Le Chat de Philippe Geluck passe l'hiver en Normandie : à Caen, "c'est une version inédite de mon exposition"

L'exposition "Le Chat déambule" est à découvrir dans quatre lieux à Caen depuis ce samedi 2 octobre 2021. Le dessinateur Philippe Geluck présente 20 statues de bronze représentant son personnage fétiche, entre sujets graves et "humour crétin", dans une configuration inédite.

Il a toujours eu un peu d'embonpoint. Mais cette fois-ci, on peut dire que le Chat a vraiment pris du volume, s'extirpant du cadre étriqué d'une feuille de papier pour s'épanouir en plein air et en trois dimensions : des statues de deux tonnes et demie et presque autant de mètres de haut installées cette semaine aux quatre coins de Caen. L'exposition s'intitule "Le Chat déambule" et a été auparavant présentée sur les Champs-Elysée à Paris puis sur les quais de Bordeaux. Ce projet, Philippe Geluck, le papa du Chat, le porte en lui depuis de nombreuses années. " Les premiers dessins que j'ai publiés à l'âge de 16 ans ont été très vite accompagnés de petites sculptures que je fabriquais et qui accompagnaient un tableau, un dessin ou une installation. Sculpter Le chat, je me suis mis à le faire en 1987, quand il a eu quatre ans. C'est venu très vite et ça ne m'a jamais quitté. Si on y réfléchit, tous les sculpteurs ont été des dessinateurs au départ. Rodin a fait des dizaines de milliers d'aquarelles maginfiques - je ne me compare pas à Rodin - et Michelange, un autre confrère, faisait aussi des tableaux qui étaient pas mal", raconte le dessinateur belge, dans un sourire teinté d'humour qui le caractérise.

"Quand on m'invite, j'arrive !"

Pour donner corps à ses chats monumentaux, Philippe Geluck a travaillé avec son compatriote Jo Van Geert, maître fondeur. Les vingt statues de bronze sont arrivées à Caen le 22 septembre dernier, une étape qui ne figurait pas forcément sur la feuille de route initiale du dessinateur. "Ce n'est pas moi qui ai choisi Caen, c'est Caen qui m'a choisi." Quelques années auparavant, président du jury du concours de plaidoiries des lycéens au Mémorial, Philippe Geluck évoque son projet d'exposition à Stéphane Grimaldi. Le directeur du musée pour la Paix lui conseille alors d'en parler au maire de Caen, Joël Bruneau. "On est allé prendre un café chez lui et il a été emballé par l'idée : Il faut faire l'exposition à Caen ! Moi, quand on m'invite, j'arrive."

Le dessinateur imagine alors reproduire ce qu'il fera à Paris et Bordeaux : exposer ses chats "à la queue leu leu" sur un même lieu, le quai Vendeuvre. La Ville a une autre idée. Quitte à ce que le Chat déambule, autant qu'il le fasse aux quatre coins de Caen. "Je me suis dit : Ouh lala", confesse Philippe Geluck, à l'époque pas convaincu. "Et finalement, c'est leur idée qui était la bonne et j'adore cette nouvelle narration : un parcours, quatre lieux différents avec la place de l'hôtel de Ville, le quai Vendeuvre, la place de la République et le Mémorial. C'est une version inédite de mon exposition." Ne reste plus qu'à suivre les traces de pattes du Chat pour se laisser guider à travers la ville.

Une exposition un peu différente, donc, de celle présentée à Paris et Bordeaux mais aucun des vingt Chats de bronze ne manque à l'appel. Comme Pipi et Grosbidet, l'une des huit statues installées devant la mairie. "C'est sans doute la sculpture qui plaît le plus aux enfants. Ils sont morts de rire. Mais les grands aussi !", s'amuse Philippe Geluck qui, pour donner "vie" au jet d'urine du petit chien qui accompagne son personnage fétiche, a travaillé avec les fontainiers de la ville. "Cette sculpture est d'une poésie folle parce que c'est à la fois Le Chat qui a un chien - ce qui est rare - mais aussi une référence à Milou, le chien de Tintin, et au Manneken-Pis, qui fait pipi pour les passants depuis des siècles et qui représente l'esprit frondeur de Bruxelles. C'est un petit garçon qui a sauvé un quartier de la ville d'une terrible explosion. Durant l'occupation espagnole, il y avait des gens qui voulaient faire sauter un entrepôt de poudre. Ce qui aurait causé la mort de centaines de personnes. Ce petit gamin a vu la mèche qui avait été allumée et il a pissé dessus pour l'éteindre."

Car si Philippe Geluck revendique son "humour crétin", il y a souvent bien plus à découvrir derrière la blague potache, comme ce parapluie qui fait pleuvoir sur le Chat dans l'oeuvre intitulée "Singin' in the rain", elle aussi installée devant l'hôtel de ville. "Le parapluie belge, c'est le sentiment que nous avons un peu en Belgique, c'est à dire qu'on a l'impression d'avoir ce qu'il faut - le climat, les terres agricoles, les villes, l'emploi - et que, malgré tout, on arrive à faire foirer le bazar parce que les Flamands et les Wallons ne s'entendent pas, parce qu'on a 10 000 fois trop de politiciens, etc. C'est un pays qui ne fonctionne pas comme il devrait. Qui avait tout pour lui et qui arrive à faire foirer le truc." La violence routière ou la pollution plastique sont d'autres sujets abordés par cette exposition.

"L'art peut être engagé, la création peut être engagée, mais elle ne doit pas l'être obligatoirement. Si l'art n'était qu'engagé, à un moment ce serait roboratif. Il faut aussi qu'il soit là pour nous faire rêver, nous faire rire, pour nous surprendre, nous émouvoir", tient à préciser Philippe Geluck. Le public pourra ainsi admirer un Chat golfeur, un Chat petit rat (qui l'eut cru !) engoncé dans un tutu, un Chaltérophile ou un Chat faisant de la balançoire avec une souris bien plus petite que lui.

Une "très très grande émotion" devant le Mémorial de Caen

Mais parmi les 20 statues exposées à Caen, l'une d'entre-elles occupe une place bien particulière dans le coeur du dessinateur belge : le martyre du Chat. "C'est un hommage à la mémoire de mes confrères et amis assassinés lors des attentats de Charlie Hebdo. J'ai représenté le Chat en martyre de Saint-Sébastien, transpercé de crayons de couleurs, pour symboliser notre métier. Des petits oiseaux sont venus se poser sur les crayons. Ils symbolisent l'espoir, le futur, la vie qui continue malgré tout. Lorsque nous l'avons installé devant le Mémorial de Caen, j'ai été pris d'une très très grande émotion, d'abord pour ce que cette statue signifie et puis de la voir là, devant ce lieu de mémoire. Voir le Chat devant ces drapeaux qui symbolisent ces jeunes de 20 ans qui ont donné leur vie pour notre liberté, ça m'a tiré les larmes et j'espère que chacun ressentira cette émotion."

Faire rire et réfléchir. Faire rire pour réfléchir. "Plus que jamais, nous devons, dans nos pays de liberté d'expression, maintenir cette qualité de réflexion, l'insolence", estime Philippe Geluck, avant d'ajouter : "nous devons savoir aussi que nous nous adressons à tous, y compris à des gens qui ne sont pas coutumiers de l'insolence ou du second degré. Je pense donc qu'il faut faire, surtout auprès des jeunes générations, un travail de pédagogie pour leur dire que quand on rit de quelque chose, ce n'est pas forcément qu'on méprise cette chose mais qu'on veut provoquer une réflexion. La réflexion est toujours source d'un dialogue. Et c'est dans le dialogue qu'on trouve des solutions."

L'exposition "Le Chat déambule" est à découvrir jusqu'au mois de mars à Caen. Elle s'accompagne d'un livre, d'une application (gratuite) sur smartphone et d'une autre exposition, cette fois-ci en intérieur, intitulée "Caen le Chat s'expose", une série de tableaux et dessins à découvrir au scriptorium de l'Hôtel de Ville jusqu'au mois de janvier. 

 

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