L'histoire du dimanche - De 1944 à 1949, le gang d'Albert terrorisait ceux qu'il suspectait d'avoir été des collabos

Quinze prévenus dans le box des accusés, c'est un record jamais atteint au palais de justice d'Amiens. Parmi eux, d'anciens résistants. On est en 1950, le procès du gang d'Albert attire la presse régionale et nationale. Daniel-Marcel Bailly, alors étudiant en droit, était présent.

S'il y a une période que les Albertins préfèreraient oublier c'est bien celle de l'après-guerre. Juste après la Libération de la Somme, entre 1944 et 1949, le "gang d'Albert" commet des vols à main armée contre des gens qu'ils soupçonnaient d'avoir collaboré avec l'ennemi, allant jusqu'à tuer un agriculteur. Une quinzaine de jeunes compose cette bande. Tous âgés d'une vingtaine d'années, ils sont pour la plupart originaires de la région.

Les voisins avaient été réveillés par les détonations et ils étaient accourus immédiatement pour savoir ce qu'il s'était passé. Mon mari a dit qu'il allait mourir.

Témoignage de la veuve de l'agriculteur

La première agression remonte à novembre 1944. Cinq membres du groupe s'attaquent à un couple de fermiers pour chercher du ravitaillement et le punir. Ils avaient bien été soupçonnés d'avoir collaboré avec l'ennemi mais l'affaire avait finalement été classée. Les brigands ne repartent pas les mains vides. Ils volent 165 000 F.

Cette première affaire est à l'image de toutes les autres. Attaque avec violence, des victimes supposées "collabos" alors que des témoins prouvent le contraire à la barre et surtout recherche d'un butin.

Ma femme est descendue mais à peine avait-elle ouvert la porte donnant sur la rue qu'elle me criait : "Ce sont des terroristes." J'ai bondi de mon lit et j'avais à peine enfilé mon pantalon que déjà deux agresseurs se précipitaient dans ma chambre, l'un armé d'un revolver

Témoignage d'une victime des gangsters d'Albert

Deux fermières en font les frais. Elles sont attaquées par quatre jeunes et reçoivent un coup de poing parce qu'elles n'ont pas plus de 600 F dans le coffre.

Après les fermes, c'est une épicerie qui est visée. Les commerçants sont contraints sous la menace, de remettre bijoux, tabac, boissons, linge et argent aux malfaiteurs.

Violence et argent

Mai 45, c'est déjà la sixième agression. Le fermier pris pour cible ne se laisse pas faire. Il prend son fusil de chasse et se réfugie avec femme et enfants dans la cuisine. Il riposte lorsque des rafales de mitraillette sont tirées dans sa direction. Les attaquants ont en fait tiré en l'air pour lui faire peur. Ils réussissent à prendre la fuite.

Pas d'agressions sans argent à la clé. Les jeunes savent où le trouver. Ils sévissent surtout dans la région d'Albert, un coin qu'ils connaissent bien, comme la poste de Millencourt, à l’ouest d’Albert.

Ce 7 juin 1945, un des membres du groupe savait que de grosses sommes d'argent y étaient entreposées. 2 millions et demi en espèces et 9 millions en bons du Trésor pour être précis. Malgré la présence de deux gardiens, six jeunes font éclater la porte du bureau avec du plastic. Mais le plan ne se déroule pas comme prévu. Une fusillade éclate. Un membre du groupe est blessé. Tous prennent la fuite. La huitième attaque est un échec.

Quelques mois plus tard, la 11e opération tourne au drame. On est en janvier 1948. Les jeunes se rendent à vélo, armés d'une mitraillette et de révolvers chez un marchand de bestiaux, à Vauchelles-lès-Authie. Ils viennent pour punir l'homme, pourtant titulaire de la Croix de Guerre et de la médaille de la Résistance. Mais des bruits courent sur son comportement pendant l'occupation, d'où l'opération punitive. Trois jeunes fouillent la maison en quête de butin. L'homme se réveille et les surprend dans la cuisine. Échange de tirs. Le marchand s'écroule.

Le gang d’Albert n'a commis qu'un seul meurtre et celui-ci ne fut nullement prémédité. Il fut la conséquence d'une certaine fatalité dans un réflexe de peur et de surprise provoqué par l'apparition soudaine de la victime dans l'encadrement de la porte.

Daniel-Marcel Bailly

Une casquette à l’origine du démantèlement du gang

Novembre 1948, l’étau se resserre. Un des jeunes perd sa casquette de musicien lors d’un cambriolage manqué, une des rares pièces à conviction présentée au procès. Reconnue par la mère de son propriétaire au cours de l’enquête, elle servira de preuve irréfutable. Ce jour-là, le gang s’est fait surprendre chez un débitant, à Haute-Visée, au nord de Doullens. Un voisin a donné l’alerte. Les gendarmes encerclent la maison mais la bande réussit une nouvelle fois à s’enfuir par le jardin où attend une camionnette, véhicule par ailleurs utilisé dans les trois dernières affaires.

Gendarmes et policiers devront attendre avril 1949 pour pouvoir démanteler le gang. Pour cette ultime opération, trois membres participent à l’attaque du bureau de poste d’Epehy, au nord-est de Péronne. Ils ligotent la receveuse, raflent 77 000 F et 40 000 F en Bons du Trésor. Un ultime butin avant d’être confondus et arrêtés par les forces de l’ordre.

Le procès s'ouvre fin 1950. C'est à ce moment-là que le public, venu en nombre, découvre que certains malfrats avaient appartenu à la Résistance locale pendant le conflit. Un passé dont le gang se sert pour justifier ses actes.

"Se faisant passer pour des résistants chargés de la chasse aux anciens collaborateurs, ils pillaient fermes, commerces et bureaux de poste pour unique raison d'intérêts personnels, déshonorant ainsi les véritables Résistants et jetant un trouble réel dans toute cette région jusqu'en 1949, année où le gang fut démantelé par la Police et la Gendarmerie" raconte Daniel-Marcel Bailly, auteur d'un article dans Histoire et Traditions du Pays des Coudriers, daté de mai 2002. Lui-même, en tant qu'étudiant en droit, a assisté aux audiences, voyant dans ce procès un double intérêt. L'un, parce qu'un des avocats de la défense était un professeur (il garde un souvenir mémorable de ses plaidoiries), l'autre parce qu'un des prévenus était une connaissance.

Une période troublée

Des années plus tard, l'homme pose un regard plus mesuré et revient sur les circonstances particulières qui ont pesées sur toute cette affaire.

"C'était un petit peu le procès des communistes, se souvient Daniel Bailly. Ils les avaient contraints de faire des assassinats en-dehors de la guerre. En tous cas, c'était le sentiment qu'on avait. Ce qui nous avait surtout choqués, c'est que le parti communiste avait manipulé ces gars-là et les avaient laissés tomber".

Il faut dire qu'en 1944, la France vit une période trouble. L'épuration commence localement, envers les "BOF" (acronyme de "Beurre, Oeuf et Fromage"). C'est l'heure de la vengeance vis-à-vis de ceux qui ont été vus, au quotidien, fréquenter l'occupant allemand.

Cet appel à la vengeance était d'ailleurs relayé dans la presse communiste. Exemple dans ce numéro du Réveil de juillet 1944 (section d'Oyonnax, dans l'Ain), sur lequel est écrit "Contre les traitres de la Patrie, nous devons accomplir tout notre devoir d'Epuration qui s'impose".

Pour autant, cet aspect politique ne sera pas retenu et le gang d'Albert ne sera jugé que pour des crimes de pur banditisme, 14 actes d'accusation dont "l'association de malfaiteurs", qui à lui seul, est passible de la peine de mort. 

Le procès s'ouvre le 27 novembre 1950 et se terminera le 14 décembre. 88 témoins se relaieront à la barre.

Premier verdict : trois condamnations à mort

Après l'évocation de toutes les agressions et après les plaidoiries dont se souvient encore Daniel-Marcel Bailly, le jury se retire pour délibérer. Il est 21 h 50. Nous sommes le 14 décembre 1950. Les jurés doivent répondre à 189 questions.

Ce n'est que vers 2h du matin que la cour d'assises de la Somme rend son verdict : 3 jeunes sont condamnés à mort, deux frères R. et M. Perat et R. Godbert. Les autres sont condamnés entre 2 à 15 ans de prison ou à la perpétuité.

Les 3 condamnés à mort s'étant pourvus en cassation, un second procès a lieu aux Assises de l'Aisne, à Laon, l'année suivante. Seul un des deux frères sera condamné à mort et exécuté. les deux autres seront condamnés aux travaux forcés à perpétuité. connaissait R. Godbert. "Le verdict m'a marqué, avoue Daniel-Marcel Bailly, car on avait un peu de sympathie pour Godbert. Il était jeune, souriant, sympathique. Il avait été complètement manipulé. On le plaignait. Il n'avait pas les traits d'un assassin". 

Au moment où il publie son article, en 2002, Daniel Bailly revoit R. Godbert. Il est face à un homme de plus de 80 ans. Il a été libéré 20 ans après sa condamnation pour bonne conduite. Il a refait sa vie, loin de sa région d'origine. L'un comme l'autre ont du mal à parler. 

"Cet homme a un passé militaire élogieux par sa conduite pendant la 'drôle de guerre' et lors de l'occupation. Sans cette erreur de jeunesse, il serait certainement titulaire de décorations", conclut l'auteur.

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