Le petit garçon, alors âgé de 8 ans, est enlevé par son père en septembre à Caen. Sylvain Jouanneau, condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour enlèvement et séquestration, a toujours maintenu avoir confié Mathis "à des personnes de confiance."
"C’est une affaire comme on n'en trouve sûrement pas d’autres. On n’a pas de dossier où on sait qui est l’auteur de la disparition et qui est responsable dès le début", commente Aline Lebret, avocate de Nathalie Barré, à l’occasion de notre feuilleton documentaire consacré cette semaine à l’affaire Mathis (à voir ci-dessous).
Samedi 4 septembre 2021, marquera les dix ans de la disparition officielle de Mathis. L'enfant est récupéré à Caen par son père à la sortie de l'école. On vous propose de refaire le point sur cette affaire hors norme, marquée par le mutisme d’un père, le combat inébranlable d’une mère, et le parcours d'une justice qui tente toujours de lever le même mystère : qu’est-il advenu de Mathis ?
2006, la séparation
"Oui, c’était l’amour de ma vie", c’est ainsi que Nathalie Barré décrit la relation qu’elle partageait jadis avec le père son enfant, Sylvain Jouanneau. De cette union alors heureuse est né Mathis, le 20 juin 2003, soit deux ans après leur rencontre. Une naissance qui vient tout changer pour un couple aux méthodes éducatives diamétralement opposées. "Face au conflit, Sylvain se renfermait", relate son ex-femme. "Lors d’une dispute, il s’est couché sur le sol. Nathalie a été obligée d’appeler des secours", appuie son avocate Aline Lebret qualifiant la scène de "véritable manipulation psychologique".
Des différends insurmontables qui poussent le couple à se séparer en 2006 et à engager une procédure de divorce. Une situation que Sylvain Jouanneau vit comme une trahison. La situation s’envenime un peu plus quand Mathis de retour d’un week-end chez son père témoigne avoir passé ses journées "assis sur une chaise pour copier des lignes". Le même scénario se répète la fois suivante, Nathalie Barré refuse ensuite de laisser Mathis partir chez son père.
En réaction, Sylvain Jouanneau porte plusieurs plaintes pour non présentation d’enfant. Quelques semaines plus tard, le juge aux affaires familiales réduit les droits du père. Une décision, parmi d’autres, qui alimenteront la défiance de Sylvain Jouanneau envers la justice.
4 septembre 2011, la disparition
Le dimanche 4 septembre 2011 cela fait deux jours que Sylvain Jouanneau a retrouvé son droit de visite et d’hébergement. L’homme, de 37 ans à l’époque, a récupéré son fils à l’école le vendredi soir avant de rendre visite à ses parents non loin de Caen avant de prendre la route. C’est là, à Rosel, que Mathis a été vu la dernière fois, le 2 septembre 2011 vers 20h.
Le père de Mathis, habituellement très ponctuel, devait ramener son fils au domicile de son ex-épouse le dimanche soir. 18 heures tapantes le rituel se répétait jusque là inlassablement : la voiture de Sylvain Jouanneau se garait devant le portail, mais ce dimanche Mathis et son père sont introuvables.
J’ai tout de suite su qu’il s’était passé quelque chose.
Il faut attendre le 10 septembre pour retrouver la voiture de Sylvain Jouanneau à Lahonce près de Bayonne à proximité d’un fleuve. Ce dernier est interpellé seul le 9 décembre, soit trois mois plus tard à Villeneuve-lès-Avignon dans le Gard. Il refuse de dire où se trouve son fils. Il affirme que l'enfant est en sécurité chez des tiers et laisse entendre qu'il est à l’étranger.
2011-2013, la multiplication des enquêtes
Une enquête internationale est alors menée pendant trois ans dans plusieurs pays pour retrouver l'enfant. Différentes pistes, même celles des sectes, sont étudiées en France en Italie, au Vatican, en Suisse, Espagne, Suède aux Etats-Unis, au Canada, en Algérie et au Maroc où il a épousé religieusement une femme à Casablanca en 2006. Sans succès.
En parallèle, Nathalie Barré a multiplié au fil des années les initiatives personnelles. Elle lance un appel à ravisseur et un appel à récompense, une rareté en France. Partie en voiture, elle mèn e sa propre enquête dans le sud de la France et dans le nord de l’Espagne. La mère de Mathis finit par interpeller Nicolas Sarkozy en pleine campagne présidentielle en avril 2012. Une initiative qui lui permet d’obtenir un rendez-vous avec le directeur central de la police judiciaire et une équipe d’enquêteur dédiée à l'affaire son fils.
Quand on parasite un petit peu le système de hiérarchie qui va de bas en haut et que moi je vais directement en haut, c’est compliqué pour la justice. Quand je suis allée pour la première fois au ministère de l’Intérieur on me l’a bien fait comprendre. Sauf que c’est pas ça le sujet, c’est pas les petits querelles de hiérarchie, c’est Mathis. Mais il faut le dire, là, j’ai été confrontée à des gens qui m’ont écoutée.
Depuis, l’information judiciaire pour homicide contre X lancée en 2013 est toujours ouverte. Des investigations pour retrouver Mathis vivant et pour retrouver son corps sont donc menées en parallèles.
1er au 5 juin, le procès devant la cour d’assises du Calvados
Le 1er juin, Sylvain Jouanneau comparaît devant la cour d'assises du Calvados pour "enlèvement et séquestration aggravés sur un mineur". La retranscription pendant l'audience d’un échange par messagerie électronique avec sa compagne d’alors fait craindre le pire :
C’est un enfant de la honte, de la haine, du mensonge, il porte les gènes de sa mère. Je ne peux pas faire de miracles. Si ça tourne mal, je ne me sens pas responsable. J’ai fait le deuil.
Quand l'avocate de Sylvain Jouanneau dénonce une "phrase sortie de son contexte" et "dite sur le coup de la colère", le procès a été l'occasion pour certains les experts d'évoquer un potentiel déni chez Sylvain Jouanneau comme un mécanisme de défense. "Le jour où ce mécanisme se dérèglera, il sombrera dans la folie." "Tu te rends compte qu'il va falloir attendre encore 20 ans pour que je revois Mathis", confiait d’ailleurs Sylvain Jouanneau à sa mère quelques minutes après l'énoncé du verdict, avant de regagner sa cellule.
Au final, l'accusé est condamné à 20 ans de prison par la cour d’assises du Calvados pour séquestration d’enfant et menace de mort. Il est enfermé dans la prison de Val-de-Reuil, dans l’Eure.
2019-2020, l’assignation de l’Etat en justice
La diffusion du portrait de son fils le lundi 25 mai 2020 n’a pas adouci le sentiment de déception éprouvé par Nathalie Barré quant à l’efficacité de la justice à démêler cette affaire. La mère de Mathis et son avocate ont décidé d’assigner l’Etat en justice évoquant un "déni de justice" du fait de la lenteur des différentes procédures, mais pas que.
"Il y a eu des retards, des carences, des choses qui sont totalement anormales. On a notamment fait disparaître des scellés, des éléments de preuve, des pièces sur lesquelles on peut enquêter."
Aline Lebret évoque notamment la disparition de scellés et de pièces à conviction, comme le camping-car qu'a utilisé Sylvain Jouanneau dans sa fuite et qui a finalement été vendu aux enchères une fois le procès terminé.
J'ai changé trois fois de juge d'Instruction, à chaque fois le nouveau juge ne connaît pas le dossier qui est extrêmement lourd à gérer (il contient plus de 9000 pages). Pour moi, ce n'est pas entendable, c'est un dossier qui devrait être instruit par une seule personne depuis le début.
Et puis, il y a eu aussi l’histoire des deux portraits vieillis de Mathis réalisé par le National center for missing and exploited children, une association américaine travaillant avec le FBI et demandé par Nathalie Barré en 2015, puis en 2019. Il ne sera diffusé qu’en 2020 sur les réseaux sociaux. Bien loin de ce qu'espéraient la maman de Mathis et son avocate. "Quand on a reçu le premier portrait, on a compris qu'il devait y avoir un appel national. Il n'y a pas eu de diligence de la part de la Justice. On nous a dit : 'puisque vous le faites, on ne le fera pas'", raconte Aline Lebret.
"Quatre ans plus tard après la disparition, on (était) suspendu aux lèvres de Sylvain Jouanneau, et au terme de ce procès on n’a pas su et on ne sait toujours pas. Et on se demande où est Mathis et s’il est toujours en vie. C’est en ça que c’est une affaire incroyable, parce qu’elle ne se finit jamais" conclut, la journaliste pour France Bleu Normandie spécialiste de l'affaire, Nolwenn Lejeune. Dix ans après, le doute est toujours aussi épais.
Emission spéciale : "L'affaire Mathis, au nom du fils", diffusée sur France 3 Normandie
Emission spéciale présentée par Franck Bodereau
Diffusée samedi 25 septembre à 12h55
Produit et réalisée par les équipes de France 3 Normandie
Durée : 26 min