Depuis début mars, il n'est plus obligatoire d'étiqueter l'origine du lait. Éleveur à Grivillers (Somme), Jérôme Tassart estime la filière laitière française menacée, déjà en mal de rentabilité et d'attractivité auprès des jeunes. Il demande une revalorisation du prix du lait, inchangé en 25 ans.
Jérôme Tassart est à bout. "Aujourd'hui, on prend le paysan pour un con !" gronde cet agriculteur, à la tête d'un troupeau de 160 vaches laitières à Grivillers, tout près de Roye. Lorsqu'il a commencé à produire du lait il y a une vingtaine d'années, "quasiment chaque village avait son éleveur laitier. Aujourd'hui, je suis le dernier du canton." Le Picard s'inquiète pour la filière française, menacée par la précarisation des éleveurs et la concurrence étrangère.
Car le 11 mars 2021, le Conseil d'État a annulé l'arrêté obligeant les industriels à étiqueter la provenance du lait, jugeant cette décision de 2016 "discriminatoire". Pour Jérôme Tassart, c'est une aberration. "Les laits étrangers sont bien plus compétitifs que le nôtre. Grâce à cette annulation, des groupes comme Lactalis vont pouvoir vendre du lait de Nouvelle-Zélande, dont la production revient bien moins cher que chez nous, aux consommateurs sans leur indiquer son pays d'origine," soupire l'agriculteur.
Face à deux bouteilles de lait sans origine indiquée, le consommateur sera tenté de prendre la moins chère. Sauf que le lait qu'elle contient pourrait avoir traversé le globe après avoir été déshydraté puis réhydraté. La situation est paradoxale. "D'un côté, on exhorte les Français à consommer les produits français. Et de l'autre côté, on facilite les choses pour les industriels et la grande distribution qui vendent du lait importé", tempête Jérôme Tassart.
De plus en plus difficile de vivre du lait
L'abandon des étiquettes d'origine du lait vient nourrir une situation déjà peu reluisante pour les éleveurs laitiers. Depuis des années, ces derniers - à l'image de Jérôme Tassart - militent pour une revalorisation du prix du lait. L'éleveur picard ressort des fiches datant de 2011 : il était rémunéré 322 € pour mille litres de lait, contre 323 € ce premier trimestre 2021.
"Ça n'a pas bougé depuis 25 ans, malgré l'inflation et alors que nos charges ont été presque multipliées par deux. Acheter un tracteur, ça revient deux fois plus cher aujourd'hui qu'en 2000", soupire l'agriculteur. La sécheresse qui sévit depuis deux étés et fait racheter du fourrage aux agriculteurs ainsi que l'explosion des prix des céréales et protéines (soja et colza) entraîne une augmentation de 50 euros pour mille litre de lait produits par rapport à 2018. Suite aux états généraux de l'alimentation, le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) a estimé une rémunération décente à 400 euros les mille litres.
Lorsqu'on demande aux grandes surfaces ou aux coopératives d'adapter les prix, on se voit tout le temps répondre "non". C'est une véritable mafia. (...) On n'est pas soutenu par le gouvernement. On a l'impression qu'il ne dit rien du tout pour maintenir à tout prix le pouvoir d'achat des consommateur en cette période difficile,
Ce silence inquiète les agriculteurs français, pour qui la situation devient de plus en plus difficile financièrement. "Tout le monde veut arrêter," assène le Grivillerois.
D'ici 5 ans, les exploitations vont toutes sauter. Les jeunes ne veulent plus reprendre : ça ne passe plus financièrement, ce n'est plus rentable. Et être laitier, c'est prenant : on travaille 365 jours par an et 7 jours sur 7, même le jour de Noël. On dit ça aux jeunes, c'est terminé !
Laitiers ou non, les agriculteurs continuent de se mobiliser. Après des manifestations en Bretagne, à Clermont-Ferrand et à Lyon le 25 mars, ils comptent bien se faire entendre par le gouvermenent pour qu'il impose aux distributeurs une meilleure rémunération des éleveurs.