L'histoire du dimanche - C'est encore aujourd'hui une légende de l'aviation. L'as des as, le pilote allemand Manfred von Richthofen, une véritable terreur pendant la Grande Guerre. À tel point que les anglais le surnommaient "le Baron rouge", le "Diable rouge", pour les Français. Et c'est à Vaux-sur-Somme, près de Corbie, qu'il meurt, en avril 1918, abattu, à bord de son Fokker, son fameux triplan de couleur rouge. Il a alors 25 ans.
Manfred von Richthofen voit le jour le 2 mai 1892 à Kleinburg, près de Breslau, en Silésie. Une ville rattachée à la Pologne en 1945 et qui s'appelle désormais Wroclaw. "Il naît dans une famille de petite noblesse. Son père est officier de cavalerie", nous explique Yves Potard, président de l'association franco-australienne "Le Digger - Cote 160" à Pozières, dans la Somme. Une association qui œuvre au souvenir des 23 000 soldats australiens morts durant la terrible bataille de Pozières. "C'est un élève moyen. Il aime surtout la chasse et le sport. Il est réputé aussi pour sa hardiesse. On raconte, que le jeune von Richthofen a même réussi à accrocher son mouchoir au clocher de l'église !".
C'est un tout jeune adolescent lorsque ses parents l'envoient à l'école des cadets à Berlin. "Il en sort à 20 ans, avec les épaulettes de sous-lieutenant". Il est aussitôt affecté au régiment des "Uhlans", ces cavaliers lanciers qui servent dans les armées de Pologne, d'Autriche, de Prusse et d'Allemagne. "Ce qui correspond parfaitement à son goût prononcé pour le cheval", nous explique Yves Potard.
La tourmente de la Grande Guerre et les débuts de la carrière militaire du jeune von Richthofen
Le 28 juin 1914, l'Archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo, un attentat qui va déclencher, un mois plus tard, la terrifiante mécanique de la Grande Guerre. "Lui est tout d'abord affecté en Russie", précise Yves Potard, "et ses premières escarmouches il les connaît contre les cosaques, les cavaliers russes engagés auprès des Alliés". "Le 21 août 1914, il passe en Belgique puis en France. Dans un premier temps, les Allemands se dirigent vers la Marne, où ils sont stoppés net. Et malgré les tentatives de débordement de part et d'autre, le front va finalement s'enliser et les armées, qui se font face, s’enterrent dans les tranchées".
Je ne suis pas venu faire la guerre pour aller chercher du beurre, du fromage et du lait, mais pour me battre.
Manfred von Richthofen, selon Yves Potard, président de l'association franco-australienne "Le Digger-Cote 160" (Pozières, Somme)
Richthofen, lui, est du côté de Verdun, toujours à cheval et en charge du ravitaillement. "Ce qui lui déplaît profondément" précise Yves Potard. "Il dira même : 'je ne suis pas venu faire la guerre pour aller chercher du beurre, du fromage et du lait, mais pour me battre' ". Il demande alors son affectation dans l'aviation, balbutiante à l'époque.
Nous sommes en 1915. "Cela fait 6 ans que Blériot a traversé la Manche. Et l'on prend alors conscience de l'importance cruciale que peut avoir l'aviation, pour des missions de reconnaissance et d'observation, en temps de guerre notamment", ajoute Yves Potard. "Nombreux d'ailleurs, seront les cavaliers, issus de la haute société, qui se reconvertiront pour devenir pilotes militaires. On les reconnaît d'ailleurs au fait qu'ils s'installent du côté gauche de l'habitacle, par habitude de porter l'épée à droite".
1915 : Une rencontre déterminante
Au printemps 1915, déçu de ne pas participer plus activement à des opérations de combat, Richthofen demande son affectation dans la nouvelle force aérienne de combat, qui préfigure la future Luftwaffe. Sa demande est acceptée. En octobre de la même année, lors d'un déplacement en train vers Metz, il rencontre Oswald Boelcke, un as de l'aviation qui comptabilise 40 victoires. Les deux hommes échangent sur les prouesses de Boelcke, à l'origine par ailleurs des premiers principes du combat aérien. Von Richthofen est subjugué.
C'est décidé, il sera lui aussi pilote d'avion de chasse ! "Il est formé à l'école d'aviation à Cologne. D'abord sur des bombardiers, dédiés à l'observation. Puis sur des biplaces type 'Albatros', avec à leur bord, un pilote et l'observateur, souvent armé", précise Yves Potard. "Et le 21 juin 1915, il est affecté en Russie. Il n'occupe encore que la place de mitrailleur". Mais cela va bientôt changer...
Premiers coups d'essai, premiers coups de maître
Le 1er septembre 1915, Manfred von Richthofen livre son premier combat contre un avion d'observation britannique, un Farman. Une sorte de répétition générale avant sa première victoire, non homologuée... "Fin septembre, revenu sur le front français, en Champagne, il vise à nouveau un Farman. Lui est toujours à bord de son Albatros. Il tire une centaine de cartouches", raconte Yves Potard. "Mais l'appareil s'écrase côté britannique. Or, à l'époque, pour qu'une victoire soit homologuée, il faut soit un témoin direct soit que l'avion s'écrase en zone allemande. Cette victoire n'est donc pas mise à son actif".
Il est recalé à son examen de pilote, aussi incroyable que cela puisse paraître !
Yves Potard, président de l'association franco-australienne "Le Digger-Cote 160" (Pozières, Somme)
Suit une période de turbulences pour le jeune et fougueux pilote allemand. "Il est recalé à son examen de pilote, aussi incroyable que cela puisse paraître !" nous explique Yves Potard. "Il faut dire que les avions sont essentiellement fabriqués avec de la toile, ce qui les rend très légers et sensibles au moindre changement de météo ou de vent". Mais son éducation prussienne l'incite à tenir bon.
Et en avril 1916, il est affecté à Verdun, au sein de la 2e escadrille. "Il abat un Nieuport 11, un avion français, mais une fois encore, sa victoire est non homologuée car l'appareil tombe derrière les lignes françaises".
Et le Fokker vint...
À la fin du mois d'avril 1916, von Richthofen vole pour la première fois à bord d'un appareil de fabrication allemande, le Fokker Eindecker. Terminé le mitrailleur qui tire de façon latérale. L'arme est désormais située sur le nez de l'avion. "Grâce à un système dit 'de tiers constitué', les balles ne touchent pas les hélices", nous explique Yves Potard.
Une trouvaille française à l'origine. "Le système a été mis au point en 1914 par Raymond Saulnier, un ingénieur aéronautique et testé par l'aviateur Roland Garros. Mais lors d'un combat, celui-ci a été contraint de se poser en urgence et les Allemands ont alors découvert ce système qui sera perfectionné par Antony Fokker, un ingénieur hollandais qui vit en Allemagne". Une innovation qui séduit immédiatement Manfred von Richthofen. Tirer à travers l'hélice, de face, c'est plus rapide et plus facile. "Désormais, il peut à la fois piloter, viser et tirer grâce à cette synchronicité entre la mitrailleuse et la rotation de l'hélice".
L'entrée dans une prestigieuse escadrille aérienne allemande : la Jagdstaffel ou Jasta 2
Le 11 août 1916, von Richthofen est recruté par son mentor, Oswald Boelcke qui cherche de nouveaux pilotes. "Un honneur", explique Yves Potard, "car Boelcke est considéré à l'époque comme l'as des as. Il a des dizaines de victoires à son actif et il est le premier pilote à avoir obtenu la Croix pour le Mérite". Boelcke est un tacticien né. "Il enseigne à ses pilotes à combattre avec le soleil dans le dos, à ne pas tirer de rafales en continu mais à s'approcher au plus près de la cible".
Mais Boelcke perd la vie bêtement, le 28 octobre 1916, près de Bapaume, dans le Pas-de-Calais. Touché en plein vol par la roue d'avion d'un de ses pilotes, il part en vrille et meurt. Richthofen, lui, commence à forger sa légende. Près de Bapaume encore, en novembre 1916, il abat l'as de l'aviation du Royal Flying Corps, le pilote anglais Lanoe Hawker. Ce qui lui vaut d'être nommé chef du Jasta 2 et d'être distingué par la croix de l'Ordre du Mérite avec déjà 16 victoires à son actif.
Le Baron rouge, un mythe soigneusement entretenu
Entre le 23 janvier et le 23 avril 1917, l'escadrille dirigée par Richthofen, abat une centaine d'avions ennemis, des appareils britanniques. "C'est à cette époque qu'il fait peindre son avion en rouge", nous dit Yves Potard. "Une façon bien sûr d'être repéré. Une sorte de fierté orgueilleuse. Par tactique aussi, pour attirer l'attention de l'ennemi, pendant que ses camarades survolent la couverture nuageuse avant d'attaquer".
Dans son pays, il devient un mythe et le Kaiser Guillaume II le considère comme l'as des as. Des affiches à son effigie sont même placardées un peu partout dans le pays. Un symbole positif pour l'Allemagne mais trempé dans le sang des pilotes, nombreux, qui perdent la vie pendant la 1re Guerre Mondiale.
C'est durant cette bataille que Richthofen sera surnommé le 'Baron rouge' par les Anglais et 'Diable rouge' par les Français qui ne l'ont pourtant jamais affronté.
Yves Potard, président de l'association franco-australienne "Le Digger-Cote 160" (Pozières, Somme)
"Ainsi, en avril 1917", nous raconte Yves Potard, "durant la terrible bataille d'Arras, surnommée 'Bloody April' par les Anglais, l'armée britannique perd 316 de ses 730 pilotes engagés. Et 151 de ses avions seront abattus contre 66 côté allemand. 21 victoires sont à mettre à l'actif du Baron rouge." Des chiffres terribles. À cette époque, on estime à 15 jours l'espérance de vie d'un pilote.
Des pilotes souvent formés à la va-vite, faute de temps. "Les allemands sont plus expérimentés et c'est durant cette bataille que Richthofen sera surnommé le 'Baron rouge' par les Anglais et 'Diable rouge' par les Français qui ne l'ont pourtant jamais affronté", conclut Yves Potard.
Juillet 1917 : Premier accroc à la légende
Le 6 juillet 1917, le Baron rouge est en patrouille dans la zone d'Armentières, dans le Nord. Mais le tir d'un aviateur anglais le touche à la tête et il revient engourdi, sonné. Il sera soigné mais il souffrira jusqu'à la fin de sa vie de maux de tête. On note aussi un caractère devenu irascible. Il reprend néanmoins du service 20 jours plus tard, "sur le dernier-né des Fokker" raconte Yves Potard.
"Le Dr I, un triplan équipé d'un moteur de 110 chevaux, armé de deux mitrailleuses synchronisées sur le capot avant et contenant 500 cartouches chacune. L'appareil vole à 185 km/h. Et puis son envergure est plus courte, ce qui rend l'avion plus maniable ; il vire plus vite".
Le Baron rouge expérimente son nouvel appareil alors qu'en cette année de 1917, un armistice vient d'être signé avec la Russie. Les armées allemandes quittent l'est pour l'ouest, où il y a urgence : les contingents américains arrivent en masse sur le sol français pour y combattre aux côtés de leurs alliés et contre l'Allemagne.
La fin d'une légende : dernière mission pour le Baron rouge
Nous sommes un dimanche, en ce 21 avril 1918. Le temps est brumeux, froid. Manfred von Richthofen se trouve alors à Cappy, dans la Somme, en compagnie de son cousin, Wolfram, venu le rejoindre. Le Baron rouge a 80 victoires à son actif. Il est au sommet de sa gloire.
Avant de prendre son envol, il prend une photo avec son fidèle Moritz, son chien, qui l'accompagne partout. Or, (...) prendre une photo avant un départ est un mauvais présage.
Yves Potard, président de l'association franco-australienne "Le Digger-Cote 160" (Pozières, Somme)
"En milieu de matinée, des pans de ciel bleu percent le brouillard. Et la Jasta est informée que des avions britanniques survolent la région d'Albert, à moins de 15 km de là", nous raconte Yves Potard. "Avant de prendre son envol, il prend une photo avec son fidèle Moritz, son chien, qui l'accompagne partout. Or, dans le milieu, une croyance veut que prendre une photo avant un départ est un mauvais présage. Ce à quoi le Baron rouge réplique que c'est pure superstition."
Puis c'est le départ et la Jasta ne tarde pas à tomber nez à nez avec une escadrille du Royal Flying Corps, composée de pilotes anglais et canadiens. "Wilfrid May, une jeune recrue, tire sur l'avion rouge, reconnaissable entre tous. Mais sa mitrailleuse s'enraye et le Baron rouge le prend en chasse. May descend à très basse altitude, le plus bas possible, à une quinzaine de mètres au-dessus de la Somme, pour lui échapper. Arthur Roy Brown, un Canadien, qui commande l'escadrille, vole au secours de May. Et là, les choses deviennent confuses", précise Yves Potard.
Richthofen est touché par une balle (...) et succombe quelques secondes plus tard, toujours assis, aux commandes de son appareil, intact. Il a 26 ans.
Yves Potard, président de l'association franco-australienne "Le Digger-Cote 160" (Pozières, Somme)
"Richthofen est touché par une balle, au niveau du cœur. Il ne meurt pas tout de suite. Il pose son avion sur la route entre Vaux-sur-Somme et Corbie, en zone ennemie, et succombe quelques secondes plus tard, toujours assis, aux commandes de son appareil, intact. Il a 26 ans."
Qui a tué le Baron rouge ?
Ce sont les soldats australiens, sortis des tranchées qui se trouvent à proximité du lieu de l'accident, qui découvrent l'appareil et le pilote. On attribue d'abord la victoire à Roy Brown, le pilote canadien qui a pris en chasse le Baron rouge.
Une victoire qui fait du bien au moral des troupes, embourbées depuis des années, dans les tranchées sanglantes de la Somme. "Bien des années plus tard, des études balistiques poussées, tendent à prouver que le tir fatal au Baron rouge provient du sol, car la balle qui l'a transpercé a été tirée du bas vers le haut", précise Yves Potard. "On penche désormais pour un tir des soldats australiens situés au sol, probablement depuis la colline Sainte Colette que Richthofen, qui volait à basse altitude, a contournée pour l'éviter".
Après la mort du Baron rouge, son escadrille de chasse sera commandée par Hermann Goering, futur ministre de l'Air et commandant de la Luftwaffe de l'armée de l'air, sous le régime nazi. "Pour démoraliser l'ennemi et annoncer la mort du Baron rouge, un avion britannique largue des messages au-dessus de l’aérodrome de Cappy, côté allemand". Mais ce combattant hors pair, cette terreur des airs, inspire le respect même de ses ennemis.
"Les Australiens l'enterrent dans le cimetière de Bertangles, avec les honneurs militaires. Puis, en 1919, son corps est transféré à Fricourt, dans la Somme toujours, dans ce qui est l'un des plus grands cimetières militaires allemand dans le département" précise encore Yves Potard.
Une figure héroïque pour les Allemands qui lui vouent un véritable culte. En 1925, on le fait transférer à Berlin où des funérailles grandioses sont organisées pour l'occasion. Enfin, le tout dernier voyage du Baron rouge s’effectue après la chute du mur de Berlin. Il repose désormais dans le caveau familial de Wiesbaden.
Des vies fauchées en plein vol
"Comme de très nombreux pilotes durant la Grande Guerre, la vie du Baron rouge fut très courte", nous dit en conclusion le président de l'association "Le Digger - Cote 160" à l'origine de la reconstitution du fameux Fokker rouge.
Une réplique parfaite, réalisée à Albert, dans une friche industrielle, après 2 500 heures de travail prises sur le temps libre des bénévoles. "Il faut savoir qu'à cette époque, les pilotes n'ont pas de parachute. Ils ne pouvaient que sauter de l'appareil ou brûler avec lui. Ils avaient toujours une arme pour se tirer une balle dans la tête, si nécessaire".
Qu'ils soient allemands, anglais, canadiens, australiens ou français, c'est toute une jeunesse qui a été fauchée en plein vol.
Yves Potard, président de l'association franco-australienne "Le Digger-Cote 160" (Pozières, Somme)
Pour Yves Potard, "il est fascinant de voir comme l'on peut utiliser certains hommes pour en faire des mythes, des légendes, des héros. C'est la même chose pour Georges Guynemer, abattu le 11 septembre 1917 près d'Ypres, en Belgique. Il est adulé par les pilotes français... Mais qu'ils soient allemands, anglais, canadiens, australiens ou français, c'est toute une jeunesse qui a été fauchée en plein vol".