"Dansez...Sinon nous sommes perdus". Des professeurs de danse ont lancé un appel au rassemblement ce samedi dans plusieurs villes françaises, dont Caen où 200 personnes ont exprimé leur manque d'être ensemble.
Une seule chorégraphie le temps d'un morceau de Woodkid. C'est déjà mieux que rien en ces temps de confinement et au moins, devant l'hôtel de ville de Caen, ce n'est pas la place qui manque, même si on est 200. "En ce moment, on déménage un peu le salon avant que le cours commence, on pousse la table basse, on essaye de ranger un peu", s'amuse Camille qui explique ne pas être "une danseuse émérite".
Le second confinement a marqué le retour de la visioconférence pour des cours de danse, chacun chez soi. Alors ce samedi, le rendez-vous fixé par le collectif "Dansez...sinon nous sommes perdus" a des allures de retrouvailles, une grande bouffée d'air frais dns une période qui sent le renfermé.
Les premiers frappés de plein fouet par ce nouveau confinement sont les professeurs, entravés dans l'exercice de leur activité professionnelle qui n'est pas considérée comme prioritaire. "On est essentiel pour le bien physique psychique de nos élèves. On forme les spectateurs de demain et peut-être les artistes de demain donc il ne faut pas que ça s'arrête", plaide Rachel.
Outre l'égo, c'est le moral qui en prend un coup. "Franchement, c'est un coup de massue. Il faut repasser en organisation "danser chez soi", faire danser les élèves à domicile, les remobiliser parce que clairement tous n'ont pas la volonté d'être derrière leur écran pendant nos cours et je les comprends tout à fait. Et puis, on a déjà connu ça, donc on n'a plus envie."
"Mon métier n'est plus complet"
Quelque chose est cassé. "La danse, c'est à la fois un sport individuel et un sport collectif, c'est ce que je recherche quand j'y vais", résume Camille. La première victime, c'est sans doute le collectif. "Mon métier n'est plus complet", regrette Rachel, "Je travaille avec l'humain, c'est une relation fine avec chacun de mes élèves,. Il n'y a pas que le cours. Il y a le après, les discussions avec eux, un échange, ils s'appuient les uns sur les autres. Là, ce n'est pas pareil, même si j'ai plaisir à les voir derrière mon écran, la dynamique de groupe prends moins, avec plus de difficultés."Car chez soi, c'est le sentiment d'isolement qui domine. "Les cours par Zoom c'est difficile parce qu'on est chacune plantée toute seule dans son salon, qu'on ne voit pas les autres, qu'on ne les entends pas, qu'on ne les sents pas. Des fois ça coupe, on n'entend pas toujours la musique. Des fois on ne voit pas bien les gestes qu'on fait. Ce n'est pas simple. Et ça casse toute la magie du truc", déplore Adeline. "La danse c'est aussi l'écoute : quand on danse avec les autres sur un même mouvement, sans se regarder on va mettre la main en l'air toutes en même temps, il y a cette communion qu'on n'a pas quand on est toute seule", ajoute Sophie.
On n'est pas que des machines qui allons travailler, faire nos courses et faire à manger
Pour Camille, ce moment de partage, c'est "une parenthèse dans mon quotidien". Un quotidien plutôt morne en ces temps de pandémie où les relations humaines sont jugulées par les gestes barrières. "Psychiquement, la danse ça permet de nous évader, on pense à autre chose. On n'est pas que des machines qui allons travailler, faire nos courses et faire à manger. On a besoin aussi de se libérer la tête et libérer le corps", estime Sophie.
"Mes patients, le jeudi matin, ils savent que j'ai dansé le mercredi soir parce que je n'ai pas la même tête, parce que je suis épanouie, j'ai un peu mal partout mais je me sens bien et j'ai pu exprimer plein de choses", explique Adeline, soignante, "Il n'y a pas 36 façons de se transcender et aujourd'hui, on a besoin de se transcender. C'est s'incarner et créer. Aujourd'hui, on a besoin de créer et de se retrouver entre nous."
Pourquoi on est privé de ça alors qu'on est autorisé à aller se mettre en danger en allant travailler ?
De la frustration naît une certaine colère et ce d'autant plus qu'elle est teintée d'incompréhension. "On a pu le faire après le premier confinement, au départ dans des jardins puis dans une salle. Je suis soignante, je n'aurais pas pris le risque de mettre en danger mes patients. Il n'y a eu aucune contamination dans mon cours de dans. Donc on vit ça comme une injustice. Pourquoi on est privé de ça alors qu'on est autorisé à aller se mettre en danger en allant travailler ?", s'insurge Adeline.