Dans les Hauts-de-France, l'accès au droit à l'avortement n'est pas égal pour tout le monde. En fonction des territoires, et malgré les avancées notables, des femmes de tout âge qui voudraient faire une IVG ne sont pas logées à la même enseigne.
Mercredi 28 septembre, c'est la journée internationale du droit à l'avortement. De nombreux rassemblements ont lieu dans un contexte où l'IVG est rendue difficilement accessible voire interdite dans certains pays comme les États-Unis, la Pologne ou encore la Hongrie.
À Amiens, un rassemblement est prévu à 18 heures sur la Place René Goblet. Le Planning familial fait également un appel à témoignages dans la Somme avec un questionnaire en ligne anonyme sur les expériences d'avortement dans le département. À Lille aussi, un rassemblement est prévu de 17 heures à 19 heures.
Dans les Hauts-de-France, la question de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) reste un sujet important. Les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS) sortis mardi 27 septembre le démontrent. En 2021, dans la région, 17 772 IVG ont été enregistrées, des chiffres stables par rapport aux années précédentes. Et malgré de nombreuses avancées, comme la loi Gaillot, des difficultés viennent entraver l'accès à l'avortement.
"La loi ne suffit pas"
L'un des premiers freins, "c'est d'abord l'accès à l'éducation et l'information, note Lily, membre du Planning familial du Pas-de-Calais. Que les personnes puissent connaître leurs droits, les délais, les endroits, comment les IVG sont pratiquées." L'interruption volontaire de grossesse "est très peu enseignée dans les formations initiales des professionnels de santé", regrette Véronique Sehier, membre du conseil d'administration du Planning familial du Nord. Lucie Houlbrèque, bénévole dans celui de la Somme note également qu'il n'est pas "obligatoire de faire sa formation médicale dans un centre IVG et certains professionnels de santé ne savent pas comment ça fonctionne."
Auparavant, les centres IVG avaient l'occasion de faire de la prévention de l'accès à la contraception, "mais maintenant, ils sont en effectifs réduits et ne peuvent que continuer leur travail en orthogénie". C'est là que le Planning familial intervient pour les soutenir. Mais celui de la Somme est encore récent, il n'a été créé qu'en 2021 et n'a pas encore de locaux, alors ils font avec les moyens du bord.
Autre constat : même si "la loi a progressé avec l'allongement du délai de l'IVG et l'IVG par voie d'aspiration effectuée par une sage-femmei", les choses sont plus compliquées à mettre en pratique. "Par exemple, même une Amiénoise dans une situation optimale qui aura sa carte de bus chargée ou sa voiture, qui se rendra compte de sa grossesse dans les meilleurs délais peut avoir des freins psychologiques, être culpabilisée par sa famille, dans une situation de violence ou faire face à une décision compliquée", détaille Lucie Houlbrèque.
On voudrait que la loi Aubry de 2001, qui est très bien faite, soit appliquée et donne l'obligation aux établissements scolaires de mettre en place trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle par an. Là, on pourrait imaginer que quand les élèves décident de démarrer leur vie affective et sexuelle, ils seraient déjà armés pour maîtriser la contraception, le consentement et son respect.
Planning familial du Pas-de-Calais
La question financière est aussi soulevée. "Si on n'a pas de mutuelle, c'est compliqué. Les jeunes qui sortent des études supérieures, qui ne sont pas réinscris à une mutuelle parce que la vie active ne les a pas encore pris, se retrouvent avec des frais qu'ils ne sont pas toujours en capacité d'assumer". C'est pourquoi les conseillers conjugaux et familiaux proposent des solutions de financement alternatives, en trouvant, par exemple, des fonds associatifs. "C'est de la débrouille pour le coup", complète-t-elle.
Il existe aussi des difficultés géographiques. Dans la Somme, "si on est à la mer, à Abbeville par exemple, c'est plus compliqué en termes de déplacements, d'accès à l'information". Les territoires ruraux ne sont pas en reste. "C'est beaucoup plus compliqué, poursuit Véronique Sehier, notamment à cause de la désertification médicale. Autre problème soulevé : le départ à la retraite de professionnels de santé très mobilisés, "on a des jeunes professionnels de santé très mobilisés, mais il faut que ce soit plus important pour faire face aux fortes inégalités territoriales."
Certains centres hospitaliers n'appliquent pas les nouveaux délais
Aujourd'hui encore, le Planning familial du Nord constate que "certains médecins refusent de faire des IVG, ou refusent de le faire au-delà de 10 ou 12 semaines". Pire encore, dans certains centres hospitaliers, les nouveaux délais ne sont pas appliqués. Pourtant, la loi Gaillot qui a été définitivement adoptée par le Parlement le 23 février 2022 l'a allongée à 14 semaines de grossesse (16 semaines d'aménorrhées).
La plupart des CIVG (centre d'interruption volontaire de grossesse) du département répondent "qu'ils ne sont pas en capacité de mettre en place le délai de 16 semaines, notamment pour l'IVG chirurgicale et par aspiration", indique le Planning familial du Pas-de-Calais. Les hôpitaux qui le permettent le font avec certains types de médicaments, mais "c'est une toute autre procédure qui équivaut à un accouchement".
Aujourd'hui dans le Nord, on a des filles qui sont obligées d'aller à Paris car on leur a refusé une IVG dans les nouveaux délais
Planning familial du Nord
Lors de l'examen de la loi Gaillot à l'Assemblée nationale, la suppression de la double clause de conscience a été refusée. Celle-ci permet aux professionnels de santé de choisir s'ils veulent ou non pratiquer un avortement. "Il y a aussi ceux qui rechignent, mais le font quand même et ils sont moins bienveillants", regrette Lily. Des violences obstétriques ont alors lieu, comme le fait de "faire des échographies, faire écouter le cœur, il y a aussi des médecins qui font volontairement mal aux patientes" qui souhaitent avorter.
En somme, les trois plannings familiaux regrettent l'application difficile de la loi sur l'avortement en fonction des territoires. Une des solutions reste la sensibilisation. Mais ils sont peu financés et réclament plus de moyens. "On est aussi une association de veille des droits, mais on est trop peu financés sur ces parties-là", déplore le Planning familial du Pas-de-Calais.
Des avancées notables
Il existe bien entendu des avancées notables depuis la loi Gaillot, comme l'allongement du délai d'avortement ou le fait de pouvoir réaliser une IVG par télémédecine. Cette dernière a été mise en place pendant le Covid et les confinements. Elle permet aux femmes qui se trouvent loin d'un centre de la pratiquer chez elles, explique Véronique Sehier. Mais "on veut que les personnes aient le choix entre un centre de santé, dans un hôpital ou chez elle. Il faut aussi qu'on ait des professionnels de santé formés pour bien prendre en compte la demande des femmes."
Dans le Pas-de-Calais, le Planning familial observe que les centres de planification et d'éducation familiale (CPEF) ont vu leurs actions être réformées. "Ils ont élargi leur nombre d'antennes sur tout le territoire avec de grands pôles comme Arras, Liévin, Calais ou encore Boulogne". Dans ces CPEF, il est possible de réaliser une IVG médicamenteuse.
Néanmoins, à l'heure actuelle "on est beaucoup poussés à utiliser l'IVG médicamenteuse, qui réduit le choix de l'intervention et n'est possible que jusqu'à 7 semaines d'aménorrhées". Au-delà de 7 semaines, il faut se déplacer dans un centre pour IVG, "donc à l'hôpital". Certains d'entre eux permettent l'IVG médicamenteuse jusqu'à 9 semaines, "mais pas tous", précisent-ils.
Inscrire l'avortement dans la Constitution
En France, selon un sondage IFOP de juillet 2022, 83% des Françaises et Français "jugent positivement l'autorisation de l'IVG par la loi française". Véronique Sehier, de son côté, précise que "plusieurs études montrent qu'en France, les personnes veulent majoritairement que ce droit reste un droit à part entière". Toutefois, en France, "c'est toujours un droit à part".
D'autre part, de nombreux mouvements d'opposition à l'avortement - et aux droits sexuels et reproductifs plus généralement - existent en France. Et ils sont très forts. "Ils sont portés par l'extrême-droite et des mouvements religieux", note-t-elle en ajoutant qu'ils s'agit d'une "menace" qui pèse sur ce droit. "Ils font beaucoup de désinformation, de culpabilisation des femmes et de stigmatisation de l'avortement".
"On est assez mobilisés avec tout ce qui s'est passé aux États-Unis, ça nous a redonné un élan, souligne Lucie Houlbrèque. On savait que le droit l'IVG n'était pas totalement acquis". Et même si elle note que les systèmes juridiques ne fonctionnent pas de la même manière, c'est un droit qui est menacé à chaque fois que "des réactionnaires" sont à la porte du pouvoir.
"On a vu ce qui se passe en Italie avec Giorgia Meloni, rappelle Véronique Sehier. Ça fait partie des droits qu'elle menace très clairement. Il ne faut pas croire que ces mouvements européens ne sont pas présents en France". C'est la raison pour laquelle de nombreux militants et militantes souhaitent "le mettre dans la Constitution" afin d'en faire un droit inattaquable, conclut Lucie Houlbrèque.
Pour plus d'informations sur le sujet, un numéro vert est joignable gratuitement au 0800 08 11 11. Le site internet IVG Contraception Sexualités est également disponible.