La SNCF et la Région Normandie pointent une baisse de la fréquentation de trains normands et décident de réduire la voilure à partir de ce lundi. A l'heure de la flambée du carburant et d'un retour à la normale sur un plan sanitaire, usagers et syndicats dénoncent un plan de circulation inadapté. Les élus des Yvelines sont également remontés.
6 heures 30 du matin ce lundi en gare de Caen. En raison du changement d'heure ce weekend, les usagers ne sont pas encore bien réveillés. Ils sont pourtant nombreux à attendre leur train sur le quai pour retourner travailler à Paris. Comme chaque semaine. Mais selon certains usagers, l'affluence a été par le passé plus importante. "Avec le télétravail, je prends le trains trois fois par semaine au lieu de cinq. Les wagons sont loin d'être remplis. J'ai toujours une place de disponible à côté de moi pour mettre mes affaires et personne vient s'y installer", raconte un quadragénaire.
"19 trains c'est trop !"
Cette baisse de la fréquentation, c'est l'argument invoqué par la Région Normandie pour justifier la mise en place d'un nouveau plan de circulation ce lundi 28 mars. "Faire circuler un train aujourd'hui ça coûte très cher. On a des trains aujourd'hui quasiment à vide, avec des taux de remplissage de 20% seulement", affirme Jean-Baptiste Gastinne, vice-président de la Région en charge des transports. "Qu'on diminue le nombre de trains d'un ou deux dans la journée, je suis d'accord", nous confiait ce lundi matin un usager à notre équipe. Mais à la grande surprise de ce monsieur qui se rend trois fois par semaine sur Paris pour des raisons professionnelles, les proportions sont toutes autres : "19 trains c'est trop !" . Dans le détail, 9 trains sont supprimés sur la ligne Cherbourg-Caen-Paris, 2 trains sur la ligne Paris-Trouville/Deauville, 4 trains sur la ligne Paris-Rouen-Le Havre et 4 trains sur la ligne Paris-Vernon-Rouen (les trains concernés sont listés sur le site TER).
Selon les associations d'usagers normands (UDUPC pour Paris Cherbourg, ADURN pour Paris-Rouen-Le Havre), les plans de la SNCF et de la Région Normandie allaient initialement encore plus loin. Si la casse a été limitée, elle reste bien trop importante pour ces associations et difficilement justifiable. "La Région Normandie se base sur des chiffres (de fréquentation) de 2021, en pleine crise sanitaire et télétravail", souligne Pierre Dumont, président de l'Union des usagers du Paris-Caen-Cherbourg, "Il se trouve qu'apparemment, sur janvier-février 2022, on ne tourne plus qu'à moins 10% de fréquentation par rapport à 2019". La Région, elle s'appuie, sur une baisse de 24% pour justifier ce nouveau plan de circulation. "On se pose clairement la question de ces chiffres et on demande à avoir les comptages de 2022, qu'on les ait régulièrement pour pouvoir les étudier."
Ce lundi matin en gare de Caen, Sylvie s'apprête à prendre son train pour Paris. Son emploi, "lié à la crise sanitaire", lui permet d'alterner entre télétravail et présentiel. Pour autant, ce nouveau plan de circulation "n'est pas une bonne nouvelle, j'ai besoin d'avoir une certaine souplesse sur les horaires". Et d'ajouter : "On n'est pas du tout sûr que les conditions de télétravail perdurent de cette manière, il est peut-être un petit peu tôt pour diminuer le nombre de trains." Rappelons que le télétravail n'est plus obligatoire depuis le 2 février dernier.
Des trous de desserte de plusieurs heures
Du côté de la Région, on avance que les heures de pointe sont épargnées par les coupes. "C'est faux !", rétorque Pierre Dumont, président de l'UDPC, "Typiquement, un Paris-Caen de 6h58 c'est un train d'heure de pointe. Un Caen-Paris de 19h20, c'est un train d'heure de pointe." Celles qui ne sont pas épargnées non, plus, ce sont les petites villes. "On va se retrouver avec des trous de desserte sur certaines lignes qui sont très importantes", prévient Karine Courteaud, présidente de l'association des usagers de la ligne Paris-Rouen-Le Havre, "Sur la ligne Paris-Rouen-Le Havre, il y a un trou de 3 heures sans aucun train pour certaines gares." L'UDUPC pointe ainsi "un trou de 3h30" pour Lisieux, Bernay, Evreux. Des trous de desserte mais aussi des trajets qui se complexifient durant les heures creuses. "Pour quelqu'un qui veut fait Cherbourg-Paris sans avoir à faire de correspondance, il y a trou de 4 heures en pleine journée", indique Pierre Dumont, de l'UDUPC, "Les usagers sont obligés de s'adapter aux trains alors que normalement on devrait proposer des horaires qui s'adaptent aux usagers."
Flambée du pétrole et réchauffement climatique
Les associations ne sont pas seules à monter au créneau. "Le service public c'est aussi de permettre à chacun d'avoir le droit à la mobilité. Aujourd'hui, en rognant ces droits à la mobilité, on crée des inégalités supplémentaires entre les Normandes et les Normands. Ce n'est pas juste et ce n'est pas bon ni pour le climat, ni pour le pouvoir d'achat", dénonce Baptiste Bauza, cheminot CGT au Havre. Selon son collègue caennais David Cardin, "tous les cheminots nous disent qu'il y a de plus en plus d'usagers dans les trains : le pétrole flambe, c'est plutôt favorable au ferroviaire". Syndicats et associations d'usagers pointent aussi "une prise de conscience générale" sur le réchauffement climatique. "A notre sens, on est à contretemps de ce qu'il faudrait faire. Ce n'est pas le moment de supprimer des trains", résume Pierre Dumont.
Promesses de la Région : perplexité des usagers, pessimisme des syndicats
Pour tenter de calmer la colère des usagers, la Région a annoncé qu'elle pourrait réviser le plan de circulation en fonction de l'évolution des chiffres de fréquentation. "On espère qu'ils tiendront leurs promesses", déclare, sans trop y croire, Pierre Dumont. Une des pistes évoquées est la modification de la composition des trains. "Là c'est pareil, on reste vigilant parce que sur la composition des trains, souvent ça ne fonctionne pas bien, surtout en semaine : on se retrouve avec des trains en unités simples (une rame, 550 voyageurs) aux heures de pointe et en unités multiples ( deux rames, un millier de voyageurs) en heures creuses, alors qu'ils devraient faire l'inverse."
Ces promesses, les syndicats eux n'y croient pas du tout. "On adapte le plan de transport à l'outil de production. On n'a pas l'outil de production (matériel et humain), donc on réduit le nombre de trains", estime David Cardin, CGT cheminot à Caen, "Il n'y a pas d'embauches supplémentaires de prévues dans les mois à venir. D'autant plus que le fait de supprimer des trains, ça incite l'usager à ne pas prendre le train." Un cercle vicieux dont les associations d'usagers semblent avoir bien conscience. "A tous les voyageurs normands, prenez le train et montrez que c'est important", lance ainsi Pierre Dumont, président de l'UDPC.
Ça grogne aussi en Île-de-France
Ce lundi soir, la colère gagnait aussi la région francilienne. Le président du Département de Yvelines et plusieurs élus de l'agglomération de Mantes-la-Jolie donnaient une conférence de presse pour exprimer leur mécontentement quant au plan de circulation établi par la Région Normandie. "L’annonce récente, en catimini, par la Région Normandie d’une suppression de 19 trains quotidiens en provenance de Cherbourg et du Havre permettant aux voyageurs de rallier Mantes-la-Jolie à Paris Saint-Lazare en 35 minutes est catastrophique", s'indigne Sidi El Haimer, maire par intérim de Mantes-la-Jolie, dans un communiqué.
Comme les usagers et syndicalistes normands, les élus franciliens pointent aussi "une aberration" dans un contexte de réchauffement climatique et de flambée du prix du carburant. Ils comptent "protester" auprès du Premier ministre Jean Castex après avoir saisi la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse le 25 mars dernier, selon un courrier que nos confrères de l'AFP ont pu consulter.