« J’avais 15 ans et j’habitais chez mes parents à Chenedollé (14) au « bas de Périers », la ferme familiale en juin 1944. A 60 kilomètres des côtes elle vit le débarquement. Souvenirs.
Le 6 juin
Au petit-matin, un grondement d’avions monte, puis s’installe sans interruption. Le brouillard contrarie toute visibilité. Les 60 km qui nous séparent de la côte, n’empêchent pas de bien entendre les coups de canon. Papa nous dit : « C’est le débarquement ».L’après-midi, le brouillard se lève, et nous allons dans le champ sarcler les carottes. Il est un peu moins de 17 heures quand des avions bombardent la gare de Vire. Le soir, à l’heure de la traite dans le champs, des aéronefs arrivent de l’est venant de Flers ou de Condé sur Noireau. A la hauteur de Vire l’un d’eux lance une fusée à l’évidence en guise de signal, et aussitôt, des bombes s’abattent sur la ville.
Toute la soirée, les bombardiers ont lâché leur cargaison sur Vire, des avions allemands se sont mêlés aux américains. On saura par la suite que le nombre de victimes est important, et la ville détruite.
Un avion est tombé à Chênedollé à la « jarière », et une partie de la nuit, ce sont les anglais qui ont se sont succédés sur Périers. Le lendemain, nous ramassons des douilles de cuivre de mitrailleuses dans le jardin
Cette nuit là, la 1ère du débarquement, nous l’avons passée dans la petite boulangerie : une petite maison dans le bas du plant, nom donné au jardin planté de pommiers, le sommeil est léger. Les jours suivants et se ressemblent. Les avions occupent le ciel et nous sortons peu.
La radio allemande dans le grenier
Souvent, des allemands passent quelques jours sous les pommiers. Ils y cachent leurs camions. Sitôt un ordre arrive, sitôt ils repartent. Une fois, ils improvisent un garage dans le hangar où nous entreposons du matériel. Papa les voit alors creuser dans un coin, au fond de la charreterie. Alors que les allemands sont partis manger, un seul monte la garde et mon père l’entreprend, déterre un baril caché par nous, en contre-partie d’une bouteille de calva .Notre maison représente un point haut dans la région, les allemands installent un observatoire dans le grenier avec leur radio. Nous ne sommes jamais tranquilles.
Le mois qui suit le débarquement, les batailles sont encore loin de nous. Avec une quiétude relative, nous mettons des effets à l’abri dans quelques cachettes. Nous enterrons un tonneau avec du linge, de la vaisselle, et même nla poupée que nous partageons avec ma sœur.
Quand les alliés arrivent vers Caumont-l’Eventé et St Martin des Besaces, cela devient plus mouvementé. Un soir les allemands viennent chercher papa avec une jument et le banneau pour mener des munitions et de la nourriture sur le front. Un trajet de nuit et sans lumière, car le jour les avions alliés, maîtres du ciel, mitraillent tout ce qu’ils voient.
Toute la famille se regroupe à la ferme à Chênedollé
Un avion anglais tombe dans le bourg de Chênedollé ; je me rappelle de ce jour là : mes parents sont dans un champ à faucher du foin. Foin qui brulera quelques semaines plus tard.C’est le seul avion que j’ai vu s’écraser, je dehors pour faire du feu sous la lessiveuse. On lavait à la main à cette époque, et nous n’avions même pas l’électricité dans le village. Le pilote britannique est d’ailleurs enterré dans le cimetière.
L’oncle Georges était « camouflé » à la maison pendant la guerre. Il était allé travailler en Allemagne comme requis. Venu en permission, il n’est jamais reparti. Après le bombardement de Vire, l’oncle Georges est malgré tout allé à la ville à travers champ pour s’assurer que sa famille était saine et sauve. La maison était très endommagée, sa mère avait eu un bras de cassé dans le bombardement. Alors ils sont revenus 5 à la maison : l’oncle, la tante, les 2 enfants et la grand-mère.
Quelques jours après sont arrivés aussi la tante Simone de Flers avec son mari et la petite Michelle de 18 mois. La vie en ville n’était plus tenable.
Sur la route du retour vers l'Angleterre
Déjà avant le débarquement, tous les soirs, des avions passaient et repartaient vers le Nord, vers l’Angleterre. Et comme un champ de radars se situait à Bernière le Patry, la DCA tonnait régulièrement. Un soir, alors que j’étais dehors, un éclat est tombé sur la maison.Parfois fois, c’était des dizaines d’avions, voire des centaines qui passaient au dessus de nos têtes pour rentrer en Angleterre. Les bombardiers allaient doucement, et les chasseurs volaient dans tous les sens pour les protéger.
Les hommes réquisitionnés
Après le débarquement, les allemands ont organisé leur défense. Des câbles « téléphone » longent certaines routes pour relier le front de la bataille avec les arrières à Bernières, où se trouve donc radar DCA Les hommes de la région sont réquisitionnés à tour de rôle pour garder les câbles. Toutes les communes y participaient. La ligne de chemin de fer Paris-Granville est gardée aussi. Il faut aussi un homme sur certains points hauts, pour alerter en cas de parachutage. Comme près de la « bijude » à pierres sur la route qui va vers Le Theil.Et puis des fortifications sous terre, abritant des officiers allemands, qui doivent correspondre avec le front sont également édifiées.