La 30e édition du Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre débute ce lundi 9 octobre. Comme chaque année, ce grand rendez-vous met en lumière des journalistes et des conflits qu'ils documentent. Expositions, tables rondes et projections de documentaires sont proposées durant toute la semaine au public.
La guerre en Ukraine, l'invasion du Haut-Karabakh par l'Azerbeidjan et, ce week-end, l'attaque du Hamas contre Israël, le Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre n'a peut-être jamais été autant au cœur de l'actualité, au point d'être rattrapé par celle-ci.
Israël perturbe l'édition 2023
"Nous avons déjà des reporters qui devaient venir à Bayeux et qu’on annonce partis pour Israël pour couvrir ce qui est malheureusement en train de se passer en Israël et sur la bande de Gaza", expliquait ce dimanche sur notre antenne Patrick Gomont, le maire de Bayeux, à la veille du coup d'envoi de la 30e édition. Ainsi, le journaliste Nicolas Poincarré, qui présente depuis plusieurs années la cérémonie des prix, pourrait cette année manquer le rendez-vous.
“Les dictatures quelles qu’elles soient lorsqu’elles prennent le pouvoir commencent d’abord par étrangler la liberté de la presse, la liberté d’expression parce qu’à partir de ce moment-là vous pouvez étrangler absolument toutes les autres mais dans le silence. C’est en ça que ce prix a une valeur démocratique de défense de la liberté extrêmement importante”, déclarait en 1996 Jean Miot, alors PDG de l'AFP.
Lancé en 1994, le Prix Bayeux met en lumière le travail des correspondants de guerre mais aussi les conflits qu'ils documentent. "Il permet de donner des clés de compréhension, notamment sur la géopolitique, sur l’actualité internationale, notamment aux jeunes", souligne Patrick Gomont.
Outre les reportages (radio, télé, photo, presse écrite) présentés au jury (présidé cette année par le photographe Don Mc Cullin), ce rendez-vous propose durant toute la semaine au public des projections de documentaires, des tables rondes et des expositions. Retrouvez ci-dessous une petite sélection non exhaustive de ce qui vous attend jusqu'au 15 octobre (et parfois au-delà) dans la capitale du Bessin.
L'Ukraine au cœur de cette 30e édition
Un an et demi après le début de l'invasion russe, la 30e édition du Prix Bayeux Calvados accorde, sans surprise, une large place à la guerre qui fait rage en Ukraine. À travers son affiche tout d'abord, une photographie signée du journaliste ukrainien Evgeniy Maloletka et montrant des civils à terre dans un hôpital pendant un bombardement russe à Marioupol.
L'image est issue d'un reportage primé l'an dernier à Bayeux. Mais aussi à travers trois documentaires et deux expositions (sur les huit proposées au public).
Le combat des femmes en Iran
"C'est comme si on avait baissé la culotte aux mollahs". C'est avec ces mots que l'autrice de BD d'origine iranienne Marjane Satrapi a salué le Nobel de la paix attribué récemment à sa compatriote Narges Mohammadi, militante des droits de la femme et des droits humains actuellement emprisonnée dans son pays. Cette distinction intervient alors qu'un mouvement de révolte des femmes a débuté voilà plus d'un an en Iran, après l'arrestation et la mort d'une étudiante de 22 ans, Mahsa Amini , pour "port de vêtements inappropriés".
Rendre hommage à cette révolte et dénoncer la répression dont elle a fait l'objet, c'est le but du livre "Femme, vie, liberté" publié le mois dernier aux éditions L'Iconoclaste et supervisé par Marjane Satrapi. L'autrice de Persépolis a fait travailler ensemble une vingtaine de dessinateurs (quatre Iraniens et 13 Européens et Américains) avec le politologue Farid Vahid, directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, et le grand reporter (AFP puis Libération) Jean-Pierre Perrin. Une partie de ce travail est présentée au public bayeusain à travers une exposition intitulée "L'Iran de la révolte en BD".
L'exposition "L'Iran de la révolte en BD" est à découvrir jusqu'au samedi 11 novembre à l'espace culturel Leclerc de Bayeux, boulevard du 6 juin. À noter que le journaliste Jean-Pierre Perrin et le dessinateur Nicolas Wild seront présents au salon du livre organisé dans le cadre du Prix Bayeux le samedi 14 octobre pour présenter le livre "Femme, vie, liberté".
Les journalistes au cœur du Débarquement de Normandie
Le Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre a été lancé en 1994 à l'occasion du 50e anniversaire du Débarquement avec l'idée de rendre hommage "à la liberté et la démocratie", à Bayeux qui fut la première ville libérée par les alliés, "mais aussi aux correspondants de guerre de l'époque", rappelle le journaliste Pascal Vannier. 30 ans plus tard, à quelques mois du 80e anniversaire, cet hommage est rendu à travers une grande exposition intitulée "L'autre débarquement" et présentée à l'Hôtel du Doyen.
Selon les historiens, plus de 500 journalistes ont couvert cet événement central du XXe siècle. “Il y a quasiment tous les plus grands reporters et photojournalistes de la première partie du XXe siècle comme Robert Capa. On a ses images iconiques du 6 juin mais on a aussi pu acquérir plus d’une dizaine de photos où on le suit à travers la bastille de Normandie et c’est unique, il y a des photos que personne ne connaît”, indique Pascal Vannier qui a conçu cette exposition avec la documentaliste Mathilde Sandlarz.
L'exposition s'intéresse également aux "alliés des alliés", des journalistes australiens, néo-zélandais, hollandais ou polonais. “Il y a aussi une partie importante consacrée aux femmes, pas seulement aux stars que l’on connaît tous comme Martha Gellhorn, des correspondantes de guerre qui ont fait un travail formidable bien qu’interdites de front. Elles travaillaient juste à l’arrière, tout près de la ligne de front, auprès des infirmières dans les hôpitaux de campagne. Dans le monde très misogyne, très masculin de l'époque, le débarquement est aussi un tournant pour les femmes reporters.“
Les visiteurs pourront découvrir des reportages radios, filmés, photographiques et de presse écrite, "les quatre catégories primées aujourd'hui par le Prix Bayeux", et le matériel qu'utilisaient ces journalistes. “La BBC avait fait fabriquer spécialement pour le Débarquement un enregistreur de terrain qui s’appelle un midget disc recorder. C’est une espèce de gramophone avec un disque sur lequel les correspondants de guerre de la BBC gravaient leurs reportages avant de les envoyer. On a celui qui a appartenu à Collin Wills. Il a laissé un enregistrement incroyable le 6 juin face à Juno beach. C’est quelque chose d’à la fois émouvant et de techniquement incroyable."
L'exposition "L'autre Débarquement : les correspondants de guerre en Normandie" est à découvrir jusqu'au 12 novembre à l'Hôtel du Doyen à Bayeux.
Une "référence" du photojournalisme
Pour une édition anniversaire exceptionnelle, les organisateurs ont choisi comme président du jury une "référence" dans le métier, "un journaliste qui a été primé et qui est reconnu par ses pairs comme étant un des plus grands photographes de guerre", rappelait Partick Gomont, le maire de Bayeux, ce dimanche soir dans votre édition régionale.
Le photographe Don Mc Cullin, aujourd'hui âgé de 87 ans, a débuté sa carrière en 1959 dans le journal britannique The Observer. Après avoir couvert les faits divers, le jeune journaliste va très vite s'intéresser aux conflits embrasant la planète : Vietnam, Cambodge, Congo, Israël, Biafra, Irlande du Nord, Liban, Iran. Il a notamment été primé au British Press Award en 1961 pour sa couverture de l'édification du mur de Berlin ou au World Press Photo en 1964 pour le conflit intercommunautaire chypriote naissant.
Le public pourra découvrir son travail à travers une exposition intitulée "Don Mc Cullin, le monde dans le viseur" et présentée dans les rues de Bayeux, du 9 octobre au 12 novembre. Un travail, pour l'essentiel, réalisé en noir et blanc et qui ne s'intéressent pas uniquement aux belligérants des conflits dont il a été témoins. "Il s'est intéressé aux populations civiles ce qui fait aussi partie du Prix Bayeux, se dire quel est l’impact des conflits sur les populations civiles."
Le Britannique, qui a grandi dans un quartier pauvre de Londres, a également documenté la situation des plus démunis dans son pays, notamment dans les années 70 et 80. "J’ai toujours dirigé l’objectif de mon appareil vers celles et ceux qui étaient sans défense face à leur condition, leur société. Je devais parler pour eux."
Hommage aux journalistes disparus
En 2006, un nouveau mémorial est érigé à Bayeux, près du cimetière britannique. 1 889 noms y sont gravés. Ce sont les noms de journalistes tués sur les théâtres d’opérations depuis 1944. "Il nous a semblé intéressant de dire que la liberté de l'information était l'un des éléments fondamentaux de la démocratie et de la liberté et que malheureusement il meurt à peu près tous les ans entre 30 et 40 journalistes qui traitent des problèmes de la guerre et qui sont des correspondants de guerre", déclarait Jean-Léonce Dupont, alors maire de la ville, lors du lancement du Prix Bayeux en 1994.
30 ans plus tard, la situation n'a malheureusement guère évolué. Comme chaque année depuis 2006, une nouvelle stèle sera dévoilée dans ce mémorial par l'association Reporters Sans Frontières. Cette année, 40 nouveaux noms ont été gravés dans la pierre, comme celui du journaliste de l'AFP Arman Soldin tué en mai dernier près de Bakhmout en Ukraine.
La cérémonie d'hommage aux journalistes disparus aura lieu le jeudi 12 octobre à 17 heures et sera retransmise en direct sur la page Facebook du Prix Bayeux Calavdos des correspondants de guerre.