"Inclassable", "droit dans ses bottes" et "têtu" selon ses proches: en pleine crise migratoire, le maire écologiste de Grande-Synthe, Damien Carême, a osé défier l'Etat en ouvrant le premier camp humanitaire en France, sans un sou du gouvernement.
Urgence faisait loi, il est vrai : dans sa commune le nombre de migrants a commencé à croître significativement à l'automne 2015 pour atteindre 2 600 personnes en décembre, vivant dans un véritable cloaque. Ils n'étaient que 60 l'été dernier... "Personne ne faisait rien, alors j'ai pris la situation en main avec MSF, je ne voulais pas qu'on s'enlise dans un bourbier comme à Calais", raconte-il dans son bureau de la mairie.
Accroché au mur figure un dessin représentant le petit Aylan Kurdi, trouvé mort sur une plage et symbole planétaire du drame des migrants, sous-titré : "Et nous, on fait quoi maintenant?". Démanteler? C'était "hors de question, on ne gagne pas contre le FN avec les idées du FN". Quitte à être traité de "fou", il lance donc le projet de camp: "pas le choix !".
"Têtu et courageux"
L'initiative est saluée par MSF, dont le chef de mission Michel Janssens apprécie cet homme "têtu et courageux", à la "réactivité opérationnelle qui détonne chez les politiques", loin des "technocrates qui enchaînent les réunions sans fin", alors que "lui est cash".Né à en Lorraine dans une famille de six enfants, Damien Carême, 55 ans, arrive à Grande-Synthe à l'âge de huit ans, lorsque son père, électricien de formation, est embauché à Usinor, poumon de cette commune côtière de 22.000 habitants dont il devient maire 33 ans plus tard en 2001, neuf ans après... son père. La carte d'identité de sa cette cité ouvrière est édifiante : entourée de 14 sites Seveso et de l'une des plus grandes centrales nucléaires d'Europe, elle affiche 24% de chômage, avec 33% des foyers sous le seuil de pauvreté et 64% de logements sociaux.
En parallèle, elle se présente comme un laboratoire du développement durable, enchaînant les prix: "Capitale de la biodiversité", "Fleur d'or" ou encore "Ville zéro phyto, 100% bio". "Eco-quartiers, cantines 100% bio, jardins partagés, mutuelle pour tous (...) S'il y a endroit en France où on invente l'écologie sociale c'est à Grande-Synthe !", lance, admirative, Sandrine Rousseau, porte-parole EELV.
"Le changement se fera par le bas"
"M. Carême peut se permettre tout ça car il est super riche! Il est assez dichotomique : il utilise l'argent de l'industrie en la flinguant derrière", raille cependant un élu local, en référence aux recette fiscales provenant des entreprises, notamment celle d'Arcelor Mittal. "Il a plein de pognon, mais il sait investir là où il faut", tempère Franck Dhersin, le maire Les Républicains de Téteghem, qui a démantelé en novembre un camp de 250 migrants. Et ne tarit pas d'éloges sur son collègue, "un type inclassable, droit dans ses bottes, trop à gauche pour qu'on soit d'accord, mais j'aime les hommesde conviction".
Avec ce nouveau camp, "il a pris un risque électoral, mais il s'en fout, et c'est très respectable", commente encore M. Dhersin. Ce sont d'ailleurs ses convictions qui ont poussé M. Carême à quitter deux fois le PS, son parti d'origine : en 1992, opposé au traité de Maastricht, puis en 2014, où il rejoint EELV. "Là, j'en pouvais vraiment plus, rien ne me retenait, ce gouvernement c'est l'abandon des valeurs !", lâche, désabusé, ce père de deux enfants.
Ancien animateur culturel, devenu directeur informatique d'une collectivité, il passe désormais "son temps à se battre comme un taré pour faire pousser ses dossiers".
Lecteur assidu d'essais - Eloi Laurent, Jean Gadrey, Thomas Piketty ou encore Tim Jackson - ce "bosseur acharné", "investi à 100.000%", selon les associatifs qui gèrent le camp, est convaincu que "le changement se fera par le bas". "Nous sommes dans toutes les crises : sociale, énergétique, écologique, et maintenant migratoire. On arrive au bout d'un système et les politiques continuent leurs vieilles recettes, ça ne peut plus marcher, il faut se réinventer", conclut-il.