Les cahiers de doléances passés à la loupe

Les écrits reprennent les colères déjà exprimées sur les ronds-points par les gilets jaunes. Dans les cahiers, il est d'abord question du pouvoir d'achat et des impôts. Et les élus en prennent souvent pour leur grade. Revue de détail.

Nous avons feuilleté les registres ouverts aux Monts d'Aunay (Aunay-sur-Odon) et au Hom (Thury-Harcourt). "Regroupement de communes. Regroupement de communautés de communes. Perte d'identitité. On ne s'y retrouve plus !" râle un habitant. Les mots sont parfois grifonnés. La colère s'y exprime en quelques lignes, ou sur des pages entières. D'autres sont méthodiquement rédigés, d'une écriture soigneuse. Certains textes sont dactylographiés. Feuilletons les pages.
 

  • "Une aide pour les personnes qui ont le courage de se lever le matin"

Les "gilets jaunes du rond-point de Thury-Harcourt" rappellent que leur mouvement vise d'abord à obtenir un meilleur pouvoir d'achat. "Un SMIC à 1500 € net minimum et aucune pension de retraite en dessous de 1200 €". Deux pages plus loin, quelqu'un résume : "Nous voudrions une aide pour les personnes qui ont le courage de se lever le matin". Un autre apprécie manifestement le geste du président en faveur des petits salaires : "ce serait bien à continuer". Plusieurs personnes réclament une revalorisation de l'AAH (Allocation Adulte Handicapé). Et une locataire juge trop élevés les loyers des "logements dits sociaux".

Si tout le monde plaide pour une meilleure rémunération, où placer le curseur ? Un citoyen trouverait juste que le "minimum vieillesse" soit porté à "1000 €" quand un peu plus loin, un concitoyen réclame une retraite à "1800 € minimum". Les retraités expriment une colère unanime :

Monsieur le président, ayant cessé mon activité en 2011, j'ai déjà perdu 100 € sur ma retraite. Je vous demande comme tous les retraités de France de revoir le taux de nos pensions.


La hausse de la CSG divise. Ceux qui n'y étaient pas tout à fait opposés exigent cependant une contre-partie. "Nous l'avons accepté par solidarité avec la génération qui travaille. Mais la non-indexation des retraites est inadmissible. À terme, nous n'aurons plus rien !" Tout aussi solennellement, une dame s'insurge d'être pénalisée au terme de sa carrière : "il existe bien une différence entre les hommes et les femmes, avec un avantage notoire pour la gent masculine".

 

  • ISF, CSG, TVA, CICE, TH...

Le citoyen maîtrise manifestement le vocabulaire fiscal inventé par l'administration :

L'Impôt de Solidarité sur la Fortune arrive souvent au sommet des préoccupations exprimées sur le papier. "Rétablissement de l'ISF", "remettre l'ISF", faire payer "l'ISF, s'il est avéré que les sommes non-recouvrées ne sont pas investies dans les entreprises". La TVA est un l'autre sujet qui cristallise le mécontentement. Beaucoup réclament une baisse du taux appliqué aux produits de première nécessité. Et pourquoi pas "un taux zéro" ?
 

Le Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) est aussi dans le viseur. Certains voudraient qu'il soit supprimé. D'autres jugent qu'il faut le réserver "aux petites entreprises". D'autres sociétés, accusées d'échapper à l'impôt, sont pointées du doigt : "les GAFA", acronyme formé par Google, Amazon, Facebook et Apple, symbolises de l'économie du Net. Nombreux sont ceux qui jugent prioritaire de taxer ces multinationales "comme les entreprises françaises". L'injustice ressentie face à "l'évasion fiscale" est aussi fréquemment exprimée.

Enfin, dans un pays réputé pour avoir la taxe facile, certains ne manquent pas d'imagination pour en créer de nouvelles. Pourquoi pas "une vignette" pour les "voitures de luxe et les bateaux de loisir" ? Transmis aux fonctionnaires de Bercy, aux automobilistes et aux plaisanciers...
 
  • À bas les privilèges !


C'est sans doute le sujet qui absorbe le plus d'encre. Il pourrait être résumé par cette phrase d'un habitant d'Aunay-sur-Odon :
 

Le peuple ne supporte plus qu'on lui demande des efforts quand la classe politique s'enrichit sur son dos.


La défiance à l'égard des "élus", des "députés et sénateurs" s'y exprime à longueur de page. Ils sont "trop nombreux", ils jouissent de "privilèges", et leur train de vie supposé concentre les critiques : "Mme Merkel s'habille-t-elle chez Vuitton ?" interroge un habitant du Hom. Ambiance...
 


On réclame "la fin des privilèges pour les sénateurs, députés et anciens ministres", la fin des "salaires exhorbitants pour les élus", "la fin des indemnités présidentielles à vie". On exige le "plafonnement des indemnités", "des indemnités réduites en cas d'absence à l'Assemblée", et même la présence des députés et des sénateurs "sous peine d'amende".

Les "politiciens" sont priés d'être "irréprochables", de faire preuve "d'exemplarité". Les députés doivent "respecter l'avis des citoyens et non pas lever comme une seule main" (sic). Les "hauts-fonctionnaires", les "énarques" ne sont guère mieux considérés, accusés d'être à l'origine de la limitation à "80 km/h, absurde et représentatif de décisions technocratiques"

Cette défiance est aussi résumée par un acronyme : le R.I.C, le Referendum d'Initiative Citoyenne. Les gilets jaunes le revendiquent désormais. Il doit être "décisionnel". Il faudrait même permettre au peuple de "remecier un élu", de le "révoquer". Et là commence le débat : un citoyen met en garde : "pas question de remettre en cause l'élection une fois acquise. Ce serait la porte ouverte à l'anarchie". Le débat est ouvert.
 
Bien d'autres sujets sont évoqués dans ces cahiers qui viennent d'être adressés à la préfecture. Nous souhaitons d'ailleurs bon courage à ceux qui seront chargés de les lire tous. Il faudra faire le tri parmi les revendications en matière de santé ("débloquer des budgets pour les hôpitaux et les maisons de retraites", en finir avec "les dépassements d'honoraires qui créent une santé pour les riches"). Il est aussi question de la "fracture numérique" et des "promesses répétées depuis de nombreuses années". Pourrions-nous avoir "au moins la 4G" ? réclame un citoyen internaute.

D'autres abordent la question de migrants. Faut-il fermer les frontières, imposer "des quotas", leur "permettre de travailler" même s'ils n'ont pas de papiers ? En revanche, les sujets qui touchent à l'environnement ne sont quasiment jamais mis sur la table, sauf pour parler "d'écologie punitive" et du matraquage de l'automobile, "dernier refuge, espace de liberté en campagne".

Enfin, plus anecdotique, mais semble-t-il tout aussi urgent, à Aunay-sur-Odon, "pourriez-vous nous mettre un robinet en bas du cimetière" ?  C'est bien noté.















 
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