Depuis plus de 10 ans, Yohann Sévère et son association Gamelles pleines viennent en aide aux plus démunis et leurs compagnons à quatre pattes. Portrait de celui qui a bien compris l'importance de ce lien étroit qui se lie entre le maitre et son chien.
Dans le paysage des associations qui viennent en aide aux plus démunis, Gamelles pleines propose une démarche originale : aider l’animal pour aider l’homme. Qu’ils vivent dans la rue ou pas, les personnes en grandes précarité sont souvent accompagnées de chiens, mais rares sont les associations qui prennent en compte la relation entre le maître et son compagnon. Depuis une dizaine d’années les bénévoles de Gamelles pleines prennent soin des chiens pour lutter contre l’exclusion. Portrait de Yohann Sévère, fondateur de l’association.
Le bénévolat : une tradition familiale chez les Sévère
Si aujourd’hui, Yohann est à la tête de cette association, ça n’est pas vraiment le fruit du hasard. Originaire de Lisieux, il grandit dans une famille très unie. Son père est conducteur de bus, sa mère enseignante, des parents très engagés dans le milieu associatif.
De mon enfance, je garde le souvenir de l’engagement pour les autres. Maman était très dévouée, dès qu’il fallait un bénévole, elle était toujours de la partie. Mes parents se sont d’ailleurs rencontrés à Lourdes alors qu’ils accompagnaient les malades pendant leurs pèlerinages.
Yohann Sévère
Mais la jeunesse de Yohann n’est pas un long fleuve tranquille : l’année de ses 14 ans, sa mère apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein qui l’emportera quelques années plus tard. Lorsque le moment terrible des adieux arrive, elle laisse un message qui marquera Yohann.
Dans notre malheur on a eu la chance de pouvoir se dire au revoir. Dans ce petit mot, elle nous demandait de garder la foi et d’être un soleil rayonnant pour les autres.
Yohann Sévère
Le goût du voyage, l’ouverture aux autres
À l’heure d’entrer dans la vie active, Yohann s’oriente vers une carrière dans le commerce et l’import-export. Une situation qui l’amène à parcourir le monde pendant dix ans. Ces années de globetrotter prendront fin au Mexique, quand Yohann décide de tout plaquer pour s’installer aux côtés d’une femme qu’il y a rencontrée. Mais le sort en décide autrement, alors qu’il est en France pour régler des papiers, sa compagne met fin à leur relation.
Fatalement, il n’était plus question de s’obstiner à créer une entreprise à l’étranger. Je suis revenu en Normandie sans rien : plus un sou de côté, des dettes, c’était très dur.
Yohann Sévère
À 26 ans, Yohann est complètement démuni, mais il a la chance d’avoir une famille sur laquelle il peut compter. C’est à ce moment qu’il prend conscience qu’une situation peut se dégrader très rapidement.
Sans ma famille, j’aurai fait comme les autres : j’aurais dû trouver une solution, aller dans les centres d’hébergement d’urgence. Je suis passé très près d’une situation difficile.
Yohann Sévère
Rozaly
Dans le parcours de Yohann, l’arrivée de Rozaly, est aussi une étape capitale. Six mois après le décès de sa mère l’arrivée de cette femelle labrador lui permet de compenser le manque d’affection maternelle. Les deux amis grandissent ensemble, et c’est sûrement cette proximité qui fera prendre conscience à Yohann de l’importance de la relation entre le maître et son animal.
Je l’ai dressée comme un chien guide d’aveugle. Elle faisait tout : le téléphone sonnait, elle me l’apportait, elle m’apportait la télécommande. Quand je prenais mon bain, elle m’apportait la serviette. Il fallait qu’elle participe à la vie de la maison, on vivait vraiment à deux.
Yohann Sévère
Mais le destin s’acharne, la chienne déclare un cancer qui fait écho à la maladie de la mère de Yohann. Malgré les nombreux traitements, le sort de Rozaly est scellé. Le vétérinaire conseille au jeune homme de cesser les traitements et de profiter des derniers moments avec sa chienne.
C’était en 2007, quand le veto m’a dit ça. Je suis rentré, j’ai regardé mon chien, et je me suis demandé ce que j’allais faire. J’ai créé ce blog qui s’appelait Rosaly Wafwaf pour y partager le quotidien de ma chienne de son point de vue. Une façon un peu décalée de faire la morale aux humains, de porter un regard sur la vie que l’on mène. Je me lâchais, je me faisais plaisir.
Yohann Sévère
Contre toute attente, Rosaly fait le buzz. Les journalistes s’intéressent au blog et la chienne répond aux interviews. Si le dernier article date de 2014, le blog est toujours consultable aujourd’hui.
Les débuts de Gamelles pleines
Dans la famille Sévère, l’engagement auprès des plus démunis est un sujet qui revient souvent dans les conversations. Quand le frère de Yohann qui organise des maraudes pour venir en aide aux sans-abris manque de bras, il se tourne tout naturellement vers les membres de sa famille.
Mon frère faisait du bénévolat, c’est de famille de s’occuper des autres. Il me dit un jour, « toi qui as du temps pour faire des âneries avec ton chien, tu ne pourrais pas nous aider quand on fait des maraudes pour nourrir les sans-abris.
Yohann Sévère
C’est à ce moment-là que Gamelles pleines va voir le jour. Au contact des sans-abris, Yohann va très vite comprendre le lien étroit qui se lie entre ces hommes, ces femmes et leurs compagnons à quatre pattes. À l’époque cette relation à l’animal est mal comprise, peu prise en compte par les intervenants qui viennent en aide aux SDF. Les chiens sont souvent source de problèmes lors des distributions de nourriture, ils ne sont pas acceptés dans les centres d’hébergement et sont parfois vus comme un frein à la réinsertion. Pourtant Yohann le sait bien : la présence d’un animal est un vrai soutient quand on traverse une période difficile.
Quand j’ai participé aux maraudes, j’étais content qu’il y ait des animaux, et surtout, j’ai retrouvé la même relation que je pouvais avoir avec Rosaly : beaucoup d’amour, beaucoup de sacrifices. La première chose que j’ai remarquée, c’est que quand on donnait un sandwich, ils commençaient par le partager en deux ou en trois pour en donner à leurs chiens. Ça m’a marqué, car c’est une preuve d’amour ultime.
Yohann Sévère
Mais ce geste d’amour ultime est mal compris, source de tension avec les bénévoles et les autres sans abris. Face à ce constat, Yohann décide de prendre contact avec le président de la croix rouge pour lui proposer une solution : si on remplit la gamelle des chiens aussi, tout le monde mangera à sa faim et la situation sera plus apaisée.
Le 4 décembre 2008, l’association Gamelles pleines est créée avec un objectif simple : venir en aide aux sans-abris en prenant soin de leur chien. La première action, évidente, c’est la fourniture de croquettes. Yohann active son réseau grâce à son blog et très vite, il réunit un stock suffisant pour commencer les distributions. Mais la démarche de Gamelles pleines va bien au-delà de la nourriture, car en aidant l’animal, le but est aussi d’aider le maître. Les sans-abris qui connaissent Gamelles pleines savent qu’ils trouveront des bénévoles à l’écoute, que leur relation avec leur animal sera comprise et prise en compte.
Pour certain, le chien c’est le centre de leur vie, ils ont tout perdu sauf ça. Et effectivement, c’est « jamais sans mon chien » quand vous discutez avec eux. C’est la première chose qui vient. Aujourd’hui, on leur propose de dormir dans des structures, mais le chien doit rester dehors, on leur reproche de mal s’occuper de leurs animaux. C’est souvent source de conflit et de colère.
Yohann Sévère
Le regard qui est porté sur la grande précarité est souvent encombré de nombreux clichés, le rapport des sans-abris à leur animal ne fait pas exception. Yohann consacre aussi beaucoup d’énergie à combattre ces préjugés. Il l’a lui-même constaté : les cas de maltraitance animale son rares de la part des gens qui vivent dans la rue.
Ça fait 13 ans que je les accompagne, dans différentes villes de France, ils font beaucoup de sacrifices pour leurs compagnons. Ils sont surtout victimes de beaucoup de clichés, de préjugés. Ça arrive très souvent qu’on m’appelle pour retirer un chien à un sans-abri car il dort dehors. À chaque fois ca m’énerve : la laisse a deux bouts. Moi, ce qui me dérange, c’est qu’un homme dorme dehors avec son chien, ce n’est pas que le chien soit dehors. Nous on va justement s’assurer qu’il puisse entrer dans les structures avec leur chien. Que les deux aillent dormir au chaud et que les deux trouvent des solutions ensemble.
Yohann Sévère
Une association qui compte et qui grandit
Aujourd’hui Gamelles pleines compte 350 bénévoles dans toute la France dans 11 villes de France, de Strasbourg à Montpellier en passant par Caen ou Paris. L’association a développé de nombreuses actions au plus proche des besoins des maîtres confrontés à la précarité.
Pendant que les chiens mangent, les maitres parlent. Ils nous ont raconté qu’ils ne pouvaient pas dormir au chaud, ni nourrir leurs chiens. Parfois des maitres pleuraient parce que leur chien était malade. Ils culpabilisaient, ils se sentaient responsables des souffrances de leurs compagnons.
Yohann Sévère
Les besoins sont effectivement nombreux : en complément de leur présence sur le terrain lors des maraudes, l’association permet un accès aux soins vétérinaires, milite pour l’accueil des animaux dans les centres d’hébergement et propose d’accueillir les animaux pour faciliter l’accès au soin des maitres isolés. Gamelles pleines travaille aussi avec des éducateurs canins pour donner des conseils de dressage. Enfin, les bénévoles sont aussi présents quand il faut accompagner le deuil d’un animal, car parfois, les maitres sont en grande détresse après la perte de leur compagnon.
On fait tout ce qu’on peut pour la relation maitre animal, on essaie de répondre à toutes les difficultés pour que cette relation soit bénéfique à 100%. Pour ceux qui sont dans le deuil, c’est catastrophique, c’est leur univers entier qui s’effondre. Si à ce moment-là, il n’y a pas des gens qui les comprennent, qui ont connu leur animal, qui peuvent les accompagner, on court à des catastrophe. Gamelles pleines a vraiment sauvé des vies ces dernières années.
Yohann Sévère
Pour soutenir l’association, vous pouvez vous connecter à son site internet pour faire un don de croquettes ou acheter le calendrier « 2022 Quatre pattes pour se relever ».
Les modèles de ce calendrier sont les personnes que nous aidons, et les histoires que nous racontons, ce sont leurs histoires. Elles sont là pour montrer combien ces histoires sont formidables. On apporte un peu de bonheur avec un sujet que les gens ne veulent pas regarder habituellement.
Yohann Sévère
Retrouvez les replay de l'émission Vous êtes formidables ici.