Mères et étudiantes à la fac, elles se confient sur leurs galères : "je fais souvent des micro-dépressions"

Sans ressource, isolées ou épuisées, ces mamans étudiantes ont décidé de poursuivre leurs études malgré les difficultés. La peur d'être jugée, le manque d'information sur les aides à leur disposition, ces jeunes femmes restent souvent dans l'ombre. Pourtant, L'Université Picardie Jules Verne à Amiens a créé deux services pour les accompagner. Témoignages.

Les premières années ont été les plus difficiles pour Durchelle. Elle n'avait que 18 ans lorsqu'elle apprit sa grossesse. C'était il y huit ans. Elle a décidé de garder son enfant et de poursuivre ses études. Le bac en poche, elle suit un BTS avec une bourse de 500 euros. "Avec un bébé, ce n'était pas suffisant. J'avais aussi quelques aides de la CAF mais ça n'a pas duré très longtemps. Mon père m'aidait et parfois le père de mon fils. Je faisais des jobs pour m'en sortir. J'étais souvent absente en cours car mon fils était souvent malade bébé et j'étais épuisée. Mais mes professeurs ont été compréhensifs. Ils m'ont encouragée à continuer. Je me suis sentie soutenue."

Je ressens une énorme fatigue émotionnelle

Durchelle, étudiante en Master 1 à l'UPJV

Durchelle s'inscrit en licence Langues étrangères appliquées l'année suivante, puis en Master 1 Ressources Humaines en alternance à l'Université Picardie Jules Verne à Amiens. "Je respire un peu plus cette année parce que je travaille en entreprise deux semaines sur trois. Je gagne un peu plus que le Smic. Mon fils ne manque de rien. On peut se prévoir quelques petites sorties. Mais je travaille 39 heures par semaine et avec les révisions, c'est toujours très fatiguant. Il y a les devoirs de mon fils de huit ans et les miens aussi que je ne peux faire que lorsqu'il est couché. Je ressens toujours une énorme fatigue émotionnelle."

L'étudiante, discrète et solitaire, comme elle se décrit, n'a jamais voulu solliciter l'aide de l'administration universitaire. Peur d'être jugée. Une fois, l'année dernière, pendant le confinement, elle a osé demander des tickets restaurants au CROUS. Mais c'était une exception. "J'ai souvent entendu des réflexions désagréables quant à mon jeune âge pour avoir un enfant à la CAF, dans l'administration en général. Je ne veux pas que ça arrive à l'université alors je ne demande rien", ajoute Durchelle.

Un lieu d'accompagnement et d'écoute

Pourtant, des accompagnements existent. Le service social de l'Université, créé il y a deux ans, accueille tous les étudiants en difficulté. L'année dernière, le service a accompagné 1 600 étudiants précaires dont une dizaine de parents isolés. "On propose des aides alimentaires et d'hygiène sous forme de tickets restaurants. Les étudiants peuvent faire une demande tous les deux ou trois mois et en fonction de leur situation, ils bénéficient de bons de 70 à 100 euros, voire plus si c'est un parent isolé qui a besoin de couches et d'alimentation spécifique pour son bébé. Des produits qui coûtent chers", explique Solenne Devaux, conseillère en économie sociale et familiale à l'UPJV.

Le service accompagne aussi ces étudiants dans leurs démarches administratives, leurs dossiers CAF et logement. Mais c'est aussi un lieu d'écoute. "Ils font tout pour ne pas abandonner leurs études. Avoir un statut d'étudiant et être parent est une situation très complexe. Il faut tout réaménager : le logement, les finances et les études. 500 euros de bourse ne suffisent pas pour vivre avec un enfant." Et parfois, il faut demander de l'aide extérieure : les parents, les amis et les associations.

Des aides alimentaires

Des épiceries solidaires sont implantées dans la plupart des villes. Toutes les personnes en situation de précarité sont concernées. Elles s'adressent aussi bien aux retraités, aux parents isolés, aux étudiants possédant peu de ressources ou aux bénéficiaires des minima sociaux. L'accès à ces commerces se fait sous conditions de revenus. À Amiens, l'Agorae, située dans le centre-ville, compte 300 bénéficiaires étudiants et parmi eux, six mères isolées enregistrées. Mais leur nombre est peut-être plus élevé. Les jeunes mères étudiantes ne révèlent pas facilement leur situation. "Certaines se sont confiées car elles avaient besoin de couches, de lait et de petits pots en plus de leur panier mais je ne connais pas toutes les situations. Leur statut est souvent stigmatisé au sein du public étudiant. Elles appréhendent la réaction des autres. Lorsqu'on connaît leur situation, on ajoute les produits sur notre liste de courses. Nos organismes financiers, l'université, le Crous et la métropole d'Amiens le savent et jouent le jeu", assure Felix Bodoulé Sosso, vice-président en charge de l'Agorae.

Dans cette épicerie solidaire, les étudiants inscrits peuvent venir faire leurs courses. Ils reçoivent entre cinq et dix euros par mois pour des produits entre 10% et 20% du prix du marché. Soit une baisse conséquente sur les achats d'aliments et de produits d'hygiène.

J'ai eu la possibilité d'aménager mes horaires de cours

Jade, étudiante en médecine à l'UPJV

Jade a caché sa grossesse pendant des mois. Elle tombe enceinte alors qu'elle est en fin de deuxième cycle de médecine à Amiens. "Je portais des vêtements amples, j'ai eu de la chance parce que mon ventre n'a commencé à grossir qu'à la fin de ma grossesse. Je ne voulais pas le montrer avant d'avoir validé ma première année d'externat. J'avais peur du jugement de mes co-externes et des chefs de service à l'hôpital. Je n'avais pas envie d'être stressée par les réactions des autres. On en est toutes réduites à ça", confie l'étudiante.

Jade a accouché en novembre dernier. Cette année, elle doit jongler entre la préparation du concours, les stages, les gardes à l'hôpital et Rob, son petit garçon de deux mois et demi. "Mon conjoint travaille et il est souvent en déplacement. Je continue à allaiter mon bébé, souvent dans le canapé avec mes révisions. Je cours après les heures de sommeil." Grâce aux réseaux sociaux, elle a pu discuter avec d'autres mamans dans sa situation et obtenir des conseils pour s'organiser et trouver de l'aide. "Elles m'ont rassurée. Grâce à elles, j'ai trouvé le courage de contacter le doyen et le médecin de l'université qui ont trouvé des solutions. J'ai eu la possibilité d'aménager mes horaires. Ils ont accepté que je passe mes examens blancs à domicile pendant mon congé maternité. Et j'ai obtenu un stage dans un service où la cheffe est sensibilisée aux droits des femmes et qui a accepté que je repousse la date du stage", explique Jade. Le problème se pose pour les gardes à l'hôpital à effectuer dans le cadre de sa formation, avant fin février, sous peine de redoubler son année. "J'ai fait des pieds et des mains avec l'aide du médecin de l'université pour repousser ces gardes. Je ne voulais pas laisser mon bébé avant qu'il ait au moins deux mois. Avec l'allaitement, c'était impossible de faire autrement."

Un régime spécifique pour les étudiants

De nombreuses femmes se retrouvent dans la situation de ces étudiantes, jeunes mères sans ressource, épuisées par les tâches et isolées sans connaissance de leurs droits. À l'université, le régime spécifique, mis en place par chaque UFR (unité de formation et de recherche), permet aux étudiants travailleurs, à ceux en situation de handicap, ou de parentalité de bénéficier d'aménagement d'horaires et d'autorisation d'absence en cours. Dans ce cas, ils sont dispensés de contrôle continu et doivent être présents aux partiels. "Tous les étudiants peuvent venir au service de santé de l'université et déclarer leur situation. Nous étudions ensemble les possibilités et nous aidons à trouver des stages et à organiser leur temps. En collaboration avec le médecin du travail, nous trouvons des stages compatibles avec une grossesse par exemple. Le régime spécifique, une fois déclaré leur situation familiale ou de santé, permet aux étudiants ne pas avoir à justifier leurs absences en cours. Des cours de rattrapage aux partiels sont prévus dans ce cadre. Depuis deux ans, il existe un enseignant référent par UFR qui accompagne les étudiants en difficulté", annonce Delphine Guérin, médecin et directrice du service de santé universitaire de l'UPJV.

J'ai parfois envie de tout lâcher

Durchelle, étudiante en Master 1 Ressources Humaines à l'UPJV

Un régime auquel Durchelle n'a pas voulu adhérer. "Je n'ai jamais fait la demande parce que c'est pénalisant. Le seul moyen d'être noté est le partiel de fin d'année et le dernier contrôle continu dans mon UFR. C'est risqué de ne pas pouvoir se rattraper avec d'autres notes, si on veut obtenir son année. Je suis une bonne élève mais je ne veux pas prendre le risque", explique l'étudiante qui tient bon malgré sa fatigue constante. "J'ai régulièrement une baisse de motivation. Parfois, j'ai envie de tout lâcher mais je tiens bon. Je suis inquiète pour l'avenir et je fais souvent des micro-dépressions", ajoute t-elle.

Pour éviter le pire, le service de santé universitaire d'Amiens s'organise autour de médecins et de psychologues. "Des étudiantes viennent nous consulter dans le cadre de violences intra-familiales mais aussi pour connaître leurs droits. Pendant le confinement, nous sommes allés visiter des étudiants logés au Crous d'Amiens. Nous avons découvert des situations impensables. Comme cette jeune fille enceinte qui vivait dans le noir, fenêtres et volets fermés en pleine canicule. Elle était allergique aux arbres qui jouxtaient sa chambre. On a immédiatement organisé son transfert dans un nouveau logement avec l'aide des travailleurs sociaux du Crous. On essaie de s'assurer que ces étudiants ont un suivi mais elles doivent d'abord venir nous rencontrer. Ce qui n'est pas toujours évident pour elles", insiste Delphine Guérin.

L'information aux étudiants circule mal

Lise Lerichomme, déléguée à l'égalité femmes hommes à l'UPJV

Déclarer sa grossesse, un problème de santé, une situation de violence ou de harcèlement à l'université était encore impensable il y a une dizaine d'années. Depuis, les accompagnements se mettent en place progressivement et permettent de libérer la parole, mais la communication est encore grippée. "Il existe de nombreux aménagements et aides pour les étudiants désormais mais l'information circule très mal. Nous avons des difficultés pour connaître les problématiques parentales des étudiants car ils sont encore frileux à se déclarer. On peut parler de chiffre noir. L'aide et le suivi sont encore trop fait au cas par cas", explique Lise Lerichomme, déléguée à l'égalité femmes hommes à la lutte contre la discrimination de genre à l'UPJV.

Des salles d'allaitement à l'étude

Une réflexion plus globale sur le sujet a été mise en place avec un plan d'égalité professionnel national. Tous les établissements d'enseignement supérieur sont invités à y prendre part. "À l'UPJV, la question de l'accompagnement à la parentalité est importante dans nos réflexions conjointes avec les enseignants et les étudiants. Nous avons déjà proposé de mettre en place des salles d'allaitement sur chaque site de l'université. Les étudiantes qui allaitent doivent encore trouver des toilettes ou un petit coin pour tirer leur lait. Nous souhaitons créer un espace pour échanger et prêter le matériel de puériculture qui manque souvent cruellement aux étudiants parents", ajoute Lise Lerichomme.

La création d'une crèche parentale au sein de l'établissement est très attendue par les parents isolés qui doivent s'organiser, souvent de manière anarchique pour faire garder leurs enfants lorsqu'ils sont en cours. Un tel mode de garde a vu le jour dans certaines universités mais encore trop peu aux goûts des principaux intéressés. L'évolution des mentalités, en marche depuis quelques années se heurte encore à des réticences.

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