camps satellites.

A chacun d'entre eux est désormais consacrée une notice biographique complète. Une somme, publiée début septembre au Cherche Midi, sous la direction scientifique de Laurent Thiery, l'historien de La Coupole, musée implanté à Helfaut (Pas-de-Calais) dans le gigantesque bunker de béton construit par les nazis d'où devaient être tirées les V2. Ces fusées stratosphériques auraient atteint Londres en cinq minutes.

Le Débarquement mit un terme à ce funeste projet. 

Le "D-Day", justement, a infusé la jeunesse de Laurent Thiery, 45 ans, fils de commerçant. Ses grands-parents habitaient entre Omaha Beach et de la pointe du Hoc. "Ils m'ont transmis la passion de l'Histoire. A 9 ans, pour le 40e anniversaire, j'ai assisté à mes premières cérémonies. Je revois encore les mitrailleuses dans les haies" des services de sécurité de Ronald Reagan. 

Il enchaînera fac d'histoire à Caen puis objection de conscience au sein du Service historique de la Défense (SHD), dans un groupe de recherches de la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD) planchant sur les déportés politiques et résistants partis de France.

"J'ai directement mis un pied dans la recherche", dit cet homme à l'allure juvénile, passionné de restauration de motos anciennes. En marge de sa thèse sur la répression dans le Nord, éditée en 2012, il établit le contact avec l'ancien directeur de La Coupole, Yves Le Maner, qui lui confie une recherche portant notamment -déjà- sur ce dictionnaire des déportés vers Dora.

Silences et non-dits

Le projet est en réalité initié depuis 1998 par André Sellier, historien associé à La Coupole et ancien déporté. L'ouverture des archives du SHD "ouvre une fenêtre" et permet de le relancer. Fin 2014, alors qu'il "faut bien commencer à rédiger", se pose la question: "Qui va s'en charger ? Je me rends bien compte que je ne peux pas faire tout seul les recherches et l'écriture..."

La tâche est titanesque, elle sera partagée. Laurent Thiery sollicite d'abord un noyau dur de profs d'histoire retraités fréquentant La Coupole. Il leur fournit les archives sur chacun des déportés.
Charge à eux de compléter ces informations auprès des familles.  Parmi eux, l'ex-enseignant Lionel Roux, un millier de fiches à son actif, dont la vie de retraité a "totalement changé" : "Laurent a généré chez nous cette envie de travail, qui nous a maintenus intellectuellement et socialement et a créé du lien affectif. On s'est engagé à corps perdu. Je lui tire mon chapeau, pour sa force de travail, et sa grande rigueur intellectuelle".

Quelque 70 auteurs seront finalement mobilisés, dans chaque région de France. L'ex-ministre de la Culture Aurélie Filippetti signe, elle, une émouvante préface, évoquant "les silences et les non-dits" autour de Dora. Son grand-père et deux de ses grands-oncles, antifascistes italiens des mines de Lorraine, y ont été déportés. "On comble des vides dans des histoires familiales parfois pesantes. Sans ce dictionnaire, des hommes pour lesquels on avait simplement la notion "disparu à tel endroit", n'auraient plus d'existence... Là, on les raccroche à des histoires, on dit qui étaient leurs camarades, avec qui ils ont été arrêtés... On les sort de l'oubli", corrobore Laurent Thiery, juste avant de recevoir une famille venue du Jura à qui il remet l'ouvrage.
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