L'association L214 a dévoilé les images d'un élevage intensif de poulets aux conditions déplorables à Pihem, dans le Pas-de-Calais. Elle s'oppose fermement à la demande d'extension de l'exploitant.
Des poulets qui boîtent, le corps brûlés par la litière, d'autres qui agonisent et meurent dans l'indifférence... Ce sont les nouvelles images filmées par l'association L214 dans un elevage intensif à Pihem, dans le Pas-de-Calais. 22.000 poulets sont entassés dans 21 m2, alimentés au maïs, au soja génétiquement modifié et bourrés d'antibiotiques.
Selon l'association, les animaux ne sortent jamais et passent de 35 à 41 jours dans l'élevage avant d'être envoyés à l'abattoir. Du fait de leur croissance accelérée par l'alimentation de masse, "au bout de 3 semaines, ils ont du mal à porter le poids de leur corps, explique Sébastien Arsac, co-fondateur de L214 et directeur des enquêtes. Certains n'arrivent même plus à se déplacer". Attention, certaines images peuvent choquer.
Une demande d'extension de l'élevage
"Ils vivent sur une litière qui n'est jamais changée et qui finit par brûler le corps des poulets, poursuit Sébastien Arsac. Ils souffrent tous d'infections sous les pattes. C'est aussi pour ça qu'ils n'ont plus de plumes sous le corps".
Malgré ces conditions dénoncées, l'exploitant souhaite, d'après l'association, "multiplier par cinq" la taille de l'élevage "pour passer de 150.000 à plus de 800.000 poulets 'produits' chaque année". Il a a déposé une demande d'extension auprès du préfet.
Ils vivent sur une litière qui n'est jamais changée et qui finit par brûler le corps des poulets. Ils souffrent tous d'infections sous les pattes.
L'association tente d'arrêter ce projet qualifié de "démesuré, un calvaire pour les animaux, et une aberration économique". Les membres ont mis en ligne une pétition pour demander à la préfecture du Pas-de-Calais de ne pas autoriser cette extension.
Car une telle extension signifie "la création de deux bâtiments supplémentaires" qui permettent d'accueillir plus de 50 000 poulets chacun. L214 explique qu'avec "plusieurs cycles d'élevages prévus, l'exploitation comptera au total plus de 800 000 poulets chaque année".
Un cas "révélateur" du système de l'industrie agro-alimentaire
Selon un vétérinaire, expert auprès des cours de justice, qui a préféré garder l'anonymat, ce cas est "révélateur" du système d'exploitation de l'industrie agro-alimentaire en matière de négligence et maltraitance animale. "Ce n'est pas la première fois, ni la dernière, des dossiers comme celui-ci, on en a toujours vu", confie-t-il.
"Lorqu'il y a des choses répréhensibles, ce n'est pas aux yeux de tous." Pour lui, le recours le plus efficace est "de déposer plainte auprès du procureur en premier lieu, puis passer le doyen des juges d'instruction si l'affaire est classée".
Lorsqu'il y a des choses répréhensibles, ce n'est pas aux yeux de tous.
Contactée, la préfecture n'a répondu que par un communiqué expliquant que "le commissaire enquêteur a transmis son rapport et conclusions à la préfecture le 30 mars 2021" avec "un avis favorable avec deux réserves". L'une portant sur la capacité financière de l'exploitant et l'autre sur l'accessibilité "non conforme" et "dangereuse" au site d'exploitation.
Aucune mention des conditions d'élevage dans le rapport du commissaire enquêteur le mois dernier, ni dans celui du conseil municipal de Pihem le 28 janvier. Le vétérinaire, interrogé, n'est pas surpris. "Les mauvais traitements ne sont pas toujours évoqués par les vétérinaires et inspecteurs dans les abattoirs et les élevages, analyse-t-il. Mes anciens élèves qui travaillent dans ce secteur, qui sont témoins de maltraitance, ne parlent pas toujours et me disent 'on a une famille à faire vivre, on risque le licenciement et des problèmes'."
D'autant plus que des affaires comme celle Pihem, il y en a beaucoup, à l'image d'un autre projet d'élevage intensif de poulets controversé à Steenwerck dans le Nord. Il y a aussi la plainte déposée contre Herta, après la diffusion d'une vidéo d'un élevage porcin dans l'Aisne.
Des conséquences sur l'environnement
Et au-delà des conditions dans lesquelles les poulets se trouvent déjà, l'association déplore, à l'avenir, une "augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre, d’ammoniac [gaz précurseur des particules fines], de la production de poussières."
L214 craint également l'impact "des particules fines, antibiorésistance", une "conséquence de l’administration systématique d’antibiotiques aux animaux" et la propagation de nouveaux pathogènes. "Les émissions de gaz à effet de serre seront de plus de 1000 tonnes de CO2 équivalent par an, explique Sébastien Arsac. Et l'exploitation dégagera 5 tonnes d'amoniac chaque année. "
L'élevage intensif bientôt freiné ?
Alors que l'éleveur verrait sa surface d'élevage et la capacité d'accueil étendues si la préfecture accepte le dossier, il pourrait aussi se heurter à d'autres difficultés. En effet, toutes les enseignes de supermarchés en France ont signé l'Engagement européen de la volaille (European Chicken Committment) et doivent respecter un certain nombre de règles d'hygiène et de confort.
D'ici 2026, ces grandes entreprises devront, entre autres, se fournir auprès d'éleveurs qui limitent à 15 le nombre de poulets par mètre carré et qui les exposent à de la lumière naturelle. Des conditions qui ne sont pas respectées dans le cas de l'élevage incriminé par L214 : 21 poulets par mètre carré et aucune lumière naturelle.
Le projet présenté au préfet est d'ores est déjà invalidé même s'il est autorisé car les supermarchés ne se tourneront plus vers les élevages qui ne respectent pas les conditions de l'engagement européen de la volaille.
Sébastien Arsac dresse un constat ferme : "Dans tous les cas, le projet présenté au préfet est d'ores est déjà invalidé même s'il est autorisé car les supermarchés ne se tourneront plus vers les élevages qui ne respectent pas les conditions de l'engagement européen de la volaille d'ici 2026. L'éleveur va donc droit dans le mur : c'est lui qui prend tous les risques."
Selon l'association, l’éleveur doit emprunter près de 1,4 millions d'euros sur 12 ans. Il devra rembourser 10 500 euros par mois, "tout ça pour espérer se verser un salaire dérisoire de 9.600 euros par an, soit 800 euros par mois." De son côté, Spoormans, la société belge qui le rachète, n'aura qu'à "vendre et fixer le prix des aliments", conclut Sébastien Arsac.
La réponse du préfet devrait être donnée en juin prochain. Contactés, ni Spoormans, ni l'éleveur n'ont répondu à notre sollicitation.