Bruges, ses canaux, sa Grand Place, et... sa prison aux détenus radicalisés. Surnommée la Venise du nord, la ville flamande abrite aussi un centre pénitentiaire doté d'un quartier haute sécurité qu'a rejoint samedi Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos du 13 novembre à Paris.
"Hier, j'ai entendu l'hélicoptère, je me suis dit, ça y est, Salah est arrivé". Carine habite depuis 30 ans à 50 mètres de la vaste prison moderne ceinturée de grillage. La traque, la perquisition, la capture, elle a tout suivi "à la télévision". Son arrivée à Bruges, elle s'y attendait - "il y a déjà deux, trois terroristes ici" - mais elle angoisse quand même "un petit peu". "Tout le monde sait qu'il est ici, ils devraient être plus discrets à propos de ça, les mauvaises personnes, vous ne savez pas ce qu'elles sont capables de faire pour le sortir de là", explique la quinquagénaire, évoquant une spectaculaire évasion en juillet 2009.
Ce jour-là aussi, Carine avait entendu un hélicoptère. Il venait chercher trois détenus au passé criminel chargé, dont l'un, Ashraf Sekkaki, un "authentique psychopathe", selon les psychiatres, était considéré alors comme l'un des criminels les plus dangereux de Belgique. Un an avant sa fuite par les airs, il s'était rendu célèbre en dénonçant les quartiers de haute sécurité de la prison de Bruges, qu'il avait qualifiée de "Guantanamo belge". Les trois fuyards avaient été arrêtés quelques semaines plus tard au Maroc.
"Un truc en béton"
Installé en périphérie de la ville, à quelques centaines de mètres de l'ancienne prison, le centre pénitentiaire de Bruges est un complexe moderne en briques claires, construit en 1991, et entouré de douves et de grillages. "Les plus grands terroristes sont ici,", affirme Peter Smet. "A Bruges, il n'y a pas beaucoup de travail, pas beaucoup d'usines. A part le tourisme, le port, il y a la prison. Beaucoup de gens y travaillent", assure cet expert-comptable.De l'autre côté des hauts grillages, parmi les détenus, l'arrivée d'Abdeslam a suscité la curiosité: "Ils en parlent, mais s'ils ne peuvent pas le voir", raconte
Jenifer, à la sortie d'une visite à son mari incarcéré. Pour Salah Abdeslam, logé dans une partie très sécurisée, le traitement n'est pas le même que pour son conjoint, explique-t-elle : "Pour lui, il n'y a pas de visites, la télé est dans le mur, le lit, c'est juste un truc en béton...".
A quatre kilomètres de là, sur la Grand Place de Bruges, les touristes partagent un cornet de frites ou grimpent dans des calèches pour une balade romantique dans le centre historique. L'arrestation d'Abdeslam, et son transfert à Bruges, "on en avait entendu parler, mais ce n'est pas vraiment une inquiétude", affirme Nicola, une touriste venue d'Angleterre. "On voit des contrôles à la frontière, on voit qu'il se passe des choses mais je pense qu'il ne faut pas s'arrêter de vivre", commente Félix Gaulier, venu avec un groupe d'amis de la fanfare de l'école centrale de Lille, tout de rose vêtus.
A ses côtés, Robin, 25 ans, estime que "c'est quand même quelqu'un qui a semé la mort à Paris. C'est un peu étrange ce décalage entre le fait qu'on fasse la fête et le fait que ce type soit ici". Plutôt que l'arrivée d'Abdeslam, beaucoup de Brugeois se passionnaient pour la finale de la Coupe de Belgique qui voit leur club affronter le Standard de Liège. Pour l'un de ces supporteurs, Dieter Jallez, Abdeslam "est à Bruges, j'ai confiance dans le fait qu'on soit en sécurité ici, mais je suis plus intéressé par le match de cet après-midi".