Ce jeudi 8 avril, une proposition de loi sur l'assistance médicalisée à mourir pour les personnes en fin de vie doit être débattue à l'Assemblée nationale. Les députés Agnès Thill (UDI), Maxime Minot (LR) et Ugo Bernalicis (LFI) ont tous trois l'intention de suivre les débats avec attention.
C'est un débat récurrent dans la société française depuis des années et pourtant, la législation avance à tout petits pas. Mais ce jeudi 8 avril pourrait marquer un tournant. La proposition de loi qui doit y être débattue commence ainsi : "Toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à disposer, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée active à mourir."
Un texte inspiré du modèle belge
Si le mot "euthanasie" n'apparait jamais, c'en est bien la définition. Et sur cette question qui touche aux convictions profondes, à l'intime et à l'éthique, les clivages vont au-delà des partis politiques. Des parlementaires de tous bords y sont favorables, de la droite à la gauche en passant par le centre. Mais pour d'autres, l'idée d'instaurer une loi autorisant l'aide active à mourir est profondément inacceptable.
La proposition de loi étudiée ce jeudi est portée par Olivier Falorni, député de Charente-Maritime appartenant au groupe centriste "Libertés et Territoires". Inspirée par le modèle belge, qui permet cette pratique depuis une vingtaine d'années, cette loi, si elle est adoptée, représenterait un pas de géant dans la législation sur la fin de vie.
A l'heure actuelle, la loi prévoit seulement la possibilité d'une"sédation profonde et continue jusqu'au décès" pour les patients atteints d'une maladie grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé "à court terme". Avec cette nouvelle loi, un patient en fin de vie pourrait demander à un médecin de lui injecter directement une substance létale, après l'avis de plusieurs membres du corps médical.
Pour Agnès Thill, députée UDI de l'Oise, le sujet vaut la peine d'être débattu, mais le moment est mal choisi. "Le moment n'est pas opportun, en pleine crise sanitaire où les gens luttent pour la vie et pleurent leurs morts. Mais je pense qu'ils veulent qu'on commence à débattre sur ce sujet, et ça c'est tant mieux, car en effet, il faut en parler."
Obstruction parlementaire contre volonté de débattre
Comme beaucoup de députés et d'observateurs politiques, elle estime que quoi qu'il en soit, cette loi n'a aucune chance de passer. En effet, les circonstances ne sont pas vraiment réunies : la proposition de loi a été déposée dans le cadre d'une "niche parlementaire", un dispositif qui permet aux groupes d'opposition de présenter des propositions, une journée par an. Cela signifie que si les débats ne sont pas finis avant minuit ce jeudi, elle sera abandonnée.
Or, le texte a fait l'objet de plus de 3 000 amendements, dont les deux-tiers déposés par cinq députés Les Républicains. Un stratagème classique "d'obstruction parlementaire" : l'intégralité de ces amendements ne pourra très probablement pas être discutée dans le temps imparti, rendant impossible l'adoption du texte. Maxime Minot, député de l'Oise Les Républicains et favorable au texte, déplore cette attitude. "Ce sont cinq personnes qui nuisent à la totalité du groupe. Ça a créé des tensions au sein du groupe d'ailleurs, car même les personnes qui sont défavorables à la proposition de loi ne soutiennent pas cette obstruction parlementaire, c'est un procédé complètement archaïque, c'est de la vieille politique, on ne comprend pas ce choix."
270 députés, dont il fait partie, ont signé une tribune dans le JDD pour dénoncer cette obstruction, et demander le rallongement des débats. S'il y a peu de chances que leur souhait soit exaucé, les signatures de tous ces députés issus de partis radicalement opposés donnent une certaine idée de l'importance de la question dans la société de 2021.
Ugo Bernalicis, député du Nord, fait partie des signataires. Dans son groupe parlementaire, la France Insoumise, la totalité des membres est favorable à ce texte. "Nous avions déjà déposé il y a deux ans une proposition de loi qui allait dans ce sens, portée par Caroline Fiat (députée de Meurthe-et-Moselle, ndlr), et elle avait été rejetée par la majorité, rappelle-t-il. Mais on a bonne mémoire, ça tombe très bien que le groupe Territoires et libertés ait remis le sujet sur la table." Il est par ailleurs convaincu que s'il est correctement abordé, le sujet ne déchaînera pas les passions, comme certains le craignent. "A partir du moment où ce n'est pas l'initiative du gouvernement, le débat parlementaire peut retrouver toute sa noblesse, et on va pouvoir se convaincre les uns les autres, au delà de l'appartenance à un parti. Quand on prend le temps et qu'on permet à tous d'exposer leurs idées, il y a des belles choses qui se passent et les gens s'y intéressent."
Bien que leurs partis soit rarement sur la même longueur d'ondes, Maxime Minot est lui aussi un défenseur convaincu de l'aide active à mourir, et estime qu'il s'agit d'un "sujet transpartisan qui nous touche tous". Il en appelle à l'exécutif. "Si ces quelques personnes veulent empêcher le débat, moi j'invite le gouvernement à remettre ce sujet sur la table, et à l'inscrire à l'ordre du jour avant la fin du quinquennat. C'est la seule fenêtre de tir qui nous reste."
Mais c'est là que le bât blesse : l'exécutif, déjà sous le feu des critiques sur sa gestion de la crise sanitaire, et à un an de la prochaine élection présidentielle, ne semble pas vouloir se lancer dans cette bataille qui pourrait être houleuse. "D'ailleurs, ce n'était pas dans le programme d'Emmanuel Macron, souligne Agnès Thill. Mais ce texte pourrait amorcer les discussions, et qui sait, ce sera peut-être un des grands sujets de la campagne de 2022 ?"
Des philosophies qui s'opposent
A noter tout de même que si la députée se positionne pour un débat sur la question, elle est défavorable à ce texte. Comme la plupart des opposants à l'euthanasie, elle craint d'éventuelles dérives. "On parle beaucoup de la Belgique, mais il n'y a pas suffisamment de contrôles, assure-t-elle. Et puis il y a la question du rôle de médecin : le texte prévoit la clause de conscience, et heureusement, mais pourquoi devrait-on faire reposer ça sur le médecin ? On parle de donner la mort, ce n'est pas un acte banal. Cela revient à dire "oui, il faut le faire, mais moi, je tourne la tête et je ferme les yeux, c'est le médecin qui le fait". Appuyer sur la seringue, je ne le ferais pas pour ma mère ou par ma fille."
Pour Maxime Minot au contraire, il est urgent de légiférer. Et lui n'a pas peur d'utiliser le mot "euthanasie", même s'il reconnait qu'il peut être un peu trop connoté et donc en braquer certains. "On a tous conscience que c'est un sujet délicat et douloureux à aborder, admet-il. Mais c'est notre devoir à nous, élus de la nation, d'apporter une réponse à une attente forte des Français. Aujourd'hui, dans le pays des droits de l'Homme, ce n'est pas normal qu'un Français ait besoin de s'exiler chez nos voisins pour accéder à une mort digne et choisie."
Un sentiment partagé par Ugo Bernalicis : "On ne veut obliger personne à mettre fin à sa vie, mais que tout le monde puisse avoir le droit dans un cadre précis, légal, ça me parait très important. Pouvoir décider du moment où on met fin à sa vie me semble être l'aboutissement d'un raisonnement philosophique humaniste, celui de dire que l'homme est maitre de son destin."
Reste à voir désormais si les parlementaires réussiront à changer le destin très incertain de cette proposition loi avant minuit ce 8 avril.