A partir de vieux objets, de témoignages d’habitants du quartier Sainte Thérèse à Caen, Pascal Bodet veut faire vivre la guerre et l’après-guerre de ce quartier de la rive droite dont les archives sont rares.
La maison date des années 30, parfaitement restaurée. Pascal Bodet y a vécu pendant 20 ans avec sa famille avant d’y installer l’an dernier une épicerie-musée. Avec le temps, ce passionné d’histoire a cumulé objets familiaux et découvertes de vide-greniers. « C’est mon dada » dit-il. « Tous les dimanches, je visite un vide-greniers à la recherche du souvenir d’antan qui viendra compléter ma collection ».
Il rêve de tout consigner dans un livre. En attendant, il se concentre sur l'épicerie-musée et le circuit, commenté par sa fille Camille.
Une immersion fidèle dans le passé
Un groupe de visiteurs passe le seuil de la porte.
Ce n’est pas sans émotion que le maître des lieux Pascal montre d’abord ses portraits de famille dans la cage d’escalier qui conduit à la chambre à coucher et à la cuisine. Péguy Hamel, professeure des écoles est impressionnée par la qualité du décor. "Avec ce dessus-de-lit » lance-t-elle , « J'ai l’impression de me voir chez ma grand-mère ». Dans la cuisine à côté, sa fille Ninon ouvre un splendide buffet d’époque. A l’intérieur, des couverts et une carafe de calva en grès. « Mon arrière grand-mère avait la même » dit-elle. Dans le coin de la pièce, une cuisinière à bois et sur le mur un calendrier de 1947. « J’aime l’histoire » poursuit la jeune fille. « Cette période n’est pas si loin, on n’est pas à l’abri d’une nouvelle guerre, c’est important que l’histoire vive ! »
« Pour ne pas se faire tuer, les allemands jetaient leur arme dans l’eau avant de se rendre »
Au rez-de-chaussée, une pièce musée : Pascal Bodet s’enorgueillit de ses trésors de guerre : une poupée de 1944, une peluche en paille, des tickets de rationnement, une pierre de lit (l’ancêtre de la bouillotte), un plumeau avec des plumes de coq. La grande armoire regorge d’objets dont certains, anachroniques, qu’il faut deviner. « On regarde mais on peut aussi toucher les objets ! » se réjouit-il. Sur le mur, une de ses plus belles pièces: un fusil allemand, Mauser K 58. Sa fille Camille, dans une robe d’époque, prend le relais de la visite et explique: « Pour ne pas se faire tuer, les allemands jetaient leur arme dans l’eau avant de se rendre. Ce fusil a vécu 70 ans dans un étang… De la très bonne qualité car il n’est presque pas abimé ! » Puis , devant une couverture appartenant à son grand-père, elle raconte son STO (service de travail obligatoire): « Il a été envoyé dans une mine de fer » dit-elle.
Les prisonniers sabotaient le métal en le couvrant d’eau pour le rendre cassant
Camille
Un quartier de Caen martyrisé
Le cours d’histoire se poursuit, mais cette fois dans la rue ! C’est parti pour un tour du quartier Sainte-Thérèse. Première étape, le stade Jean Tocquer où se trouvait en 1947 une piscine, la seule et unique du Calvados à l’époque. Camille précise : « L’eau était chauffée grâce à un moteur de locomotive mais avait pour désagrément de rejeter de la cendre à la surface du bassin qu’il fallait retirer à l’épuisette ». Un peu plus loin, le jardin Lucien Sébire accueillait des baraquements sous forme de demi tonneaux métalliques spartiates ou encore les fameuses « suédoises », maisons en bois au confort moins rudimentaire pour les habitants victimes des bombardements.
La biscuiterie Jeannette envers et contre tout
La jeune guide poursuit rue de la Marne. Parmi la trentaine de commerces du quartier, ici se concentraient les plus caractéristiques : l’ épicerie « la normande », un marchand de glace, une boulangerie, une graineterie, un garage, une charcuterie, un marchand de gaz. Et aussi, un grossiste de lait, des bains douches très prisés des caennais et l’illustre biscuiterie Jeannette. « A l’époque, les allemands ne l’ont pas pillée » dit-elle. « Elle produisait des biscuits à base de caséine qui remplaçait le beurre »; avant d’évoquer le dernier conflit social dont elle s’est malgré tout relevée en 2014.
Le p’tit Marcel: une figure incroyable
Des lieux mais aussi des personnages ont marqué la vie du quartier. Parmi eux, Marcel Valérie dit « le p’tit Marcel dont l’exode dans le bocage virois après la destruction de sa maison lors du débarquement de 1944 l’a conduit au Danemark. « Là-bas, il a fait des études de couture et est devenu styliste pour Nina Rici et Dior». « Il est aujourd’hui retraité à Caen, c’est une figure incroyable » s’enthousiasme Camille.
Dans l'auditoire, des représentantes de l'office du tourisme de Caen-La-Mer suivent avec attention le déroulé de la visite. Florence Nikolic, responsable de la promotion presse et Alix Jonet, animatrice numérique sont là pour tester la prestation. "Nous suivons le parcours pour, le cas échéant, le mettre en avant dans nos propositions touristiques sur notre site internet et les réseaux sociaux" indiquent-elles. "Nous constatons que Camille est très l'aise avec le sujet".
Un panier d’histoires
Le périple prend fin à l’épicerie-musée où l’on retrouve Pascal Bodet, plein de verve pour son univers qu’il a façonné à la force des poignets et qui est aussi son lieu de travail. Dans l’arrière-cour se trouve son atelier où il fabrique ses produits à la main : confit d’oignons et de figues, vinaigre et moutarde, apérinette betteraves, chutney de pommes, pain d’épice prennent place sur des étagères en bois qu'il a lui-même confectionnées… Cet amoureux d’histoire mais aussi fin gourmet a bien plus d’une recette dans son panier.
Épicerie-musée: 77, boulevard de Rethel à Caen. Ouverte les mercredis de 14 h à 18 h, les jeudis, vendredis et samedis de 9 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Visite guidée du quartier et du musée du mercredi au dimanche, à 10 h (sauf mercredi) et 14 h, sur réservation. Tarif 3 € pour les enfants et 5 € pour les adultes. Tél. 06 88 88 77 46.