Olivier a 27 ans, il est autiste. Sa mère, Marie-Hélène, lance un cri d'alarme. La structure qui s'occupait de lui veut renoncer car il a été agressif au téléphone avec une de ses représentantes. Ce n'est pas la première fois que cette mère de famille se sent "lâchée" par les institutions. Cette femme de 64 ans se retrouve seule et en danger.
Marie-Hélène dans une commune rurale à l'ouest de Toulouse avec son fils Olivier*, qui souffre d'autisme sévère. Si elle témoigne aujourd'hui, c'est qu'elle se sent à bout. Il était jusque-là suivi par le PCPE (Pôle de compétences et de prestations externalisées) qui permet un accompagnement et une réponse aux besoins des personnes handicapées par la mobilisation de professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux.
"Ils avaient monté un projet avec lui qui était d'aller dans un foyer de vie avec des personnes qui sont comme lui, sauf qu'Olivier, à l'époque, n'était pas d'accord, explique Marie-Hélène. Ils ont réussi plus ou moins à le décider. Quand il est allé le visiter, ça ne lui a pas plu du tout. Le projet est donc tombé à l'eau. Suite à ça, le PCPE n'étant pas précis dans les rendez-vous, ni quoi que ce soit, Olivier, de temps en temps, piquait des crises de colère jusqu'à insulter les gens. Ça fait partie de son handicap".
"Il a eu un avertissement, puis il a recommencé. Et à partir de là, le PCPE a décidé qu'il abandonnait son suivi. J'ai bataillé ce matin une heure pour qu'ils le reprennent en parlant du fait que j'allais alerter les médias car on n'est pas les seuls dans ce cas".
Une détresse abyssale
Marie-Hélène a obtenu un sursis. L'organisme va suivre Olivier jusqu'à ce qu'il trouve un logement mais ensuite il devra se débrouiller. Or une personne autiste, explique encore Marie-Hélène, c'est une personne qui répond à un fonctionnement particulier. Il faut être précis dans les choses, dans le temps... Et surtout, il a besoin d'un accompagnement. Le père du jeune homme est présent mais démuni car son fils refuse son aide. Une éducatrice que paie Olivier devrait prendre le relais avec son curateur pour trouver d'autres accompagnements.
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Mais aujourd'hui, la mère de famille se retrouve seule avec un sentiment de déjà-vu et sa détresse paraît abyssale. "Il n'y a rien pour eux, explique-t-elle. Le jour où il a quitté l'hôpital de jour, il avait 18 ans, on lui a dit : merci, au revoir. Depuis il n'y a plus rien". Le couple qu'elle formait avec le père d'Olivier n'a pas tenu face à une telle adversité, explique-t-elle.
Olivier a pris 30 kilos en 2 ans d'après sa mère. Il ne sort plus de la maison. Elle a dû trouver une maison de village avec un jardin pour qu'il mette un peu le nez dehors. Elle pensait qu'il pourrait aller faire les courses mais ce logement implique un coût financier élevé.
Toutes les démarches entreprises pour insérer Olivier ont été vouées à l'échec car il est hypersensible au bruit, aux odeurs. Or les propositions, l'une après l'autre, se sont révélées inadaptées, résume la mère de famille. "Les organismes abandonnent à chaque fois", commente-t-elle dépitée.
"On est seul, on est abandonné"
"Ce sont des personnes qui ont un handicap invisible, assène cette mère au bout du rouleau. Il faut accepter que les choses ne se passent pas bien pour eux et qu'ils aient des réactions assez violentes. Il faut peut-être punir ces réactions, mais ne pas arrêter une opération qui est en train de se faire".
Marie-Hélène se trouve face à son fils, un adulte aujourd'hui, qui pique des colères qu'elle estime d'une violence inouïe. Elle se sent fréquemment en danger. "Les équipes m'ont dit que j'étais en danger, témoigne-t-elle. Et malgré tout, rien ne se passe. Je ne peux que sortir en courant de ma maison et attendre dehors que ça passe".
"Une fois, j'ai appelé le SAMU pour leur dire que j'étais en danger. Ils m'ont demandé s'il était passé à l'acte. Comme je répondais "non, pas encore", ils m'ont dit "alors on ne se déplace pas". Et des histoires comme ça, je peux en raconter à la douzaine, nous parents, on est seul, on est abandonné".
Ça va faire bientôt dix ans qu'Olivier est livré à lui-même. Il n'intéresse personne, déplore sa mère qui remarque que des centres existent pour les personnes autistes Asperger. "Les personnes autistes déficientes mentales ont leur place aussi mais les personnes autistes qui n'ont pas de dons particuliers, qui sont tout à fait lambda, n'intéressent absolument personne".
Frustration et colère
Pourtant Olivier a des rêves. Il se voyait travailler dans le bâtiment, mais ses crises d'épilepsie ont stoppé net ses ambitions. Il se rêvait mari et père de famille épanoui mais il ne rencontre personne et se trouve mis à l'écart, depuis toujours. Quand il rencontre des gens, il est exclu du cercle qui se crée au fur et à mesure que sa différence apparaît et se retrouve en dehors. Un rejet récurrent et douloureux qu'il ne comprend pas et qui alimente sa frustration et sa colère.
"J'ai 64 ans, j'approche plus de la mort que de la vie, dit sa mère. Je ne sais pas où ira mon fils s'il se passe quelque chose. Je ne sais pas ce qui lui est réservé. C'est désespérant de voir à quel point il n'y a rien et comme ça ne motive personne. À un moment, il est allé faire une remise à niveau dans un organisme. Il fallait écrire. Or Olivier écrit très mal et ne supporte pas les ratures. Chaque fois qu'il faisait une rature, il prenait la page d'après, il réécrivait. Ça lui a créé des maux de tête pas possibles. Il voyait qu'il ne suivait pas. Et il n'y avait que des toilettes communes, or il ne peut pas aller dans des toilettes communes. Le soir, il m'a dit "je ne veux pas y aller, je ne veux plus y aller".
"On lui a proposé un travail qui consistait à plumer de la volaille. Mais il ne mange pas de viande car il ne supporte pas qu'on tue des animaux. Donc ça a été un échec".
Depuis tout petit, ça n'est que de l'échec, de l'échec, de l'échec.
Marie-Hélène, mère d'Olivier
"On lui demande de faire des efforts, c'est ce qu'il fait à chaque fois. Mais on ne tient pas compte de son handicap, de sa façon de fonctionner. Il en est très malheureux. Il en est dépressif avec des idées suicidaires et ça provoque des crises de violence".
Olivier est suivi par une psychiatre avec qui il a rendez-vous une fois par mois, voire tous les deux mois. D'après sa mère, elle ne sait rien ou pas grand-chose de son handicap car elle ne creuse pas le sujet avec lui. Elle lui prescrit des médicaments et son rôle s'arrête là. Secret professionnel oblige puisqu'il est adulte, les parents ne peuvent être en contact avec elle.
Pour Marie-Hélène, il existe une multitude de jeunes handicapés qui ne sont pas pris en charge et végètent chez eux alors que des personnes compétentes qui prennent en compte les spécificités de leurs pathologies pourraient leur venir en aide.
"Quelle est leur place dans la société ?", demande cette mère qui constate que son fils est traité comme un "cas" mais pas considéré comme une personne avec sa personnalité, ses aspirations, ses rêves. "Ce sont des jeunes qu'on retrouve SDF, ou qui sont en HP (hôpitaux psychiatriques) sous camisole chimique et les parents abandonnent, parce qu'on en crève de ça !" dit Marie-Hélène dans un souffle.
*Pour protéger son fils, Marie-Hélène a demandé à ce que son prénom n'apparaisse pas, tout comme leur nom de famille.