A l’école, comment les enseignants préparent et animent les dictées, comment les corrigent-ils ? La notation a-t-elle changé ou bien le zéro est-il toujours ce qui pend au nez de l’élève qui fait plus de dix fautes ? Qu'en pensent les enfants et leurs parents ? Nous les avons intérrogés.
En s’interrogeant sur l’histoire de la dictée et sa prépondérance dans l’enseignement du Français, hier comme aujourd’hui, nous avons questionné des enseignants, parents et des enfants sur leur rapport à cet exercice omniprésent à l’école et au collège.
Les pratiques pédagogiques, fort heureusement, évoluent. Pour ce qui est de la dictée, les institutrices et instituteurs ont désormais arrêté de compter un point en moins pour chaque faute et les dictées sont rarement notées - et très souvent préparées : les enseignants fournissent aux élèves une liste de vocabulaire en amont de l’exercice et les corrections sont collectives et participatives, pour ne plus être vécues comme des "punitions".
Les enseignants valorisent ce qui est réussi, les compétences acquises, plutôt que de sanctionner les erreurs commises. Certains proposent une phrase dictée au début de chaque cours de Français, dans un rituel destiné à dédramatiser l'exercice, à la place d'une dictée classique.
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Comment fait-on des dictées en classe en 2021 ?
Alexandra Pulliat est professeure de Français au collège Paul Langevin à Avion, dans le bassin minier du Pas-de-Calais. Elle prépare ses élèves de 3e aux épreuves du brevet, qui comportent une dictée d'un texte de 600 à 800 signes, associée à l'épreuve de réécriture, qui compte 10 points sur 40 en Français. N.B. : les élèves ayant des troubles DYS (dyslexie, dyspraxie, dysorthographie, etc.) font des dictées à trou pendant l’examen ou ont droit à un tiers temps supplémentaire pour rendre leur copie.
Pour Alexandra Pulliat, la dictée peut être au service de l'apprentissage régulier de l'orthographe, mais il ne faut pas la voir comme une finalité en soi. "Si la dictée était supprimée, ça ne changerait pas la face du monde", assène-t-elle. "On peut proposer toutes formes d'écrit aux élèves, et dans tout écrit, l'orthographe entre en jeu".
"On va considérer que c'est plus une photo de votre niveau à un instant t, mais ce n'est pas l'outil qui va permettre de progresser en orthographe", relativise-t-elle. D'ailleurs, l'enseignante constate que de nombreux adultes, pourtant biberonnés à la dictée durant leur scolarité, font de nombreuses fautes d'orthographe, dans les e-mails et courriers qu’elle reçoit, y compris de la part de ses collègues...
Si la dictée était supprimée, ça ne changerait pas la face du monde
Concrètement, Mme Pulliat propose des dictées une à deux fois par mois à ses élèves, mais surtout, comme de nombreux.ses collègues, elle a adapté sa méthode. Par exemple, elle fait participer ses élèves de 3e à la dictée d'ELA, l'association européenne contre les leucodystrophie (maladies génétiques affectant le système nerveux central), une dictée portant un message de solidarité.
A cette occasion, elle organise une rencontre entre ses collégiens et des écoliers en CM1 ou CM2 pour faire une dictée "négociée". Explication : par groupe de trois, les élèves travaillent ensemble pour remettre la meilleure copie, après échange et correction commune. "Oraliser, c'est une façon de conscientiser les règles, et les élèves sont dans un processus ludique", se réjouit l'enseignante en REP + (réseau d’éducation prioritaire) depuis de nombreuses années.
Cette année, en raison de la crise du coronavirus, la rencontre n'a pas pu avoir lieu. Alors Alexandra Pulliat a imaginé un autre procédé : les collégiens ont filmé des capsules vidéo qu'ils ont envoyées aux écoliers avec leurs corrections de leur dictée.
La dictée un exercice dépassé ou toujours remis au goût du jour ?
Anastasia Machado est enseignante de Français au collège Turgot à Denain, dans le Nord. Elle continue de faire environ deux courtes dictées par trimestre avec ses élèves, d'une longueur de 130 à 160 mots, toujours sur des textes classiques, puisque c'est le type de textes qui seront lus à l'épreuve du brevet. Et chaque vendredi, elle dicte deux phrases, qui sont corrigées collectivement au tableau.
Mais il y a d'autres façon de rendre la dictée plus attrayante, nous dit Mme Machado, comme la "dictée frigo". Il s'agit de faire la dictée d'un texte focalisé sur un point de la langue, par exemple l'accord du participe passé. Les copies sont ensuite rangées sans être relues ou corrigées et l'enseignante fait un cours sur la notion en question. Plus tard, les copies sont ressorties et les élèves se corrigent eux-mêmes, en se reposant sur les apprentissages tout frais.
Les enseignants sont formés à différentes méthodes, qui permettent de proposer des exercices d'orthographe de manière hétérogène et adaptée à tous les élèves. Il y a aussi la dictée barrée : un texte affiche certains mots barrés, qui sont mal orthographiés à dessein, et les élèves doivent découvrir quelle est l'erreur. On peut aussi faire une dictée "justifiée" : les élèves doivent expliquer à l'oral l'orthographe de certains mots surlignés.
Mme Machado reconnait qu'elle a nettement adapté sa pratique, pour "rendre distrayant un exercice qui peut paraître vieillot". Elle essaie "d'apporter du jeu en classe", et en orthographe comme en conjugaison, de "s'éloigner du Bescherelle".
La dictée est-elle un exercice utile ?
Sur le web, des enseignants partagent leur expérience de la pratique de la dictée en classe.
Sur le blog "La tanière de Kyban", une professeure des écoles raconte : "une collègue m’a fait découvrir sa façon de faire avec ses CM2 : chaque jour, il y avait un nouvel épisode d’une histoire et à la fin de la semaine, une évaluation sur l’un de ces épisodes. J’ai découvert plus tard qu’on appelle ces dictées les “dictées randonnées”. Le petit truc qui faisait aimer la dictée ? On avait envie de connaitre la suite !".
Puis elle questionne : "la dictée est-elle utile ? Après tout, des productions d’écrits autonomes et régulières (un peu comme le jogging d’écriture) n’auraient-elles pas le même effet du point de vue des compétences orthographiques ? Ce que je constate parfois, avec le jogging d’écriture, c’est que quelques élèves se limitent à ce qu’ils connaissent : toujours les mêmes structures, les mêmes expressions, les mêmes mots. Leur lexique est limité et, de ce fait, s’ils apprennent à le transposer à l’écrit, ils n’apprennent rien de nouveau ou trop peu.
Avec la dictée, l'enseignante estime que les élèves n'ont pas besoin de réfléchir à la construction de la phrase ou à la ponctuation, c'est-à-dire les deux premiers points de relecture. Pendant l'exercice, ils peuvent ainsi se concentrer sur la grammaire et l'orthographe.
A la maison, on se fait une raison
Nous avons également interrogé deux familles qui pratiquent l’IEF (instruction en famille), c’est-à-dire que ce sont les parents qui enseignent à leurs enfants, qui ne vont plus à l’école.
"Au début, je ne faisais pas de dictées, je pense entre autre parce que les enfants ne gardaient globalement pas un très bon souvenir de cet exercice de l’école", nous dit d’emblée Marie, mère de trois enfants (6, 9, et 11 ans), qui ont passé une année en IEF dans le Pas-de-Calais, avant d’intégrer une école fondée sur des pédagogies alternatives en septembre 2020.
J’ai ensuite acheté des petits cahiers de dictées par niveau. Mon idée était d’en faire une par semaine, je pense que c’était vers le mois de février. Et franchement, ça s’est révélé assez compliqué… Les enfants n’aimaient pas cet exercice, faisaient beaucoup de fautes, même pour des règles qu’en principe ils connaissaient (ex : le "s" au pluriel).
"Mon point de vue personnel est que la dictée est un exercice assez stressant, en tous cas à l’école, et qui peut facilement mettre les enfants en échec. Je trouve que c’est plus sympa de travailler l’orthographe, la grammaire ou la conjugaison à travers des productions d’écrits des enfants, sur des sujets qui les intéressent. Et puis, cette situation d’écrire sous la dictée de quelqu’un, c’est quand même très artificiel, non, ou d’une autre époque ?", conclue-t-elle, avec malice.
"On mise tout sur le plaisir d'apprendre"
Hélène, dans la métropole lilloise, a trois filles de 8, 10 et 14 ans. Après avoir connu une scolarité classique, les trois soeurs font désormais l'école à la maison, avec leurs parents qui ont aménagé leurs temps de travail, depuis deux ans. La dictée est un exercice qu'elles n'ont pas oublié pour autant...
Leur mère, Hélène, explique : "Nous avons constaté avec Amandine (l’aînée) qui a été scolarisée jusqu'en 5ème, qu'elle avait d'excellents résultats en dictée en primaire. Entrée au collège, lors des prises de notes des cours par exemple, nous avons remarqué qu'elle faisait beaucoup de fautes. En primaire, les dictées étaient préparées avec l'institutrice, et Amandine activait sa très bonne mémoire pour "recracher" ce qu'on attendait d'elle. On était sur de la mémoire courte et sur un apprentissage pour autrui et non pour soi, donc totalement inefficace".
Amandine a aujourd’hui 14 ans, et elle se prépare au brevet. Les dictées, ce n’est pas vraiment son truc ! "Les dictées à l'école on en faisait régulièrement et c'était pas drôle, car on ne comprenait pas forcément le sens du texte. J'avais des bonnes notes mais je n'aimais pas le faire, mauvaise ambiance et un gros stress de ne pas réussir. En IEF, en 4eme je n'en ai pas fait. En 3e, cette année, j'en fais pour me préparer au brevet, je trouve les textes durs, le sens des phrases est difficile. Ils font exprès de mettre des pièges sur des mots que personne ne connait. Je fais des dictées uniquement car il y a cette épreuve au brevet". La jeune fille garde un mauvais souvenir des dictées surprises au collège.
Les tentatives de faire des dictées à la maison ont été des échecs. Les enfants n’accrochent pas du tout. "Cette 2e année, pour Romane (CE2) , je me suis dit en septembre qu'il fallait en faire un peu pour coller plus à ce que demande l'école et notamment en vue de l'inspection... J'avais un cahier de dictée niveau CE2. Nous avons fait...le début de la première page en plusieurs jours et stop ! Romane se tenait la tête, sans aucune envie.", renchérit Hélène.
Elle trouve alors d’autres solutions pour apprendre l’orthographe, comme la mise en place d'un cahier de l'écrivain, dans lequel les enfants écrivent de temps en temps une question du quotidien, sans obligation de nombre de lignes ou autre. La maman corrige les mots mal orthographiés, en pensant toujours à écrire un mot sur le côté pour féliciter l'enfant.
Pour conclure, voici ce que pense Lola, 10 ans (6e) : "A l'école, les dictées étaient longues et je n'aimais pas trop. Et je ne voyais pas l'intérêt. Et je n'aimais pas les textes, leurs sens. En IEF, je ne fais pas de dictée. J'aimerais bien, mais pas toutes les semaines. Et il faudrait que ce soit moi qui choisisse mon texte. Et c'est d'ailleurs ce que je fais avec le cahier de l'écrivain. On me pose des questions et j'y réponds en quelques lignes".
J'écris de moi-même des histoires que j'invente. Une fois ça m'a fait comprendre l'importance de la ponctuation, car quand les autres lisaient, ils avaient du mal à comprendre.