Thérèse Chanu, à 15 ans, habite la ferme familiale en juin 1944, à Chenedollé (14). A partir d'août, la situation devient très difficile. Prise en tenaille entre les alliés et les allemands avec 12 autres personnes de la famille, elle va supporter les bombes et connaître l'exode. Souvenirs.
Le mercredi 2 août, les Anglais montent la côte de Périers à Chênedollé en provenance de Presles. Il devait être un peu moins de 11 heures. Nous nous dirigeons vers la route (entrée de la ferme) avec des bouteilles pour leur offrir à boire, nous sommes heureux.
A ce moment là, nous pensons "libérés", pour nous la guerre est finie.
Mais en fin d’après-midi, les anglais qui ont monté le matin la côte, la redescendent pour se mettre dans tous les champs des « Beaumont », les chenillettes sont toutes alignées le long du talus, cachées sous les arbres. Il n'en connais pas le nombre, mais il y en a beaucoup !Papa nous dit : « Je n’aime pas ça, on va voir la guerre de près, si les allemands répondent au tir anglais ». Ce même soir, il y a quelques tirs d’obus : un tombe entre la maison et la route près de notre pompe à eau, qui nous sert tous les jours. Les vaches sont dans un herbage près de la maison le long du chemin. Le soir, nous pouvons traire des vaches pour notre cosommation, et soignons les animaux enfermés : les veaux et les porcs.
Mais pas question de rester dans la maison. Le soir nous dormons dans la tranchée, nombreux:
Nous sommes donc treize à la « maison ». Papa, maman, ma soeur Andrée 11ans ½ , un cousin de 6 ans, Jean-Claude car son père est prisonnier en Allemagne. Il y a aussi une tante Marcelle, la soeur de maman, avec son mari Georges et leurs 2 enfants, Jojo et Georgette respectivement 5 et 3 ans. Se trouvent également la mère de l'Oncle Georges avec un bras de cassé lors du bombardement de Vire le jour du débarquement (le 6 juin). Leur maison à moitié détruite, ils sont venus se réfugier chez nous. Une autre soeur de maman, Simone qui habite Flers, se trouve avec son mari Fernand, leur fille Michelle de 1 an1/2 figurent également dans la propriété. ils ont quitté leur habitation après le débarquement de peur des bombardements qui sévissent
Une tranchée pour se protéger des bombes
La tranchée est au fond du plant de pommiers, pour s’éloigner du bord de la route, près de la « tasserie », assez loin de la maison. Réalisée par papa et l’oncle Georges après le débarquement. Un escalier par chaque bout, protégé par les souches d’arbre. Elle est profonde : nous pouvons tenir debout à l’intérieur ; une partie est couverte avec des planches et de la terre. Au sol, 2 bancelles et quelques chaises pour s’asseoir et de la paille au sol pour les enfants. On a aussi quelques oreillers et couvertures. Quand les adultes sont assis, les enfants peuvent dormir à nos pieds car elle est assez large.Dans cette tranchée, nous prions le Seigneur et la Sainte Vierge de nous garder sains et saufs. Nous avons été exaucés.
Jeudi 3 août
Après une nuit assez calme, nous entendons quelques tirs isolés. Après la traite de quelques vache, La matinée est assez calme.
Nous recevons la visite d’Anglais accompagnés d’un monsieur qui habite au bourg de Chénedollé. Je ne me souviens plus de son nom, mais on l’appela Monsieur Vitamine. Les anglais le prennent pour un espion à la solde des allemands. Nous faisons cuire de la viande et quelques galettes.
On vit dans la peur entre la tranchée et la maison. Je ne sais plus d’ailleurs si c’est un soldat allemand ou anglais qui nous a déclaré que notre tranchée estune assurance pour la vie.
Je me pose la question aujourd’hui de savoir pourquoi nous ne sommes pas partis plus tôt… Mais on ne savait vraiment pas ce qui se passait, et ce qui allait se passer. Nous étions dans l’incapacité de connaître les positions des uns et des autres et donc d’orienter notre propre départ. Partir où ? Devant, derrière ? Où étaient les fronts ? Ici, au moins nous avions des vivres, une protection pour les enfants, et tous nos biens, avec la ferme. Environ 12 vaches, 2 juments, 2 poulains, des veaux et génisses, des cochons …. sur une vingtaine d’hectares à exploiter en location.
De temps en temps, il y a des tirs anglais, avec des réponses allemandes : de l’artillerie lourde et quelques coups de fusils et mitraillettes.
Ce soir là je vais traire les vaches avec maman et une tante dans le champ près du chemin. Elles se trouvent le long du chemin à proximité des bâtiments. Nous n’y restons pas longtemps, car des obus anglais tirés très près (à peine 500 mètres) traversent la tête des arbres. Des morceaux de branches, avec des feuilles tombent près de nous.
Nous n’avons pas de radio, donc pas de renseignements. Les anglais nous indiquent que les allemands viennent de reprendre les bourg de Presles et Burcy. Le soir, 2ème nuit dans la tranchée.
Vendredi 4 aout
La matinée est calme, après une nuit où j’ai réussi à dormir. Nous rejoignons la maison, Papa pétrit de la farine pour faire du pain, maman met un poulet à cuire dans le fourneau pour le lendemain. Le pain est près du fourneau pour « lever ».Le calme avant la tempête. Durant l’après-midi il y a une grande bataille. L’artillerie se met à tirer. Au départ de façon sporadique. Cela nous laisse le temps de foncer dans la tranchée. Puis les tirs deviennent continus. Plusieurs heures. Le temps n’est plus mesurable. Nous sommes blottis dans nos abris. Ma tante Simone et sa petite fille (18 mois), qui vivent dans une petite maison dans le jardin, se réfugient dans la petite tranchée tout près, à une cinquantaine de mètres de la grande.
En fin d’après-midi, pendant une accalmie, tante Simone vient nous rejoindre toute apeurée. Elle nous dit : « ta maison brûle et sur ma tranchée, il y a un soldat anglais avec sa mitrailleuse qui tire ». Nous sommes découragés, et décidons alors de partir : ce n’est plus tenable.
Se pose le moyens de notre départ : avons-nous encore des chevaux vivants ? Papa et l’oncle George nous quittent en fin de nuit pour aller dans un champ voir si une jument est encore vivante. En arrivant dans la pâture, en haut du chemin, les allemands sont là avec un canon, ils posent des questions et demandent « où allez-vous ? ». Mon oncle qui a travaillé 6 mois en Allemagne, réquisitionné, fait comprendre aux allemands que la maison brûle, et qu’ils veulent une jument pour s’éloigner, à cause des enfants. Les allemands comprennent et disent « pas de bruit … Tommy de l’autre côté ». Tommy était le nom générique donné aux anglais par les allemands. Papa le sait bien, car ils sont avec nous dans le plant près de la tranchée.
Pendant tout ce temps, nous prions. Nous récitons des « je vous salue Marie. Nous étions 13 et personne n’est blessé.
A 20 mètres de notre pompe à eau, sur le bord de la route, il y a une grotte avec 2 statues de la vierge que l’on nommait « Notre Dame de Périers » Et bien pendant toute la bataille, la grotte n’a pas été touchée ! Seulun petit éclat de la vierge du haut.
Si dans le village, les bâtiments ont été détruits, et les animaux tués, tous les habitants du village ont été sains et saufs.
Samedi 5 août
Quand papa et l’oncle George rentrent avec la jument, nous sommes bien contents et soulagés. Il est 4 ou 5 heures du matin.Nous attelons « Bergère » à une vieille carriole avec un peu de nourriture mise de côté : dans un pot, il y a du lard salé, un peu de beurre dans un autre, des pommes de terre, des œufs, et quelques vêtements entreposés dans la tranchée pour se changer.
Maman attrape quelques poulets dans le poulailler, on ouvre les portes de la porcherie : un cochon est bon à tuer. Le jour se lève, nous partons, en passant devant ce qui reste de la maison, mon oncle attrape le baromètre, resté pendu à la fenêtre. Je l’ai toujours en souvenir.
Nous partons. Maman et moi avons nos vélos. L’oncle George prend celui de papa. La grand mère et les enfants montent dans la carriole, et les autres sont à pied. Quand nous arrivons à la route, 3 anglais qui nous souhaitent « bonne chance ». On passe alors devant la grotte à qui nous remettons nos vies.
Nous ne pouvons pas partir avec les anglais. les allemands ayant repris le bourg de Presles en arrière.
50 mètres plus haut, au chemin de plaisance, il y a un canon allemand avec des soldats, et encore 100 mètres plus loin encore, au niveau de la maison de Yver Philemon, les allemands ramassent Papa et l’oncle Georges. Tante Marcelle est à la porte avec ses enfants pour se renseigner. Combien de temps les ont-ils gardés finalement ? Cela nous a semblé une éternité.
Une moto allemande vient et repart de la maison. Un coup de canon nous fait peur, notre chienne aussi est terrorisée ; elle repart à la ferme. Maman dit, « si papa ne revient pas, nous n’irons pas plus loin, nous retournerons à la tranchée ». Mais voilà que Papa et Georges reviennent. Les allemands voulaient savoir d’où nous venions qui nous étions, et si nous avions vu beaucoup d’anglais…
Alors nous avons repris la route, à 1 km , au bourg de Chênedollé, un char anglais est brûlé, tout comme la maison à Découflet.
Passé le bourg, on ne voit plus rien d’anormal, tout semble très calme. Nous prenons la direction de la gare de Viessoix, pour nous diriger vers Roullours où nous avons de la famille : encore une sœur de maman et mon grand pêre. Mais au village des Houlles, Beaucoup d’allemands nous empêchent de passer. Alors, on se dirige vers Truttemer le grand. Dans le bourg la présence allemande nous oblige à nous arrêter chez des cousins Albert et Fernande Lepetit. On déjeune. L’ordre d’évacuer arrive à Truttemer, alors le boulanger distribue la farine, tout le monde récupère ce qu’il peut, et les gens partent…. Mais pour aller où ? Les allemands sont partout, rentrent dans les maisons.
Depuis Truttemer, on entend le canon sans cesse vers le Nord : C’était Chénedollé (Périers) et Burcy (Pavée)… Et la bataille a duré jusqu’au 11 ou 12 août.
Alors, on repart pour aller chez des cousins à Saint Christophe de Chaulieu près du carrefour du « paillo ». Des matelas par terre sont installés pour nous les jeunes, fatigués. Nous avons dormi comme des marmottes. Ce qui n’est pas le cas des parents, le carrefour étant bombardé pendant la nuit.
Dimanche 6 aout
Après un petit déjeuner, nous reprenons la route sans destination connue …. Aller droit devant nous,…. Sans trop savoir où. Nous sommes 13…. Nous nous arrêtons à St Jean des bois. Il y a une petite maison près de la route, la ferme est tout près. C’est une ancienne boulangerie : personne dedans, on s’installe. Je ne me souviens plus si nous sommes restés longtemps, mais les allemands arrivent s’installent à côté alors nous repartons de nouveau sans mieux connaître notre destination. Quelle direction avons-nous pris ? Je ne sais plus. Il y a des réfugiés partout.A la sortie du bourg de Chanu, nous apercevons des gens de connaissance de Bernières le Patry et Chênedollé. Nous restons là, nous sommes sur de la paille dans un hangar couvert en tôle. Moi, j’ai dormi quelques nuits dehors sous la voiture, on vit comme on peut. Rien n’est rose. On entend le canon tous les jours.
Jusqu’au 15 août, on voit beaucoup d’allemands. Un jour, ils vident une cave chez un marchand de vin, et le vin coule sur la route.
Le 15 août
C'est un jour très dur, le prêtre de Chanu est tué près de l’église. On voit des allemands partout. La bataille fait rage, tirs de canon en permanence. Nous n’avons plus de repères de temps.Nous vivons sur les vivres que nous avons emportées avec nous. Certains ont des vaches avec eux, ce qui permet de donner du lait aux enfants et faire de la galette. Mais on s’adresse aussi aux fermes des alentours pour acheter du ravitaillement. Il faut aussi de l’herbe pour la jument.
Et Enfin, les alliés arrivent et nous libèrent dans la journée.
Nous ne pouvons pas revenir chez nous. Il faut laisser les routes dégagées pour les soldats anglais et américains et pour permettre de ravitailler le front. Nous sommes alors à une vingtaine de kilomètres de Chênedollé. Il y a énormément de réfugiés dans le bourg de Chanu. Nous n’y restons et nous nous rendons dans un village isolé quelques jours. Nous avons repris la route le 24 ou le 25 août.
La tante Simone, mon oncle Fernand et leur fille Michelle sont repartis sur Flers.
Nous faisons halte à Bernières le Patry. Papa et moi, avec nos vélos, nous venons voir à Périers à la ferme si il reste quelques bâtiments debout, en dehors de la maison que nous savions brulée.
A notre grand désarroi, nous avions 9 bâtiments, et le feu est passé partout. Les vaches sont presque toutes tuées, l’autre jument et les deux poulains sont également morts. Notre chienne, elle, est vivante, et a mis bas. Les chiots sont dans la tranchée. Pour se nourrir, elle y a traîné un mouton mort. Les cinq ou six animaux, restant sont blessés.
A Bernières, nous sommes encore loin de la ferme, nous y restons 4 ou 5 jours. Nous y trouvons t un petit logement (1 pièce) au village « la haie » à Chênedollé, à 2 km de la ferme.
Ma sœur et moi couchons chez mme Leconte. La tante Marcelle et l’oncle Georges sont repartis sur Vire.
C’est ainsi que passe l’hiver…