TÉMOIGNAGES - Harcèlement de rue : "c’est fatigant d’être une femme à Amiens aujourd’hui"

Durant l'été, plusieurs femmes ont partagé sur les réseaux sociaux les agressions qu'elles ont subies dans les rues d'Amiens. Si le phénomène est difficile à quantifier, la parole se libère et les femmes sont de plus en plus nombreuses à dénoncer les pratiques qu'elles subissent au quotidien. 

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"Quand je suis arrivée à la gare d’Amiens, j’ai senti que je n’étais pas en sécurité". Le 26 août, Jeanne, une lycéenne de 17 ans s'est fait agresser par un groupe de cinq hommes alors qu'elle attendait, seule à la gare d'Amiens. Choquée, elle a décidé de partager ce qu'elle a vécu sur Twitter. 
  "Je m'étais mise sur le côté pour avoir une vision de tout ce qui pouvait venir vers moi. Et je vois ces cinq mecs arriver. Ils ont masques et casquettes donc je ne peux pas les reconnaître", raconte-t-elle au téléphone le lendemain. 
 

Je n'ai pas envie d'imaginer ce qui aurait pu m'arriver s'il n'était pas venu me sortir de là

Jeanne, 17 ans



Le groupe de garçons interpelle Jeanne, sans équivoque : "T'es mignonne, viens avec nous on va s'amuser". À ce moment là, Jeanne est tétanisée, ne sait pas comment elle peut se sortir de cette situation où elle se sait en danger. Jusqu'à ce qu'un homme, "d'une quarantaine d'années", selon l'adolescente, l'interpelle : "tout va bien ma chérie ?". Jeanne comprend que l'homme vient la sortir de sa situation délicate. "Oui papa, on va rater le train", lui répond-elle.  
 
"Cet homme m'a vraiment sauvée. Je n'ai pas envie d'imaginer ce qui aurait pu m'arriver s'il n'était pas venu me sortir de là", dit Jeanne, l'émotion dans la voix

Une autre agression médiatisée dans l'été

Une histoire qui n'est pas sans rappeler une autre agression survenue dans l'été. Le 7 août dernier, le compte Twitter Wake Up Amiens, publiait une vidéo dans laquelle on voit une femme de 21 ans et son amie se faire insulter gratuitement à un arrêt de bus. "Vous avez vu comment vous êtes habillées ? Vous êtes des putes", hurle un homme aux deux femmes.
 

"Montrer ce que je subissais au quotidien"

"Je rentrais du sport avec une amie, elle m'accompagnait jusqu'à l'arrêt de bus. J’étais encore en short et en t-shirt parce qu'il faisait chaud. Et c'est là qu'un jeune homme s’approche en nous criant dessus. Il n'avait pas l’air d'être dans un état normal", raconte-t-elle au téléphone. 
 

C’est quelque chose qui arrive très souvent. Que je sois seule ou avec des amies

Etudiante de 21 ans



Les insultes et jugement à leur encontre fusent. Premier réflexe de l'étudiante de 21 ans qui a préféré rester anonyme, prendre son téléphone et filmer la scène. "C’est quelque chose qui arrive très souvent. Que je sois seule ou avec des amies. Cette fois-ci j'ai voulu montrer ce que je subissais au quotidien", souffle-t-elle. 

Une parole de plus en plus libérée

À la suite de ce tweet de nombreuses femmes ont fait part sur les réseaux sociaux de leur mal-être dans les rues de la capitale picarde :  "Amiens c'est de pire en pire", "voilà pourquoi tu ne veux pas être seule dans Amiens", peut-on lire dans les retweets de la vidéo. Des témoignages qui révèlent d'une part que la parole des femmes agressées se libère, mais aussi que les agresseurs se montrent de plus en plus décomplexés, avec une violence de plus en plus assumée. 

Être une femme seule dans la rue à Amiens, c'est clairement l’enfer

Axelle, étudiante en philosophie à Amiens


Dans les rues d'Amiens, le climat est tendu. "Être une femme seule dans la rue à Amiens, c'est clairement l’enfer", rapporte Axelle, étudiante en philosophie de 19 ans. "Un soir je rentrais chez moi toute seule après avoir bu un verre à Saint-Leu, se souvient-elle. Des mecs passent en voiture, ralentissent, se mettent à mon niveau  « Ah bah t’es mignonne, tu rentres avec nous ? ». 
 

C’est fatigant de se dire qu’à chaque coin de rue et à tout moment, il y a presque obligatoirement quelqu’un qui va insister pour te parler, ou plus…

Léa, étudiante en droit et anglais


"C’est fatigant d’être une femme à Amiens aujourd’hui. C’est fatigant de se dire qu’à chaque coin de rue et à tout moment, il y a presque obligatoirement quelqu’un qui va insister pour te parler, ou plus…" , se désole Léa, étudiante de 18 ans qui rentre en fac de droit et d'anglais cette année.

"Quand j'avais 16 ans, se souvient-elle, j'étais devant mon lycée qui était près de la gare. J'étais en jupe. Je vois une voiture ralentir quand elle passe devant moi. Au début je ne faisais pas tellement attention, sauf que la voiture a fait marche arrière pour se mettre à mon niveau. Les gars dans la voiture devaient avoir 23/24 ans. Pendant dix bonnes minutes, ils me draguaient ouvertement, dénonce-t-elle. Subir ça à 16 ans, c'est assez traumatisant..."
 

Oui sortir dans les rues, c’est risquer de se faire accoster et que ça tourne mal

Léa, étudiante en droit et anglais à Amiens



"Au quotidien, on reçoit des insultes quand on dit non à leurs avances, rajoute Léa remontée. On subit des comportements super oppressants dans n’importe quelle situation... Oui sortir dans les rues, c’est risquer de se faire accoster et que ça tourne mal". 

Des données inconnues par les services de police

"Je ne pense pas qu'il y ait plus de cas de harcèlement de rue à Amiens en ce moment, estime David Preud'homme, directeur départemental de la sûreté publique (DDSP) d'Amiens. Il y a la sensibilité des victimes qui augmente et la parole qui se libère". 

Il est difficile de quantifier le nombre de harcèlements de rue car ce délit n'est pas "une catégorie juridique à part entière, explique le chef de la police d'Amiens. On ne peut donc pas faire de statistiques". 
 

Le problème, c'est que beaucoup de victimes ne portent pas plainte par peur qu'il n'y ait pas de suites…

David Preud'homme, Directeur départemental de la sûreté publique d'Amiens



"Ce que l'on sait, c'est que le harcèlement existe et qu'il y a certainement un chiffre noir très important. Les victimes sont difficiles à identifier et à cerner", déplore-t-il. Le problème, c'est que beaucoup de victimes ne portent pas plainte par peur qu'il n'y ait pas de suites… Mais si une femme est victime d’une agression, il faut qu’elle le signale ! Il faut directement appeler le 17", insiste-t-il.

Peur de porter plainte

À l'image d'Axelle, qui déclare avoir été abusée par un homme alors qu'elle était sous les effets de l'alcool, la peur de porter plainte reste présente. "Quand je vois que quand on va porter plainte pour viol, certains policiers nous rient au nez ou nous demandent comment on était habillées, je me dis que ça ne sert à rien d'aller au commissariat quand on a été harcelée dans la rue… On sait que ça ne va mener à rien. Souvent on n’a pas le nom de notre agresseur, il faut pouvoir le décrire…" 

L'importance du signalement

Un sentiment que David Preud'homme espère démonter. "Si l’agression a lieu dans un endroit où il y a des caméras, comme la gare ou dans les bus… on peut retrouver l’agresseur. Il y a également plus d’écoute dans les services de police sur ces sujets là. On professionnalise l’accueil des victimes et la justice est beaucoup plus sensible". 

"J'ai compris qu’il faut tout filmer quand ça arrive pour qu'il y ait des suites quand on va porter plainte", explique l'étudiante de 21 ans agressée cet été. Suite à la publication de sa vidéo, la police d'Amiens l'a appelée pour la pousser à porter plainte. "Avant je pensais que ça ne servait à rien. Mais le policier m'a bien expliqué l'importance du signalement". 

Pourtant, mercredi 26 août, Jeanne, agressée à la gare d'Amiens est allée signaler à des policiers présents sur place ce qu'elle venait juste de subir. "Ils m'ont répondu que ça ne servait à rien de porter plainte parce qu'on ne pourrait pas les retrouver vu qu'ils étaient masqués", dénonce-t-elle. "On ne peut pas se permettre de dire ça ! On doit écouter les victimes", répond David Preud'homme, agacé par la réaction de ses hommes. 

La mairie se penche sur le problème

Depuis le 3 juillet, un poste d'adjointe au maire déléguée à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à l'aide aux victimes a été créé à la mairie. Fraîchement arrivée à ce poste, Nedjma Ben Mokhtar s'engage "à regarder ce phénomène de plus près", tout en assurant que "c'est un sujet que l'on connaît à la mairie"
 

Il y a une réelle volonté de la part de la mairie de s'occuper de ces problèmes. Nous allons creuser cette question sur le harcèlement de rue

Nedjma Ben Mokhtar, 4ème adjointe au maire, déléguée à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à l'aide aux victimes



"Il y a une réelle volonté de la part de la mairie de s'occuper de ces problèmes. Nous allons creuser cette question sur le harcèlement de rue. Il faut que les femmes soient mieux armées face à ça".  Mais aucune mesure pour limiter ce phénomène n'est évoquée pour le moment. Elle assure sa volonté de se rapprocher des associations pour travailler sur ce sujet.
 

À part éduquer sur le sujet, je ne vois pas ce qu’on peut faire

Léa, étudiante en droit et anglais


L'étudiante de 21 ans insultée à l'arrêt de bus réclame "plus de patrouilles de policiers dans les rues". De son côté Léa appelle à un travail en profondeur pour changer les mentalités. "Pour que les choses changent, il faudrait éduquer les hommes, dès l’école sur ces « pratiques ». Ne pas banaliser le harcèlement de rue, libérer la parole. À part éduquer sur le sujet, je ne vois pas ce qu’on peut faire..."
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