L'un est député, l'autre sénateur : les frères Alain et Eric Bocquet, tous deux communistes, lancent l'idée d'une gouvernance internationale, sous l'égide de l'ONU, pour lutter contre le "fléau mondial" de l'évasion fiscale, sur le modèle de la conférence mondiale sur le climat (COP).
"Nous avons un problème avec le réchauffement climatique, mais ce qui se réchauffe beaucoup également, c'est la finance internationale avec le grand trou noir de l'évasion fiscale", estime le député-maire communiste de Saint-Amand-les-Eaux Alain Bocquet, à l'occasion de la sortie du livre "Sans domicile fisc", signé avec son frère aux éditions du Cherche Midi. L'évasion fiscale est "devenue une industrie mondiale, un sport olympique. Ce sont des sommes colossales", constate-t-il, plaidant pour une "gouvernance mondiale afin de mettre la finance au service des peuples, de la liberté et du développement".
Avec son frère, ils ont dressé le bilan de leurs missions d'enquête et d'une centaine d'interviews dans un ouvrage qui sort à un moment où les polémiques se multiplient autour des impôts payés en Europe par des géants comme Apple ou Airbnb. "Le vrai sujet, c'est le transfert interne des multinationales, appelé l'optimisation fiscale, qui est légale d'apparence, mais sur le fond ce sont 60-80 milliards d'euros par an qui manquent chaque année au budget de la France", ce qui n'est "pas durable", dénonce-t-il.
"Une finance noire et grise qui prospère et qui détruit nos sociétés"
Les deux frères proposent la tenue d'une COP fiscale "placée sous l'égide des Nations Unies" pour faire face à l'échelon mondial à ce qu'ils présentent comme "une finance noire et grise qui prospère (...) et qui détruit nos sociétés". L'objectif de cette conférence mondiale: "fixer des axes et avoir une instance financière mondiale démocratique, pas uniquement composée de représentants des banques, ce qui permettrait d'avancer vers un chantier d'une imposition mondiale", souligne le député. Alain Bocquet se défend que cette proposition de COP soit un nouveau "gadget"."Il faut aller plus vite et être plus ferme que ce qui se discute aujourd'hui", assure-t-il, jugeant insuffisants les efforts menés pour l'instant par Bruxelles ou l'OCDE. "Au niveau européen, on se met d'accord sur la qualité du camembert ou des pneus, alors que la base même d'une construction européenne, c'est l'harmonisation fiscale et sociale", s'emporte Alain Bocquet, convaincu que le scandale des Panama Papers, qui a éclaté ce printemps, ne sera pas le dernier.
"Sortir le bazooka"
Quant aux efforts de l'OCDE, qui a lancé le Forum mondial sur la transparence fiscale, ils ne trouvent pas grâce non plus à ses yeux. "Cela ne suffit pas, c'est une montagne qui accouche d'une souris", regrette Alain Bocquet, qui demande plus de concertation à l'échelon mondial pour combattre "la bête". "Là où il faudrait sortir le bazooka, on sort le pistolet à eau", se plaint-il, reconnaissant toutefois des avancées ces dernières années, mais s'empressant d'ajouter : "on ne peut pas crier victoire" pour autant.Le ministre de l'Economie et des Finances, Michel Sapin, ne partage pas cet avis. "Ce qui a été fait, ce n'est pas banal. Et y être parvenu en l'espace de trois ans, c'est une très belle réussite collective", a-t-il affirmé avant de se rendre au G20, qui devrait établir une liste noire des pays non coopératifs. "Pas assez", réplique Alain Bocquet, qui estime que les rois de l'évasion fiscale ont toujours un temps d'avance. "Ils vont faire attention aux nouvelles règles, mais ils vont ensuite inventer d'autres systèmes", prévient-il, prônant à nouveau une mobilisation à l'échelon mondial. D'autant plus que d'importantes échéances électorales approchent, tout particulièrement les élections américaines de novembre et les présidentielles françaises de mai prochain. Ces élections constituent "une opportunité pour que ce débat ne soit pas mis sous l'éteignoir", estime M. Bocquet, souhaitant que ses propositions fassent débat et que les candidats fassent connaître les leurs sur ce terrain. "Il faut que les citoyens s'emparent du sujet", lance-t-il.