Faute de place dans les cabanons officiels, près de 100 personnes ont dû se réfugier mercredi dans l'un de ces lieux de vie, initialement destinés à cuisiner mais transformés depuis plusieurs semaines en dortoirs d'urgence.
Mains encore engourdies, Fajr, emmitouflé dans deux couvertures, remet du bois dans le poêle d'une cuisine communautaire: comme lui, des dizaines de réfugiés ont encore dormi dans cet abri du camp de migrants de Grande-Synthe, saturé.
"J'ai essayé d'aller dans un cabanon, mais on m'a dit qu'il n'y avait plus de place. C'est dur le froid ici, plus qu'en Iran...", soupire cet exilé iranien quadragénaire arrivé début janvier et qui rêve de rejoindre son frère en Grande-Bretagne. Avant de tenter prochainement sa chance en se cachant dans un camion, moyennant versement d'une somme "importante" à l'un des nombreux passeurs qui gangrènent le camp - "les prix ont augmenté car la police est partout" -, Fajr est venu s'y reposer quelques jours.
Autour de lui: une trentaine de migrants enveloppés dans des couvertures bigarrées, installés près du poêle central. Le thermomètre extérieur affiche -4°C, l'air glacé s'infiltre, malgré les draps et bâches censés colmater les entrées. Des bénévoles
apportent le bois nécessaire.
"On ferme les yeux"
"Les gens qui dorment dans les cuisines sont souvent là de manière transitoire avant de tenter de passer en Grande-Bretagne (...) ils viennent chercher quelques heures de sommeil avant de partir", explique à l'AFP le directeur du camp Hervé Desvergne de l'association gestionnaire Aféji, désignée par l'Etat."Même si on n'accepte plus personne dans le camp, on ferme les yeux pour ceux qui dorment là, car c'est une question morale: je ne peux pas accepter l'idée de mettre des gens dehors par ce froid", poursuit-il. Bien que la mairie et la direction du camp réfutent toute "saturation" du camp, la densité a indéniablement augmenté depuis la création de ce premier site humanitaire aux normes internationales en mars 2016, d'une capacité initiale de 1.500 places réparties dans 400 chalets en bois de 6m2.
La population s'était stabilisée, avant de décroître fortement, à 720 début octobre. Les chalets inoccupés avaient alors été retirés. Il n'en reste désormais plus que 291, mais, à la suite notamment du démantèlement de la "Jungle" de Calais et de nouveaux flux, elle atteint aujourd'hui quelque 1.200 migrants. Ils sont parfois 4 à 5 à dormir dans les cabanons, contre 2 à la création.
Hospitalité
Depuis ses origines, le camp reste majoritairement peuplé de Kurdes mais de nouvelles populations, notamment des Afghans, ont commencé à frapper à ses portes dès octobre. Des tensions entre communautés éclatent parfois, dont une bagarre générale avec les forces de l'ordre le 27 décembre. "Les rixes nocturnes et les conflits commerciaux ont toujours eu lieu. Mais la promiscuité n'arrange pas les choses", avoue M. Desvergne, précisant cependant que ces incidents restent "peu fréquents".Consciente des difficultés, la mairie, qui rappelle que le site "n'a pas vocation à rester définitivement", se dit fière de ce "camp humanitaire dont la fonction première est l'hospitalité". Ce premier hiver est donc considéré comme un véritable test: dans un contexte politique où la thématique migratoire reste centrale, "la moindre intoxication au monoxyde de carbone est scrutée depuis le ministère", s'étonne une source proche du dossier. Une vingtaine de personnes ont dû être hospitalisées ces derniers jours pour ces raisons.