Le 22 juin 2024 marque la journée internationale du don d'organes. Encore aujourd'hui, cette question est méconnue d'une grande partie des Français et les hôpitaux peinent à trouver des donneurs. Certains patients doivent attendre plusieurs années avant de se faire greffer.
Monica Leyer attend un rein depuis 2018. Le délai s'allonge, certes, mais elle comprend la situation : "il y a des gens qui attendent depuis plus longtemps". C'est une façon pour elle de patienter sereinement et surtout, de rester réaliste. "On ne va pas tuer quelqu'un pour prendre un rein !", lance-t-elle ironiquement.
Cette greffe doit lui changer la vie, aussi bien d'un point de vue physique que psychique. Elle n'aura plus à venir au CHU d'Amiens plusieurs fois par semaine, attachée pendant des heures à une machine pour ses dialyses. Elle pourra également refaire du sport et partir en vacances, chose dont elle rêve depuis un moment. "Certes, on peut prendre des vacances sur l'année, il y a des centres de dialyse partout en France, mais ils n'ont pas forcément de place pour accueillir les vacanciers", nuance la patiente.
De plus, le centre de dialyse peut aussi être éloigné du camping ou de l'hôtel. "Et ce n'est pas la même chose, poursuit Monica. Vous avez toute la famille au bord de la mer et vous êtes à l'hôpital en train de vous faire dialyser. Ce n'est pas vraiment des vacances".
La greffe de rein est un don d’organe qu’on peut faire de son vivant. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui le savent.
Monica Leyer, en attente d'une greffe de rein
Monica note qu'avec une simple prise de sang, il est possible de savoir "si on est compatible ou pas. Il n’y a pas besoin de passer au bloc."
"Le corps restitué est nickel"
De son côté, Annie Finet a fait le choix de donner les organes de son mari, mort brutalement d'une rupture d'anévrisme il y a deux ans. "Quand il est arrivé à l'hôpital, l'équipe qui est remarquable m'a sollicitée et m'a demandé si mes enfants et moi étions d'accord pour donner ses organes", relate-t-elle. Sa décision s'est prise naturellement car il est essentiel pour elle que "la vie se prolonge en donnant ses organes".
Le problème qui s'est posé, "c'est ce qu'on donne comme organes". Lorsque le sujet des yeux est venu, les enfants d'Annie ont pensé que leur père serait énucléé. "Je leur ai expliqué qu'on fait une greffe de cornée et qu'en plus, le corps restitué est nickel, donc il n'y a aucune crainte à avoir".
Annie a même pris l'habitude de prendre des nouvelles des greffés auprès de l'hôpital, qui en donnent à ceux qui le demandent. "C'est vraiment un sujet qui me tient à cœur. On m'a dit aujourd'hui qu'il y a beaucoup de refus". Une chose qu'elle ne saisit pas : "je ne comprends pas qu'on refuse que des gens puissent continuer à vivre grâce à la greffe".
"La décision n'est pas du tout évidente"
Le professeur Michel Slama, chef de service adjoint de médecine intensive et réanimation au CHU d'Amiens, souligne que la décision n'est généralement pas évidente. S'il y a des familles qui répondent positivement à la demande de don d'organes "parce que la personne s'était déjà exprimée très clairement", d'autres hésitent ou répondent par la négative. "Il faut que toutes les familles puissent discuter de ce sujet qui est difficile, insiste le professeur. Ça permet de savoir ce que veut notre proche".
Si la réponse est négative, les équipes tentent de "laisser du temps au temps" et continuent de réanimer le patient, même s'il est en état de mort cérébrale. Le but est de maintenir les organes en vie, en espérant que la famille change d'avis. "On essaie d'expliquer à la famille sans la forcer" en lui demandant de réfléchir à ce que le patient aurait voulu, même s'il ne l'a pas exprimé. "Quels sont les éléments dans son comportement, dans sa vie de tous les jours, qui laisseraient penser qu'il serait en accord ou en désaccord avec un prélèvement d'organes ?"
Parfois, c’est beaucoup plus compliqué parce qu’il y a des aspects religieux, mal connus, ou parce qu’il y a clairement eu une réticence de la part de la personne qui est en état de mort encéphalique.
Professeur Michel Slama
Marie-Christine Mellor, infirmière de coordination des dons d'organes, abonde en ce sens : "notre difficulté quotidienne, c'est que les gens n'en parlent pas, quelle que soit leur décision, ils la gardent un peu pour eux. On ne parle pas de ça à la maison, et ça nous simplifierait tellement la vie qu'ils le fassent", assure-t-elle.
Le rôle des infirmières coordinatrices est de passer le matin dans tous les services de réanimation et de s'entretenir avec les équipes en charge des patients. Le but : qu'ils puissent leur signaler des donneurs potentiels, "donc des gens qui sont dans un état neurologique grave, en général", déclare sa collègue, Johanna Gabbai. Il arrive que leur état évolue favorablement, "donc c'est tant mieux". Néanmoins, quand le contraire se produit, que l'état neurologique se détériore et qu'ils se retrouvent en état de mort encéphalique, "un projet de don d'organes est potentiellement envisageable".
"On est à plus de 50% d'opposition dans les Hauts-de-France"
Depuis 1976, tous les Français sont présumés donneurs d'organes, sauf refus explicite exprimé ou inscription au registre national des refus. "En France, on peut le dire de son vivant à son proche, à son médecin traitant, sur un papier libre", rappelle Marie-Christine Mellor.
C’est toujours un questionnement difficile dans un moment compliqué de sidération psychique, dans un état de choc lié à une situation douloureuse.
Johanna Gabbai, infirmière de coordination de dons d'organes
L'infirmière regrette qu'aujourd'hui, "on ne donne pas plus". Elle a le sentiment que les gens "se replient un peu sur eux" et observe une "colère" sociale. De ce fait, aider les autres devient secondaire et "pour nous, c'est vraiment une difficulté". Les chiffres ne sont d'ailleurs pas bons dans la région. "On est à plus de 50% d'opposition dans les Hauts-de-France et c'est la région avec l'Île-de-France qui a des chiffres d'opposition aussi hauts".
C'est pourquoi la sensibilisation est essentielle pour expliquer aux Français l'importance du don d'organes et les modalités dans lesquelles il se produit.
Avec Sophie Crimon / FTV