"Si c'était à refaire, pour Mokhtar, je le referais": Béatrice Huret, ex-sympathisante FN, a assumé devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, mardi, avoir aidé cet Iranien à passer en Angleterre par amour, en dépit des risques d'une traversée sur un frêle esquif.
A 44 ans, cette ancienne formatrice pour adultes, désormais à Pôle emploi, est poursuivie pour "aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France en bande organisée" et "mise en danger de la vie d'autrui", encourant une peine de dix ans de prison, tout comme trois autres prévenus. "Je ne pensais pas que c'était répréhensible à ce point-là", a assuré Béatrice Huret à la barre, ensemble sombre et talons hauts.
Veuve depuis 2010 d'un mari policier, Béatrice Huret voit sa vie basculer début 2015 lorsqu'elle prend en stop un jeune Soudanais pour l'accompagner à la "Jungle". Elle décide alors de s'y rendre régulièrement comme bénévole. La voilà bouleversée par la manifestation d'un groupe d'Iraniens qui s'étaient cousu la bouche pour protester contre le démantèlement d'une partie du camp...
Elle ressent "un coup de foudre" pour l'un d'eux, Mokhtar, leur porte-parole, alors âgé de 35 ans, converti au christianisme. Après avoir perdu sa trace, elle "se porte volontaire" pour l'accueillir à son domicile avec un autre Iranien, à la demande de Laurent C., bien introduit dans le milieu de la "Jungle", également prévenu, a expliqué Mme Huret. Les deux Iraniens "sont restés un mois à la maison, je travaillais à Dunkerque. Ils restaient chez ma mère et je rentrais le soir", a-t-elle raconté.
Peu de jours après l'arrivée de Mokhtar se noue "une histoire amoureuse". Pour faire passer en Angleterre Mokhtar, qui désire coûte que coûte s'y installer, vient l'idée d'utiliser une embarcation, ce qui n'était guère fréquent. "C'est la famille de Mokhtar qui a envoyé l'argent d'Iran pour acheter le bateau", environ 1.000 euros, a dit Mme Huret. La traversée s'effectuera le 11 juin 2016 dans des conditions difficiles, le petit bateau de plaisance, acheté 1.000 euros, manquant de chavirer. Les trois hommes seront sauvés par les garde-côtes britanniques.
Contradictions
"Mokhtar mais il y a deux autres personnes...", questionne le président du tribunal Maurice Marlier. "Ils voulaient partir à trois. C'était un bateau six places, si j'étais un passeur, j'aurais pu en mettre six", rétorque Mme Huret, qui dit n'avoir jamais été guidée par l'esprit de lucre. Mais "est-ce que vous avez tenté de les dissuader ?", appuie le juge. "J'ai essayé de les dissuader plus d'une fois. Cette aide était un moindre mal pour eux. Ils seraient passés par des passeurs professionnels", argumente-t-elle. "S'ils sont encore vivants, c'est un miracle", reconnaît-elle, émue.
A l'aise dans cette première partie de l'audience, Mme Huret s'est raidie pour expliquer un autre volet du dossier, quand elle a dû dire pourquoi elle avait laissé deux migrants à Zoteux, à deux km d'un parking où stationnaient des poids lourds. "Ca se passait mal pour eux dans la Jungle, ils s'étaient fait dépouiller", bredouille-t-elle. Plus tard, Laurent C., dira avoir retrouvé "dans un état lamentable" ces deux migrants, assoiffés.
"Vous n'avez pas agi que par amour dans ce dossier!", tonne ainsi la procureur Camille Gourlin. "On a l'impression que vous voulez vous inscrire dans cette activité de manière durable. Les retirer de la Jungle oui, mais ça ne vous oblige pas à les mettre là", note la procureure, pointant des "contradictions". Avant le début du procès, Mme Huret avait dit être toujours en couple avec Mokhtar, qui a obtenu le statut de réfugié et qu'elle va voir régulièrement dans les environs de Sheffield.
Un an avec sursis requis
Le ministère public a requis mardi au tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer un an de prison avec sursis à l'encontre de Béatrice Huret. "La solidarité est louable mais pas à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions", a estimé la procureure de Boulogne Camille Gourlin au sujet de l'organisation de cette traversée en juin 2016.
Certes, Mme Huret, 44 ans, et Laurent C., autre prévenu qui a aussi aidé à l'achat du bateau de plaisance et qui a fait l'objet de la même réquisition, n'ont touché
"aucune rémunération", mais "ils ont dérapé" et ce même "s'ils avaient des intentions humanitaires". Les garde-côtes britanniques avaient sauvé in extremis les passagers de l'embarcation après 5 à 7 heures de dérive en mer.
Dans son réquisitoire, Mme Gourlin est longuement revenue sur la dangerosité de la traversée du détroit du Pas-de-Calais, une sorte d'autoroute maritime avec des courants très dangereux. Sur l'embarcation utilisée lors de la traversée, ni Mokhtar, dont se déclare amoureux la prévenue et qui vit désormais près de Sheffield (Angleterre), ni les deux autres Iraniens n'avaient des compétences pour naviguer en mer.
Tentative de dissuasion
"En 2016, plus de 5.000 migrants sont morts en Méditerranée dans des rafiots. (...) Il est hors de question qu'on doive ramasser des cadavres sur les plages du Pas-de-Calais", a dit Mme Gourlin, qui espère que le "retentissement médiatique de cette affaire" et les condamnations dissuaderont de nouvelles tentatives. La procureure a aussi tenté de minimiser l'importance du sentiment amoureux qui aurait animé Béatrice Huret, notant qu'elle ne s'était pas "contentée du passage de son propre amoureux" mais qu'elle avait aussi aidé à faire passer d'autres migrants, et ce même après l'arrivée de Mokhtar en Angleterre.
Pour Mohammad G. qui faisait aussi partie des Iraniens qui s'étaient cousu la bouche pour dénoncer le démantèlement d'une partie de la Jungle début 2016, la
procureure a requis trois ans de prison, dont un an de sursis et un maintien en détention. Les enquêteurs ont notamment mis la main sur 16.000 Livres provenant de deux "passages garantis" de migrants.
Concernant Ghislane M., une Calaisienne qui était en couple avec Mohammad G. et qui a effectué quatre passages de migrants en voiture, le ministère a requis deux ans de prison, dont six mois avec sursis sans mandat de dépôt. Les quatre prévenus sont jugés pour "aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France en bande organisée" et "mise en danger de la vie d'autrui", encourant une peine de dix ans de prison. La décision du tribunal devrait être connue dans l'après-midi.