Depuis trois jours, l'activité de la clinique Saint-Martin, à Caen, est fortement ralentie par un mouvement de grève. L'annonce d'une réduction par quatre de la prime d'intéressement a mis le feu aux poudres. Pour beaucoup de personnels, cette prime permettait de garder la tête hors de l'eau.
Dans le hall de la clinique Saint-Martin ce mercredi matin, les soignants ont remplacé les patients. Banderoles, pancartes, slogans sur les blouses, le ras-le-bol du personnel s'affiche en lettres majuscules. "On va se battre jusqu’au bout. On est tous avec des bas salaires. On a du mal à finir les fins de mois. On n’a rien à donner aux gamins, faut qu’on paye les factures. Et ils (ndlr : la direction) ne s’en aperçoivent pas. On fait un boulot monstrueux. On a toujours été présent, on se bat pour la clinique parce qu'on aime la clinique, on aime notre métier. Mais on a rien derrière", tonne Corinne, aide soignante.
Le mouvement de grève a débuté ce lundi 10 octobre. Depuis, l'activité de l'établissement de santé caennais est fortement ralenti. "Tous les blocs sont à l'arrêt, sauf pour les urgences vitales. Normalement, on fait 140 blocs par jour. Là, il n' y a plus qu'une vingtaine de blocs qui passent, en fonction des urgences", explique Arnaud Quesnel, délégué CFDT. Si les syndicats de l'établissement (CFDT et UNSA) sont présents aux côtés des grévistes, ils ne sont pas à l'initiative de ce mouvement. Ce sont les personnels eux-mêmes qui ont décidé de cesser le travail.
Une prime divisée par quatre
C'est l'annonce par la direction que la prime d'intéressement serait cette année divisée par quatre (390 euros contre 1600 euros les années précédentes) qui a mis le feu aux poudres. Dans les colonnes de nos confrères de Ouest-France, Denis Painchaud, le directeur de l'établissement, invoque l'augmentation des charges, des approvisionnements sous tension et une baisse des hospitalisations (au profit de l'ambulatoire) pour justifier cette mesure. Le groupe Ramsay Santé, propriétaire de l'établissement, affiche pourtant des résultats en progression (chiffre d'affaire et résultat net en hausse), ce que ne manquent pas de remarquer les représentants syndicaux.
Aux arguments de la direction, les personnels renvoient leur difficultés au quotidien et les fins de mois difficiles. "Honnêtement, moi tous les mois je suis au rouge. Je vis seule. Les factures, je les paye toute seule. Je suis locataire, donc faut payer le loyer. Moi, j’attendais cette prime pour payer les factures. Donc, comment je vais les payer ? A la rigueur faire un report mais c’est reculer pour mieux sauter", explique Corinne. "Il y en a qui sont obligés d’avoir des petits métiers, à droite à gauche. C’est dommage de le dire, mais on fait du black parce qu’autrement on ne mange pas. Et ça ne les inquiète pas. Par contre, on est toujours présent. On est malade, on vient. On essaye de faire des efforts, on s’entraide, on se remplace, on s’auto-remplace mais il n’y a rien derrière."
"Pour que mon petit garçon ait un noël décent"
Alexandra élève seule un petit garçon de huit ans. Après 12 ans d'ancienneté, elle touche un salaire mensuel net de 1600 euros. "Aujourd'hui, je suis obligée de travailler à côté pour un complément de salaire afin d’avoir une vie décente. Je travaille parfois pour des traiteurs, je fais du service en mariage, j’ai travaillé aussi dans des bars et également pour d’autres établissements de santé de Caen", confie cette aide-soignante.
La prime d'intéressement, d'un montant de 1600 euros l'année dernière, constituait en quelque sorte un treizième mois pour cette "maman solo". "Cette prime, elle me permet de remettre mes comptes à zéro et que mon petit garçon ait un noël décent, qu’il ait des cadeaux sous le sapin. Elle me permet également de réduire mes heures à côté et d’avoir un repos. Travailler à côté, ça engage encore plus de frais de nounous. Et je dois encore plus délaisser mon petit garçon."
Des disparités de salaires entre public et privé
Si le montant de la prime cristallise aujourd'hui les mécontentements des personnels en grève, le sujet de fond reste celui de la rémunération. "On n’a pas des vies confortables. Avec l’inflation, avec tout ce qui se passe aujourd’hui, ce n’est pas possible. Donc on ne peut pas se permettre de se taire encore une fois. On est attaché à l’établissement mais on ne peut pas toujours se taire et prendre les miettes qu’on nous donne. Des petites primes divisées par quatre, ce n’est pas possible. Ce n’est pas entendable", estime Léa, aide-soignante, "On voit que le public augmente les salaires. Nous, on n’est toujours pas augmenté."
Selon Arnaud Quesnel, représentant CFDT, "il y a à peu près 20% de différence entre le public et le privé, pour les mêmes compétences, les mêmes diplômes". Son syndicat a lancé un appel national à la mobilisation le 18 octobre prochain. A Caen, les personnels réclament une augmentation de 10%. "On a demandé à nos directeurs d'avancer la NAO (négociation annuelle obligatoire). Ca nous a été refusé dans un premier temps. On les a commencés hier (mardi)." La prime d'intéressement, elle, a fait l'objet d'une assemblée générale ce mercredi après-midi. Selon nos informations, la direction a proposé une rallonge de 400 euros et un paiement des jours de grève, des propositions qui ont été favorablement accueillies et mettent fin au mouvement débuté lundi dernier à la clinique Saint-Martin..