Située dans l'ancien hôtel particulier des Foucques d'Émonville, la bibliothèque patrimoniale d'Abbeville préserve de nombreux ouvrages très anciens et très rares pour certains. Pour rendre accessibles ces trésors, l'institution a débuté l'année dernière un vaste chantier de numérisation.
Dans un ancien hôtel particulier de style néo-renaissance d'Abbeville, dans la Somme, se situe un lieu méconnu du grand public. Le bâtiment du XIXe siècle combine à la fois le service des archives et la bibliothèque patrimoniale de la ville.
En tout, 160 000 documents y sont entreposés sur de longues étagères, certains sont très rares et précieux. L'institution est chargée de recueillir et de conserver les ouvrages qui s'y trouvent.
Une collection impressionnante
Parmi les ouvrages notables, il y a par exemple le récit de voyage du capitaine James Cook. Ce navigateur et explorateur britannique a sillonné les océans. Grâce à un don, l'écrit rédigé en 1772 lors d'une expédition dans le Pacifique sud a rejoint la bibliothèque.
Marie-Noé Hue, responsable des collections patrimoniales de la bibliothèque, détaille au micro de France 3 Picardie : "ces volumes sont magnifiquement gravés par un Britannique qui a embarqué avec Cook. C'est lui qui a dessiné ce qu'ils vont rencontrer pendant tout ce voyage, et notamment les peuplades des différentes îles rencontrées."
Dans un tout autre style, il y a aussi un ouvrage scientifique relatif à la cosmographie qui date de 1584. Composé par l'astronome Pierre Apian, le livre a quelques spécificités... "À l’intérieur, vous allez trouver ce qu'on appelle des volvelles, des disques de papier mobiles, ils sont là pour faire des calculs extrêmement complexes sur les jours solaires, les mois lunaires, le mouvement des planètes. À cette époque-là, ils servaient plus particulièrement pour les marins cartographes qui voyageaient", explique Marie-Noé Hue.
Avec d'infinies précautions, les équipes de la bibliothèque prennent soin des livres et les manipulent. Grâce à cela, ces ouvrages sont toujours dans un aussi bon état. C'est le cas d'une autre curiosité, un roman sentimental : Les Angoysses douloureuses qui procèdent d’amours. Fait rare, il a été écrit au XVIe siècle par une femme, une Abbevilloise : Hélisenne de Crenne, de son nom de plume.
Ce n'était pas une habitude que les femmes soient publiées. C'est un véritable trésor pour le monde de la littérature et pour Abbeville.
Éric BerriahiDirecteur de la bibliothèque patrimoniale et des archives municipales
Un trésor bien gardé
Mais, le véritable trésor de la bibliothèque patrimoniale d’Abbeville, c'est un manuscrit carolingien de la fin du VIIIe siècle, les Évangiles de Saint-Riquier. Il a été rédigé en lettres d’or sur du vélin pourpre, dans le scriptorium personnel de Charlemagne.
C'est artistiquement un manuscrit d'exception, qui est reconnu par l'Unesco.
Éric BerriahiDirecteur de la bibliothèque patrimoniale et des archives municipales
Charlemagne l’a ensuite offert à son gendre Angilbert, alors comte de Saint-Riquier. Un ouvrage politique et familial avec l'objectif d'asseoir l’autorité du roi sur son vassal. Le manuscrit, aux côtés de huit autres, est inscrit au registre international "Mémoire du monde" depuis 2023. Il compte aujourd'hui parmi les œuvres majeures de la culture médiévale.
Rendre les ouvrages accessibles à tous
Grâce au vaste chantier de numérisation mené par la bibliothèque, de nombreux ouvrages peuvent désormais être consultés sur une plateforme. Mise en place il y a environ un an, elle donne accès à 30 000 documents en ligne.
Le processus de numérisation se passe dans un laboratoire grâce à trois scanners ultra-spécialisés qui permettent de digitaliser en haute résolution n’importe quel support. Les livres fragiles sont installés avec de multiples précautions sur un scanner qui s'adapte au livre. Anne-Lyse Benzo di Verdura, responsable de l'atelier de numérisation, ajoute : "Il nous permet d'ajuster la pliure pour ne pas mettre le livre à plat. Si on met le livre à plat, cela risque de craquer la reliure".
Une vitre peut aussi être ajoutée au-dessus des documents qui gondolent avec une simple pression, afin d'éviter que des ombres se forment lors de la numérisation.
Le grand projet des archivistes pour les années à venir, c’est la numérisation de la presse régionale, avec le concours de la Bibliothèque Nationale de France. Un travail minutieux, de fourmi.
L'archiviste François Deguerville est, par exemple, chargé de faire l'inventaire de l’état de conservation des 35 volumes du Courrier Picard depuis sa création en 1944 et ce, jusqu'en 1955. Il traque et répertorie tous les défauts qui nécessitent une restauration.
Tous les détails sont notés consciencieusement dans un tableur. "Il y a parfois des taches d'encre dans le texte, c'est une surimpression, donc ça, il faut le préciser, car il peut y avoir de la perte de texte. D'autres taches se font aussi avec l'humidité et il a aussi parfois des déchirures", énumère-t-il.
Prochaine étape pour les archives municipales et la bibliothèque patrimoniale d’Abbeville, la signature d’une convention avec France Archives. Le but, rendre les collections abbevilloises visibles dans toute l’Europe.
Avec Marie Roussel / FTV