Une fondation américaine organise le voyage d'une cinquantaine d'anciens combattants américains de la Seconde Guerre mondiale sur la terre de Normandie. Certains ont servi sur les plages du Débarquement. D'autres étaient dans le Pacifique. Ces vieux messieurs partagent des souvenirs souvent terrifiants, parfois rocambolesques !

L'année dernière déjà, la Best Defense Foundation avait monté cette opération baptisée Battlefield Return. Cette fondation veut permettre à des vétérans de revenir sur les champs de bataille de cette guerre qui a profondément marqué leur existence. Ils étaient une trentaine en 2022. Ce jeudi 1er juin, quarante-cinq vétérans sont arrivés à l'aéroport de Deauville à bord d'un avion spécial. 

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45 vétérans de la Seconde Guerre mondiale sont accueillis sur le tarmac de l'aéroport de Deauville le 1er juin 2023. ©France 3 Normandie

Ces vieux messieurs qui n'étaient que des gamins en 1944 vont participer aux commémoration du 79e anniversaire du Débarquement. Ils ont combattu dans la jungle sur des îles qui n'avaient rien de pacifiques, ils ont passé des mois en mer, sauté en parachute derrière les lignes ennemies pendant la bataille des Ardennes, livré bataille dans les ruines de Berlin. Quelques uns ont débarqué à Utah Beach ou Omaha Beach. La guerre a pris leur insouciance et modelé leur existence. Leur longévité nous vaut aujourd'hui de pouvoir encore entendre leurs récits.

"Je suis l'homme le plus chanceux du monde"

Il lui est arrivé de mentir. Jake Larson a triché afin de pouvoir être incorporé au sein de la garde Nationale en 1938. Il n'avait que 15 ans ! Aujourd'hui, il dit vrai lorsqu'il nous prévient d'emblée : "Vous parlez à quelqu'un d'unique !" Jake Larson est encore du voyage en Normandie cette année. Il file sur ses 101 ans.

Quelque chose sur cette terre l'aimante encore ici, où il a laissé un peu de sa jeunesse. "J’ai écrit les noms de tous ces gens qui ont accosté à Omaha Beach, c’est moi qui les ai répartis dans les différents bateaux", raconte-t-il. En ce mois de juin 1944, il s'apprête à fouler le sable de cette plage sans se douter qu'elle gagnera le surnom d'Omaha la sanglante.

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Jake Larson dit "Papa Jake" est devenu une personnalité sur les réseaux sociaux aux Etats-Unis ©France 3 Normandie

"Aucune photo ne pourrait décrire le paysage du Débarquement, explique-t-il. Quand nous sommes montés à bord de la barge, nous étions 30. J’étais le premier à y entrer, et donc le dernier à en sortir. Quand on est sorti, on avait de l’eau jusqu’au cou (...) Alors nous marchions en rang, parce que les Allemands avaient mis des millions de mines antipersonnelles dans l’eau. Deux mitrailleuses, MG42, ne cessaient de nous canarder, en tir croisés. A un moment, mon pied à heurté un gros galet. Il devait mesurer 15 à 20 cm , et il a sauvé ma vie !"

Jake trébuche. Sous la mitraille, il a le reflexe de sortir une cigarette de son paquet waterproof. "Mais mais toutes mes allumettes étaient mouillées. Donc j’ai demandé derrière moi « eh mec, tu aurais une  allumette ? » Aucune réponse. Je me suis retourné… et il n’y avait plus de tête sous le casque. A ce moment précis, c’est comme si l’âme de ce soldat m’avait crié « lève-toi et cours maintenant ! » Je me suis relevé et j'ai commencé à courir pile au moment où les deux mitrailleuses se sont arrêtées, pour recharger ou pour changer de baril ou un truc dans le genre. Peu importe, elles se sont arrêtées, j’ai couru et ensuite elles ont recommencé à tirer mais elles ne m’ont pas eu, j’avais atteint la falaise."


La bataille a fait rage toute la journée. La tête de pont a été chèrement payée. "A 19h15, notre caporal, Maddison Rich et moi, creusions nos tranchées pour pouvoir dormir. Nous n’avions pas dormi depuis le 4 juin, et nous étions le 6. J'ai trouvé une civière, flambant neuf. Elle devait appartenir à un médecin qui avait dû mourir. Donc j’ai pris cette civière et l’ai placée dans ma tranchée pour ne pas à avoir à dormir sur le sol humide". Jake pense pouvoir se reposer mais il est appelé pour prendre une garde. 

"Cette nuit-là, j’ai dû veiller et surveiller Omaha Beach et tout le trafic qui s’y passait. A minuit, un avion de reconnaissance allemand nous a survolés, il a largué des fusées éclairantes de la taille d’un parachute, des fusées au magnesium qui ont éclairé toute la plage pour leur permettre de prendre des photos. Notre mitrailleuse anti-aérienne a alors commencé à tirer". La suite ne dépareillerait pas dans un film : "Quand l’avion de reconnaissance s’est fait tirer dessus, un bout d’obus est retombé en plein sur ma civière !"

Jake a pris part à bien d'autres batailles jusqu'à celle, glaciale et meurtrière livrée dans les Ardennes. Après quoi, il a bénéficié d'une permission lui permettant de rentrer aux Etats-Unis. Le 30 avril 1945, à Fort Snelling dans le Minnesota, un officier lui signifie qu'il peu regagner son foyer. "Je fus l’un des 12 premiers libérés avant que la guerre ne soit terminée", s'étonne encore l'éternel jeune homme.

Vous vous rendez compte ? Au cours des six batailles auxquelles j'ai participé, je n'ai pas eu une égratignure. Je suis l'homme le plus chanceux du monde ! Quelqu’un là-haut devait veiller sur moi...

Jake Larson

Vétéran du Dday

"Ma mémoire est un peu comme une encyclopédie"

Rien ne prédestinait un gamin de Brooklyn à parcourir le monde, de Pearl Habour jusqu'aux Philippines en passant par Cherbourg et Okinawa. La guerre fut à la fois une fatalité et une opportunité pour Richard Ramsey, que ses frères d'armes appelaient Dick. Au début de la guerre, il transpire au Brooklyn Navy Yard, un chantier naval d'où sortent l’USS Missouri et de l’USS Iowa. La confrontation avec ces navires y est sans doute pour quelque chose : en 1943, c'est l'appel du large. Dick s'engage dans la marine.


Son destin de marin va le conduire sur tous les théâtres d'opération dont les noms s'écrivent aujourd'hui en caractère gras dans les livres d'histoire. Le hasard a voulu qu'il embarque sur un bâtiment à part : "C’était vraiment unique. J’étais à bord de l’USS Nevada, le bateau-héros de Pearl Harbor, le seul bateau à avoir aussi participé au Débarquement en Normandie".

Sa notice biographique résume un itinéraire hors-norme : "Dick a également participé à l’invasion d’Iwo Jima, d’Okinawa et de l’atoll de Jaluit dans les îles Marshall, avant la fin de la guerre en 1945. Lorsque les Japonais se sont rendus, Dick et ses camarades se trouvaient aux Philippines. Il a été libéré avec les honneurs le 25 janvier 1946".


De la bataille de Normandie, Dick a gardé le souvenir d'intenses canonnades. "Lorsque nous sommes arrivés le long des plages normandes, il était environ une heure du matin, nous apercevions le va et viens des planeurs et des avions de parachutistes, cela ressemblait à un kaléidoscope géant, se souvient-il. Nous sommes restés durant 9 jours lors du Débarquement, ensuite nous sommes allés à Cherbourg. Nous avons livré bataille durant 3 heures contre les Allemands… nous étions les assaillants, il y avait l’USS Nevada, le Quincy et le Black Prince, l’un des cuirassés britanniques. Nous devions être à 9 km des plages donc nous avons dû passer sous les tirs pour pouvoir opérer. On a été touché 27 fois…"

Dick est bientôt centenaire, mais il n'a pas oublié "tous ces jeunes hommes sautant des avions en se faisant abattre… ils ont sacrifié leurs présents pour vos lendemains".

C’était triste parce que la plupart d’entre eux avaient le même âge que moi, 18 ans, 19 ans. A cette évocation, la tristesse revient un petit peu, mais la joie aussi parce que je suis toujours là. J’ai vécu une belle vie et j’espère seulement que les choses ne vont pas à nouveau mal tourner en Europe.

Dick Ramsay

Vétéran de la Seconde Guerre mondiale

"On y va. Les conditions météo s’améliorent, donc on y va !"

Cliff a grandi dans l'Iowa. Il se destinait à une carrière de comptable quand la guerre l'a rattrapé. En 1943, il est incorporé dans la 82e division aéroportée. Il venait de fêter son 19e anniversaire. Il s’entraîne en Californie et au Texas avant de rejoindre la compagnie E du 80e bataillon aéroporté d’artillerie antiaérienne.

Aujourd'hui encore, il revoit ce moment où Eisenhower s'est adressé aux soldats qui patientaient sur un terrain de football en Angleterre. 

Eisenhower nous a dit : les conditions météorologiques ont changé, ça s’éclaircit, ça s’améliore. J’ai de plus grands et meilleurs projets pour vous… et là, ce fut le silence total. Parce que nous savions ce qui nous attendait. Il nous a dit : on y va. Les conditions météo s’améliorent, donc on y va !

Clifford Stump

Vétéran de la 82e Airborne

Le 5 juin 1944, Clifford Stump embarque à bord d'un planeur juste avant le crépuscule. "Nous transportions une jeep et un mitrailleur anti-char". Le planeur n'était rien d'autre qu'une structure métallique enveloppée dans une toile. "Nous avons atterri derrière la ligne de front, en Normandie. Il faisait froid, humide. C’était très triste. Ma première image de la Normandie, c’est une large ligne barbelée. Après l'atterrissage, nous avons déchargé nos affaires et on a tous foncé vers les bois pour pouvoir se cacher".


Il ne s'étend guère sur les combats auxquels il a pris part, sans doute par pudeur, pour ne pas avoir à revivre certaines scènes encore traumatisantes. "Je n’aime pas m’étendre sur la guerre parce qu’il y a beaucoup de choses sur le sujet que j’essaie de garder enfouies".

La brève biographie publiée par la Best Defense Foundation précise : "Tout au long de sa carrière de combattant, il a été largué derrière les lignes ennemies, a souffert d’engelures sur le champ de bataille et a participé à plusieurs batailles historiques, notamment en Normandie, en Hollande, à Bastogne lors de la bataille des Ardennes et lors de l’occupation de Berlin".


"J’ai été blessé plusieurs fois. Le pire moment fut lorsqu’on se rendait à Berlin. On pensait qu’on rentrerait à la maison sains et saufs, on roulait tranquillement pour rejoindre la ville et participer à l’occupation, mais ça ne s’est pas passé comme ça… Un avion est passé au-dessus de nous et a largué une bombe. Cette bombe m’a projeté quelques mètres plus loin dans un trou rempli de boue. C’était horrible, j’ai pensé que c’était la fin… que je ne reverrais plus jamais ma maison."

De retour à la vie civile, il a repris ses études et embrassé la carrière de comptable en essayant de tenir les souvenirs à distance. "Vous savez, vous n’oubliez jamais, c’est toujours dans un coin de votre tête". En 2019, à l'occasion des cérémonies du 75e anniversaire du Débarquement, Clifford fait le voyage en Normandie. Il assiste au discours du président Trump. "Le matin suivant, je suis allé prendre ma douche tout excité d’être ici en Normandie, j’ai glissé et je me suis cassé le bras !". Le voyage s'arrête là : il est rapatrié sanitaire aux Etats-Unis.


Ce n'était qu'un rendez-vous manqué. Cliff a été invité dans le cadre de l'opération Battlefield Return en 2022. Il a encore fait le voyage cette année. Et rien ne dit qu'il ne sera pas là pour célebrer le 80e anniversaire du Débarquement. Peut-être même fêtera-t-il son centenaire en Normandie, le 13 juin 2024 ?

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