Le mémorial canadien de la Seconde Guerre mondiale menacé de disparition à cause d'un projet immobilier ?

Le Centre Juno Beach à Courseulles-sur-mer et le promoteur immobilier Foncim s’affrontent dans une bataille judiciaire. Au cœur de la discorde, l’utilisation de la voie d’accès au musée. Le promoteur souhaite l’utiliser pour construire 66 logements de standing. Le musée refuse jugeant celle-ci trop étroite. Un afflux d’engins de chantier menacerait l’accessibilité du Centre et donc compromettrait la venue des touristes.

78 ans après le Débarquement c’est une nouvelle bataille qui se tient sur Juno Beach, à Courseulles-sur-mer. Cette fois-ci elle est judiciaire. Les propriétaires d'un terrain jugé enclavé par le tribunal, ont obtenu le droit d'utiliser (le temps d'un chantier) la route du musée mémoriel du débarquement des Canadiens. Ce terrain a été acheté en 2018 par Foncim, un promoteur immobilier qui souhaite construire 66 logements de standing. Cette décision judiciaire est jugée "incompréhensible et désastreuse" par Nathalie Worthington, directrice du musée.

Selon elle, les travaux, qui doivent se faire par la route du musée, causeraient des pertes économiques telles que le musée serait voué à disparaître. "On va en crever", regrette émue la directrice du musée. Elle reprend : "Il y a des milliers de personnes qui viennent ici se recueillir. C’est un lieu de recueillement, d’éducation, qui nous ouvre à la citoyenneté… et tout ça, ça va disparaitre pour des enjeux individuels ?", raconte-t-elle, usée par la situation.

Un permis de construire controversé

Tout a commencé en 2018. L’ancienne municipalité a accordé un permis de construire sur un terrain au bout de la péninsule. Ce terrain se trouve juste à côté du Centre Juno Beach. Pour s’y rendre il y a la route des Français libres qui mène au musée et qui appartient aux Canadiens, (NDLR : le terrain sur lequel a été construit le centre Juno Beach est prêté aux Canadiens dans le cadre d’un bail emphytéotique signé pour 99 ans au lendemain de la Seconde Guerre mondiale). Le second passage pour accéder au terrain peut se faire au niveau du pont réservé aux usagers du port.

En 2019, pour les commémorations du 75e anniversaire du débarquement, un grand événement rassemblant chefs d’État et vétérans s’était tenu aux abords du musée. "À l’époque le centre Juno Beach et la mairie m’ont demandé de démolir le hangar pour le 75e anniversaire du Débarquement. Donc ils m’ont demandé d’acheter le terrain, explique Delphine Jean, présidente de Foncim. On a autorisé nos camions à passer par la voie des Français libres. Et le jour où j’ai souhaité commencer les travaux on m’a bloqué les accès".

"Tout s'est fait derrière notre dos"

Une version contredite par la directrice du musée, qui assure ne jamais avoir été mise au courant de l’achat de ce terrain et de ce que la ville comptait en faire. "C’est un arrangement avec la mairie de l’époque", reprend Nathalie Worthington. "On a été mis devant le fait accompli. Un permis de construire a été déposé en décembre 2018. Il a été accepté en 7 semaines. Du jamais vu !, s’étonne l’historienne. Au bout de deux mois on nous a reproché de pas avoir fait de recours, mais c’était en février mars, on était en pleine préparation du 75e anniversaire avec 7 chefs d’Etat ! On avait autre chose à faire que faire le tour du quartier…"

Elle l’assure, Foncim n’a jamais pris contact avec le musée à cette époque. "La route on la laissait ouverte pour rendre service à tout le monde et eux ils ont confondu le fait de bon voisinage avec un droit qui leur était acquis. Ils ont tout de suite lancé le judiciaire sans faire l’effort de nous rencontrer. La première fois où j’ai rencontré quelqu’un de Foncim c’était en mars 2021. Qu’on ne vienne pas nous dire que les choses étaient convenues. Tout s’est fait derrière notre dos".  

Des logements de standing à 4000€/m²

Aujourd’hui, le musée et le promoteur immobilier sont impliqués dans trois procédures judiciaires. La dernière décision du tribunal rendue le 7 janvier 2022 donne raison au promoteur. Puisque la justice juge le terrain de Foncim enclavé, ce dernier peut alors utiliser les voies privées pour faire passer ses engins de chantier. "Ils peuvent commencer les travaux maintenant s'ils le souhaitent", déplore Nathalie Worthington. Les logements qui doivent voir le jour sont des appartements entre 50 et 100m² vendus 4 000€ le m².

Certains lots ont d’ores et déjà été vendus par le promoteur. "Les dommages collatéraux ce sont mes clients, qui ont acheté un appartement ici. J’avais tous les permis, ils avaient confiance. Ils ont vendu leur maison et ils se retrouvent en location, donc c’est eux qui sont pénalisé", tient à préciser Delphine Jean présidente de Foncim. Elle note également qu’aucun recours n’avait été déposé en mairie, même après la réunion publique. "On a jamais rien eu, aucune demande, ni de madame la maire qui était dans le conseil municipal à l’époque et qui avait voté le projet. Si personne ne voulait qu’on construise ici il fallait faire un recours, je n’aurais pas été jusqu’au bout".

Courseulles dans les communes à risque de la loi Climat Résilience

Ce lundi 7 février à l’occasion d’un point presse, Anne-Marie Philippeaux, maire de la commune, a réitéré son soutien au Centre Juno et se réserve "le temps de savoir si on fait appel ou pas". L’élue ne comprend pas la décision du 7 janvier affirmant la situation d’enclavement du terrain de Foncim, une expertise étant en cours pour savoir si le pont serait empruntable pour les travaux. Anne-Marie Philippeaux craint également qu’un tel projet immobilier à quelques mètres de la plage, sur des dunes, ne soit pas compris pas les habitants.

En effet depuis le début de l’année, la commune de Courseulles-sur-mer est inscrite dans les communes "à risques" dans le cadre de la loi Climat Résilience. Pour autant les nouvelles contraintes qu’impliquent cette loi ne pourront pas s’appliquer au projet immobilier de Foncim. "Leur droit à construire, ils l’ont eu avec des règles du PLU et PPRL existants". Alors toutes les nouvelles règles comme celles de la loi Climat Résilience ne s'appliqueront pas puisqu'elles ne sont pas rétroactives. "Il faut que Foncim comprenne que 70 logements là, ça ne peut pas être compris", insiste l’édile.    

"Ça va gâcher le paysage"

Dans les dunes ensoleillées de Courseulles-sur-mer, non loin du Centre Juno Beach, l’annonce d’un tel projet immobilier ne fait effectivement pas l’unanimité. Nicole et Bernard habitent la commune depuis 30 ans. Ils ne comprennent pas qu’on puisse construire dans cette zone. "Il y a des risques de submersion, il faudrait construire sur pilotis au moins", commence Bernard 74 ans. Nicole reprend : "il y aurait eu mieux à faire". Son époux acquiesce : "oui comme un parc de jeux pour les enfants, ou même des installations pour les adultes… ça va gâcher le paysage".  

Philippe et Brigitte habitent depuis 4 ans à Courseulles. En tant qu’usagers du port, ils regrettent un projet créant davantage d’afflux de personnes dans un lieu "déjà surpeuplé l’été". Philippe ajoute : "Je pense que les futurs habitants ne se rendent pas comptent des nuisances qu’il y a ici. Parfois il y a des algues, ça sent mauvais. Et l’accès n’est pas facile, il faut parfois attendre une heure pour utiliser le pont, le stationnement est compliqué… Brigitte complète : "Ce n’est pas un lieu adéquat, il ferait mieux de construire ailleurs".


Vers une bataille diplomatique

Construire ailleurs, c’est également la solution suggérée par un couple d’Hollandais venus se recueillir à Juno Beach. Quand on leur annonce qu’un projet immobilier doit voir le jour à quelques mètres de là, Jochem grimace. "Non je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Si vous voulez construire une bel immeuble construisez le quelque part ailleurs dans la ville, mais pas ici. C’est un lieu de recueillement, ce n’est pas un endroit pour construire un grand immeuble que ce soit pour les riches ou les pauvres d’ailleurs".

Aujourd’hui la bataille judiciaire se poursuit. Le centre Juno Beach a fait appel de la décision du 7 janvier, et l’expertise du pont n’a toujours pas été rendue. La mairie de Courseulles-sur-mer a de son côté pris la décision de contacter l’Ambassade du Canada pour déplacer la bataille sur un plan diplomatique.

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