En juillet 2015, le groupe Bouygues TP et quatre autre entreprises avaient été condamnés à des amendes pour travail dissimulé sur le chantier de l'EPR entre 2008 et 2012. Le géant du BRP a fait appel. Le procès débute ce lundi à Caen.
Le groupe Bouygues TP comparaît à partir de ce lundi devant la cour d'appel de Caen, qui va examiner sa condamnation dans une affaire de travail au noir de centaines de travailleurs étrangers sur le gigantesque et controversé chantier du réacteur nucléaire EPR de Flamanville. "Il faut une condamnation financière dissuasive", a réclamé la CGT, annonçant un rassemblement lundi à 10H30 devant la cour d'appel de Caen.
Bouygues TP et Quille, deux filiales de Bouygues Construction, et l'entreprise nantaise Welbond armatures, sont accusées d'avoir eu recours entre 2008 et 2012 aux services de l'agence d'intérim international Atlanco, et de l'entreprise roumaine de BTP Elco, elles-mêmes accusées de travail dissimulé. A l'époque des faits, le chantier employait environ 3.000 personnes, dont environ un tiers d'étrangers.
Les cinq sociétés sont citées devant la cour d'appel, saisie par Bouygues, ainsi que Welbond (80 salariés en 2015) et Elco (500 à 600 salariés en Europe en 2015). Atlanco, avec qui la justice n'a jamais pu entrer en contact, n'est en cause qu'au civil devant la cour.
Le tribunal correctionnel de Cherbourg avait condamné ces cinq entreprises en juillet 2015 à des amendes beaucoup moins élevées que celles requises par le parquet. Les sommes demandées étaient pourtant "bien inférieures aux bénéfices réalisés" par les entreprises avec cette dissimulation, avait estimé le procureur de la République de Cherbourg Eric Bouillard à l'audience, le 13 mars 2015.
Bouygues TP avait écopé de 25.000 euros d'amende, quand le parquet avait demandé 150.000 euros. Le géant du BTP a joué un rôle "central", avait estimé le magistrat. "Le recours à Atlanco n'a qu'un seul objectif : violer les règles de cotisations sociales" et trouver "une main-d'oeuvre la plus malléable possible", avait dénoncé le magistrat à l'audience.
Interrogé vendredi par l'AFP, l'un des conseils de Bouygues TP, Me Philippe Goossens, a indiqué que la société "garde pour la cour" son argumentation.
Société "un peu fantôme"
Entre 460 et plus de 500 salariés - dont 163 Polonais, dits "détachés" et 297 Roumains - en ont été victimes, avait indiqué le parquet de Cherbourg en 2015. Pour ces ouvriers, des cotisations sociales auraient dû être payées en France. Or, elles ne l'ont pas été, selon le parquet. Le manque à gagner pour l'Urssaf est de 10 à 12 millions d'euros, selon M. Bouillard.Wladislaw Lis, l'avocat d'une cinquantaine de Polonais, avait dénoncé lors de l'audience des "conséquences terribles" de cette dissimulation pour ses clients et leurs familles, sur "leur santé, leur retraite". Bouygues TP avait de son côté estimé ne pouvoir être condamné, car c'est Welbond qui a signé le contrat poursuivi avec Atlanco, et un groupement d'entreprises (Bouygues TP/Welbond/ Quille) qui a signé celui avec Elco.
"J'étais dans le brouillard (...) Vous n'imaginez pas le nombre de problèmes techniques que nous avons eu à résoudre sur ce chantier", s'était défendu à la barre le directeur de projet de l'époque de Bouygues TP, Michel Bonnet, à qui le tribunal demandait pourquoi il n'avait pas rompu avant juin 2011 avec Atlanco, malgré de premières alertes en 2009.
Société "un peu fantôme" selon le tribunal, Atlanco, avait été condamnée à 70.000 euros d'amende. Son siège était à Chypre ou en Irlande, avait indiqué le tribunal. Elco avait écopé de 40.000 euros d'amende, Welbond de 15.000 euros et la filiale de Bouygues, Quille, de 5.000 euros. Maître d'oeuvre de ce chantier, EDF n'était pas poursuivi.
Reportage de Jean-Yves Gélébart et Gildas Marie
Intervenants:
- Maître Flavien Jorquera, avocat de la CGT
- Jean-François Sobecki, coordinateur CGT sur le chantier EPR
L'EPR de Flamanville fait aujourd'hui travailler 4.800 personnes, mais la phase BTP est terminée. Il doit officiellement démarrer fin 2018, avec six ans de retard. Son coût a déjà triplé, à 10,5 milliards d'euros.
Quatre EPR, des réacteurs très puissants, dits de 3e génération, sont en construction dans le monde : à Flamanville, Olkiluoto (Finlande) - où, selon un inspecteur de l'ASN, des problèmes similaires à ceux évoqués lors du procès de Cherbourg, ont eu lieu - et deux en Chine. Deux sont en projet à Hinkley Point, en Angleterre. Aucun ne fonctionne encore.