Prix de l'essence : la lente asphyxie des transporteurs routiers, "si ça continue comme ça, on met la clé sous la porte avant l'été"

Alors que des pêcheurs, des agriculteurs et des transporteurs routiers bloquent les dépôts pétroliers de Brest et Lorient pour protester contre la hausse des prix du carburant, Vincent Verbeke, patron des Transports Verbeke à Essertaux dans la Somme, a fait le compte des dépenses en gasoil de son entreprise.

Au téléphone, Vincent Verbeke ponctue chacune de ses réponses à nos questions d'un " honnêtement, je ne sais pas comment on va faire" . Patron d'une  entreprise de transport routier à Essertaux dans la Somme, il avoue n'avoir " jamais connu un stress aussi fort qu'en ce moment". Et cela depuis 2003, date à laquelle les Transports Verbeke ont vu le jour. 

" Un stress et une angoisse" générés par les factures de gasoil de l'entreprise. Avec une flotte de 17 poids lourds de 44 tonnes, 2 de 26 tonnes et 2 camions porteurs, la cuve de l'entreprise se vide " en 18 à 21 jours à peu près. On la remplit toutes trois semaines/un mois." Pas moins de 50 000 litres. À peine de quoi faire les 10 000 kilomètres mensuels que parcourent les 27 chauffeurs de dans tous les Hauts-de-France, la Normandie et la région parisienne pour livrer les produits frais de leurs clients.

34 000 euros d'augmentation en trois semaines

Et ce ne sont pas les seuls chiffres qui donnent le tournis. " En règle général, on paie entre 46 000 et 48 000 euros à chaque fois qu'on remplit la cuve, détaille le chef d'entreprise . Et jeudi dernier, on a payé 82 000 euros. Ça fait un euro de plus par litre par rapport à la précédente facture, en trois semaines de temps".  Soit une augmentation de 34 000 € entre les deux paiements. Et Vincent Verbeke de rectifier : " ah non mais ce n'est pas une augmentation, c'est une catastrophe... En trois mois de temps, on n'a plus de trésorerie. Si ça continue comme ça, on met la clé sous la porte avant l'été" .

Et si, comme tous les acteurs du transport de marchandises et de voyageurs, Vincent Verbeke se fait rembourser une partie de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) par l'Administration, le montant reversé sur les comptes de l'entreprise ne compense assurément pas les dépenses en carburant : à 15,56 € par hectolitre, le  Service national douanier de remboursement et de délivrance de renseignements tarifaires contraignants rembourse à Vincent Verbeke 7 780 € sur la facture de 84 000 € pour remplir sa cuve de gasoil de 50 000 litres.

Une situation que tout le secteur français du transport routier vit depuis plusieurs semaines avec angoisse. Une angoisse qui s'est doublée d'un sentiment d'injustice à l'annonce le 11 mars dernier par Jean Castex d'une remise de 15 centimes par litre de carburant acheté par les particuliers. Un dispositif qui prendra effet le 1er avril et pour 4 mois a précisé le Premier ministre. "Cette mesure favorable aux citoyens français ne répond pas aux besoins urgents des entreprises du secteur", déplore la Fédération nationale des transports routiers dans un communiqué de presse du 14 mars.

Des besoins d'autant plus "urgents" que le secteur du transport routier pèse lourd ans l'économie nationale, notamment dans les Hauts-de-France : 

Rationnaliser les trajets

Et de réclamer au gouvernement, "alors que l’annonce des mesures du plan de résilience sont attendues cette semaine, une exonération des charges fiscales et sociales et non un report; une aide directe et ponctuelle par véhicule afin de prendre en compte l’impact des hausses brutales du carburant, des différents postes de coûts et de l’accord social signé début février et une révision mensuelle des prix des contrats publics de transport qui ne le prévoient pas". 

En attendant, depuis l'arrivée de la dernière facture de carburant, le personnel administratif fait le tour de l'ensemble des clients pour leur annoncer qu e "l'augmentation de nos tarifs qu'on avait prévue au 1er mars à 3%, ben elle va être plus élevée. Il faudrait qu'on augmente nos tarifs de 15%. Si on ne le fait pas, on est mort", s'angoisse Vincent Verbeke.

Une hausse des tarifs de l'entreprise qui pourrait lui faire perdre un nombre non négligeable de clients. Ce à quoi l'entrepreneur répond du tac au tac : "S'ils partent de chez nous pour aller voir ailleurs, franchement, ça ne sera pas différent chez les autres transporteurs que chez nous".

Alors pour ne pas trop consommer de carburant, Vincent Verbeke rationnalise les trajets de ses camions. Au point de parfois devoir refuser de charger certains de ses clients : "La semaine dernière, j'ai refusé d'aller prendre des marchandises chez deux clients qui sont loin et qui n'ont pas beaucoup à faire transporter. Pourtant, ce sont des clients fidèles. Ça m'a fait mal au cœur de leur dire non. Mais on ne peut plus se déplacer pour qu'une ou deux palettes vont nous coûter 50 € de frais."

Des hausses sur d'autres postes de dépenses

Et s'il n'y avait que le prix de l'essence qui augmente. Mais Vincent Verbeke doit faire face à d'autres hausses des prix : "les lubrifiants, les pneus qui ont pris 14% en un an, les additifs anti-polluants qui sont passés de 0,17€ du litre à 1,20 en deux ans de temps... Avant, ça augmentait un peu de 2 ou 3 centimes par ci par là et on arrivait à s'en sortir mais là... Tout augmente à une vitesse incontrôlable".

Sans compter la hausse du prix d'achat des camions. 14 % de plus en un an, selon Vincent Verbeke : "un camion qu'on achetait il y a un an 115 000 à 120 000 euros, on va l'acheter 140 000 aujourd'hui. Heureusement, les taux de crédit sont bas sinon on ne pourrait pas investir. J'ai commandé une remorque frigorifique en février : elle a augmenté de 9 000 euros par rapport à la même, exactement la même, que j'avais commandée en juin de l'année dernière. Et le fournisseur me met sur le devis que le prix pourra changer quand on sera livré dans un an. Et ça ne change rarement à la baisse".

Puiser dans la trésorerie va par ailleurs avoir pour conséquences de ralentir les investissements notamment dans le renouvellement des camions Des camions plus polluants à long terme car plus vieux.

"Comment on va faire nos marges dans ces conditions ? C'est ça qui m'inquiète. Et puis, on va finir par perdre des chauffeurs parce qu'ils habitent loin et que ça va leur coûter cher de venir travailler. Faut que tout ça s'arrête. Mais ça n'en prend pas le chemin..."

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