Casse-tête administratif, surcoûts : le cheval victime du Brexit

Les éleveurs s'en doutaient. Le Brexit allait compliquer le transport de et vers l'Angleterre. Mais ils ne s'attendaient pas à de telles formalités douanières et sanitaires et à un agrément pour les camions et les chauffeurs. Et ce sont les éleveurs de pur-sang anglais qui essuient les plâtres.

Le diable se cache dans les détails. Et les 1246 pages de l'accord post-Brexit en regorgent. Désormais pour envoyer un cheval en Angleterre, il faut que le camion de transport et son chauffeur aient reçu un agrément et une formation qualifiante. "On ne s'attendait pas à cela", explique Luc Kronus, directeur de la Fédération des éleveurs de galop. "On se disait qu'il allait y avoir une période de flottement et qu'il allait falloir remplir des formalités douanières et sanitaires comme lorsque l'on envoie un cheval en Australie ou dans un pays tiers. On se disait que ça allait demander plus de temps et c'est pour cela que l'on avait recommandé aux éleveurs qui voulaient absolument faire saillir leurs juments de les envoyer au mois de décembre pour être sur place dès le début de la saison de monte. Mais là, ce que les Anglais nous imposent, c'est d'une telle complexité !"

Les Britanniques estiment que le CAPTAV, le Certificat de compétence des conducteurs et des convoyeurs que la profession demande à tous les chauffeurs qui transportent des animaux vivants, n'est pas valide. Et ils demandent aux transporteurs d'envoyer leurs chauffeurs se faire former en Angleterre et d'envoyer également leurs camions pour vérifier qu'ils soient bien aux normes demandées. "Vous imaginez ce que cela demande aux entreprises de transports ? Il faut envoyer les camions à vide et les chauffeurs ! Et quand ces entreprises ont demandé un calendrier, les autorités britanniques leur ont répondu qu'il y avait au moins un délai de 8 semaines ! Chez STC, l'une des plus importantes, seul un camion a réussi pour l'instant à obtenir l'agrément. "

Alors la Fédération a tiré la sonnette d'alarme et a alerté le ministère de l'Agriculture ainsi que les députés européens du groupe Cheval, dont fait partie la Normande Stéphanie Yon-Courtin, qui a envoyé une lettre à la présidente de la Commission européenne. 

Les éleveurs de pur sang anglais s'interrogent

La Fédération des éleveurs de galop a également alerté l'EFTBA, l'association européenne des éleveurs de chevaux car les Irlandais sont dans la même situation que les Français. Et comme actuellement les étalons les plus côtés broutent l'herbe irlandaise, les éleveurs irlandais sont des alliés de poids.

Pour l'instant, ce sont surtout les éleveurs de pur-sang qui sont concernés par ces nouvelles directives de transport. Les chevaux de sport ne le sont pas encore puisque les grandes compétitions de saut d'obstacles ou de concours complet n'ont pas encore démarré. En revanche, la saison de monte démarre au 15 février et dans le pur-sang, pas d'insémination, pas de congélation de paillettes, c'est de la monte 100% naturelle, pas d'autre choix que de présenter une jument à un étalon.

Franchement, il y a des éleveurs qui vont être découragés.

Henri Bozo, directeur du haras des Monceaux

"Franchement on n'avait pas besoin de ça !"  explique Henri Bozo, directeur du haras des Monceaux près de Lisieux dont la réputation n'est plus à faire, un habitué des podiums aux ventes de yearlings à Deauville. "On avait pris l'habitude de travailler super bien ensemble et là, si vous saviez ce que cela demande en tracasseries administratives, en énergie, en stress ! On n'a pas le choix. Comme on veut l'excellence, on va réussir à envoyer la quarantaine de juments que l'on doit faire saillir là-bas cette année, mais franchement, il y a des éleveurs qui vont être découragés."

Découragés, oui, il y a de quoi. Car les Anglais n'imposent pas uniquement de nouvelles normes aux sociétés de transports de chevaux, ils multiplient toutes les démarches administratives pour les propriétaires.

Un dédale administratif

Avant les pur-sang bénéficiaient d'un haut statut sanitaire. Comme ces chevaux sont très suivis, il n'y avait pas besoin de passer par la direction des services vétérinaires avant chaque voyage. Désormais, il faut un certificat d'export des services vétérinaires signé de la veille du voyage.

Au niveau douanier, désormais chaque cheval exporté doit avoir un carnet ATA, un document douanier international d'admission temporaire qui se substitue aux différents documents douaniers normalement requis pour une opération d'importation ou d'exportation temporaire. C'est ce qui est utilisé par exemple par ceux qui participent à une foire expo à l'étranger. "Il faut le demander aux chambres de commerce, ils sont valables un an, coûtent entre 300 et 1500 € en fonction de la valeur du cheval. Il doit être tamponné à l'aller, au retour. C'est long, et gare à celui qui le perd car il y a de fortes pénalités", explique Marie Ostapchuk, qui s'occupe de la logistique transport France-Royaume-uni et France-Irlande chez Kelamer Mull limited, entreprise de transport de chevaux irlandaise. 

Cette semaine, elle fera partir deux camions avec des juments pur-sang normandes en Angleterre. Kelamer Mull Ltd a déjà réussi à faire agréer plusieurs camions et plusieurs chauffeurs ont déjà reçu la formation demandée. "Aujourd'hui, le coût total pour envoyer un cheval là-bas a été multiplié par 2 voire 3 et cela demande 5 à 7 jours d'organisation supplémentaires. Il faut que les clients anticipent plus qu'avant", renchérit-elle.

Aujourd'hui, le coût total pour envoyer un cheval là-bas a été multiplié par 2 voire 3 et cela demande 5 à 7 jours d'organisation supplémentaires.

Marie Ostapchuk, logistique France-Angleterre-Irlande chez Kelamer Mull Ltd

D'ailleurs son entreprise travaille désormais avec le transporteur normand Noyon et les chambres de commerce en soutien logitisque pour la "paperasse douanière" si l'on peut résumer ainsi ce qu'a imaginé l'accord post-Brexit.

Tout l'écosystème des courses pourrait être perturbé

Les propriétaires découvrent abasourdis par où il faut en passer pour continuer à travailler et poursuivre l'excellence de la souche pur-sang anglais en Normandie.

Au haras d'Etreham dans le Calvados où vivent plus de 200 juments pur-sang anglais, on a pris les devants, mais on est quand même inquiets. "On a déjà envoyé quelques juments au mois de décembre pour la saillie, mais on reçoit des coups de fil de la part de propriétaires qui hésitent à envoyer leurs juments se faire saillir chez nous", explique Alice Lemal, en charge du marketing et de la commercialisation des étalons. "Car cela marche dans les deux sens, la complexité de ce qui est demandé effraie beaucoup de propriétaires."

Le but des courses est avant tout de sélectionner l'élevage et de produire les meilleurs chevaux possibles. S'il y a moins de poulains sur le marché et si la saison de monte est décalée, il y aura des répercussions sur tout l'équilibre économique des courses hippiques. La gestation d'une jument durant onze mois, celles saillies mi février donneront un poulain à partir de mi-janvier 2022, poulain qui pourra être présenté aux ventes de yearlings à Deauville à l'été 2023. Mais entre un poulain né en janvier et un autre né en mai, la différence est énorme, il sera moins développé et donc intéressera moins les acheteurs.

"L'an passé ce sont environ 1200 juments pur-sang françaises qui ont été saillies outre-Manche, et environ 1000 qui sont venues d'Angleterre et d'Irlande se faire saillir chez nous" explique Luc Kronus. directeur de la Fédération des éleveurs de galop. "Le marché était assez équilibré. Il y avait une belle colloboration entre les trois pays du pur-sang anglais. Avec ce que demande l'accord post-Brexit, l'équilibre de cette filière est fragilisé." Dans les mois qui viennent, les secteurs des chevaux de sport et de spectacle pourraient l'être à leur tour.

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