Si l'Agence nationale de sécurité du médicament parle de "tensions d'approvisionnement", de plus en plus de professionnels de santé et d'associations alertent sur une "pénurie" fréquente de la pilule abortive. À Amiens, la semaine dernière, le médicament était presque en rupture de stock.
L'observatoire de la transparence dans les politiques du médicament a lancé l'alerte il y a une semaine : le misoprostol, utilisé pour l'interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse, était en rupture à Lille et en région parisienne. En France, ce médicament, intervient dans 76 % des interruptions volontaires de grossesse.
La sénatrice de l'Oise Laurence Rossignol a saisi dans la foulée le ministre des Solidarités et de la Santé François Braun afin de lui demander de mettre en œuvre des solutions "pour garantir aux femmes la liberté de choisir leur méthode de contraception".
Depuis, de nombreux témoignages sont remontés partout en France, laissant craindre une pénurie de ce médicament.
"La pénurie pourrait poser problème si elle dure sur le temps"
C'est le cas à Amiens, où le spectre d'une pénurie plane assez régulièrement. Dans une pharmacie de la ville, on estime que "la pénurie pourrait poser problème si elle dure sur le temps", note Jean-Paul Landrieu, pharmacien.
Pour le moment, "ce sont des pénuries de relative courte durée", relativise ce dernier qui suit de près l'approvisionnement.
Mais quand on lui demande s'il en est sûr, il préfère rester prudent : "pour l'instant oui, à l'avenir, je ne sais pas". Car cette pénurie arrive régulièrement. "La semaine dernière, aucun des deux fournisseurs n’en avait. Là, c'est bon, on en a au moins un sur deux."
Le CHU d'Amiens, quant à lui, indique ne pas être en rupture de la pilule abortive et continue à réaliser les IVG avec un stock suffisant.
Un monopole pharmaceutique
Isabelle Niel, médecin généraliste à Amiens qui pratique une soixantaine d'IVG par an, a également constaté une pénurie, notamment la semaine dernière. "J'ai contacté la pharmacie qui délivre le misoprostol pour l'IVG médicamenteuse, et effectivement, il restait une dizaine de boites, rapporte-t-elle. C'était en grande tension avec les transporteurs et avec l'usine de production".
Ce médicament est produit par le laboratoire Nordic Pharma qui possède un brevet, donc une exclusivité, une propriété intellectuelle et un monopole total sur sa production et sa commercialisation. Mais celui-ci rencontre régulièrement des difficultés dans la chaîne de production.
L’accès à l’avortement, c’est un peu toujours le système débrouille, aussi bien pour cette question-là que pour trouver les professionnels de santé qui font l’IVG médicamenteuse.
Isabelle Niel, médecin généraliste à Amiens
Si cette semaine, il ne semble pas y avoir de rupture, "le problème, c'est que ça va, ça vient, on peut avoir une pénurie et ne plus en avoir. Donc ça peut laisser des femmes en situation compliquée".
Par ailleurs, le comprimé concerné par la menace de pénurie est le deuxième qui est administré. En effet, "il y a deux comprimés qui se prennent à 48 heures d'intervalle", poursuit-elle. Le premier, c'est le Mifegyne, qui est celui qui risque d'être interdit aux États-Unis et permet d'arrêter la grossesse.
La patiente revient 48 heures après et "ce fameux comprimé dont on parle aujourd'hui, le misoprostol", permet quant à lui l'expulsion de cette grossesse.
Une alerte nationale du Planning familial
"Aujourd'hui, on a une tension à Lille, à Versailles, demain en Occitanie, à Colmar, ce sont des choses qui vont et qui viennent, ce n'est pas toutes les semaines la même chose", observe Lucie Houlbrèque, bénévole au planning familial de la Somme.
La loi prévoit que les femmes puissent choisir leur mode d'IVG, entre l'instrumentale et la médicamenteuse. "S'il manque la pilule abortive, on ne peut pas faire la médicamenteuse, donc ça entrave la loi et le droit des femmes à disposer de leur corps", poursuit-elle.
Aujourd’hui à priori ça va, mais la semaine prochaine, qu’est-ce que ça donne ?
Lucie Houlbrèque, bénévole au planning familial de la Somme
Dans la lettre envoyée à François Braun, le Planning familial alerte également sur la question du monopole de Nordic Pharma qui "entrave" le droit des femmes. Si Nordic Pharma ne peut plus approvisionner "pour des raisons diverses, on se retrouve sans autre solution", ajoute la bénévole.
Parmi les solutions provisoires proposées, le ministre des Solidarités et de la Santé a annoncé que les pilules abortives seront importées d'Italie. "Comme ils ne veulent pas pratiquer les IVG, ils ont des stocks", avance Isabelle Niel.
Mais pour le Planning familial, l'idée est de pouvoir garantir "par tous les moyens" un droit perenne à l'IVG. Parmi les pistes proposées : supprimer le monopole et garantir plusieurs fabricants, comme le préconise Lucie Houlbrèque. Quant au Haut Conseil à l'égalité, il suggère de relocaliser la production de ces comprimés en France.
Avec Elise Ramirez / FTV