Le film Les Chèvres !, de Fred Cavayé, sort en salles ce mercredi 21 févier. L'occasion de se replonger quelques siècles en arrière pour tenter de comprendre pourquoi les animaux étaient jugés et condamnés comme des humains.
Une chèvre jugée pour le meurtre d'un maréchal. Tel est le synopsis du film Les Chèvres ! de Fred Cavayé, avec Dany Boon, Jérôme Commandeur et Claire Chust. Il y est donc question du procès d'un animal, devant une Cour de Justice, avec un vrai juge et de vrais avocats.
Si, aujourd'hui, pareille scène apparaît délirante, elle était assez commune au Moyen-Âge, jusqu'en 1741 où l'on trouve trace de la condamnation par le tribunal de Paris d'une vache qui avait tué un homme en le bousculant.
Sophie Poirey, maître de conférences en Histoire du droit à l'Université de Caen Normandie, spécialiste du droit normand, revient sur cette période de l'Histoire où hommes et animaux étaient égaux devant la justice.
À cette époque, les animaux étaient-ils jugés exactement comme n'importe quel être humain ?
Sophie Poirey : Tout à fait. Les procès d'animaux nous paraissent très surprenants aujourd'hui, dans la mesure où ces animaux étaient jugés comme des hommes. Ils étaient emprisonnés après le méfait qu'on leur reprochait, ils attendaient en prison leur convocation pour leur procès, puis ils étaient convoqués devant un tribunal pour être jugés.
On faisait venir un bourreau, parfois de très loin. D'ailleurs, tous les frais, de prison, d'alimentation, d'exécution, étaient à la charge du propriétaire de l'animal. Surtout, les exécutions étaient publiques parce que les procès d'animaux correspondaient à de la justice spectacle.
Justement, pourquoi exécuter les animaux en place publique ?
Sophie Poirey : Cela répond d'abord à une volonté d'expiation, à l'idée qu'un coupable doit être jugé même s'il est irresponsable, ne serait-ce que pour apaiser le corps social. Les procès au pénal doivent servir d'exemplarité et ne pas laisser un crime impuni.
Il y avait aussi des procès en excommunication, de sauterelles, de rats, de mouches. Il s'agissait là plutôt de rites d'exorcisme. Le faire en place publique avait pour vocation de dissuader les potentiels auteurs de crimes, et aussi dissuader les animaux.
D'ailleurs, bien souvent lors du procès d'un animal, d'autres propriétaires, ainsi que leurs animaux étaient conviés, ainsi qu'à l'exécution.
Au Moyen-Âge, on a bien conscience que l'animal n'est pas conscient de son méfait. Pour autant, si la justice admet l'irresponsabilité des fous et des enfants de moins de sept ans, les procès d'animaux se poursuivent quasiment jusqu'à la révolution.
Sophie Poirey, maître de conférence en Histoire du droit à l'Université de Caen
Exécutait-on les animaux de la même façon que les hommes ?
Sophie Poirey : Oui. La plupart du temps, soit on pendait l'animal, soit on le brûlait. Au 18e siècle, il fut organisé un procès pour zoophilie, un homme avait eu des relations coupables avec une ânesse. Les deux furent condamnés au bûcher. Entre-temps, l'animal est mort en prison.
La justice a ordonné d'aller chercher une autre ânesse pour qu'elle soit exécutée en même temps que l'homme.
Parfois, les juges allaient jusqu'à appliquer la loi du Tallion (Oeil pour œil, dent pour dent, NDLR). Ce fut le cas lors de l'emblématique procès de la truie de Falaise, connu dans toute la France. Il s'agissait de punir une truie qui avait mutilé un enfant qui est mort par la suite.
Le bourreau avait lui aussi mutilé la truie aux parties où elle avait attaqué l'enfant. C'est davantage l'idée d'une vengeance sociale plus qu'une punition de l'animal.
Aujourd'hui, la justice a-t-elle changé envers les animaux ?
Sophie Poirey : Oui et non. Il n'y a plus d'exécutions publiques, ni d'hommes, ni d'animaux. Les animaux n'ont pas la personnalité juridique donc ils ne peuvent pas être jugés pour leurs crimes. Toutefois, quand vous avez des affaires de morsures de chiens sur des enfants par exemple, ils sont condamnés à être euthanasiés.
Il n'y a pas de procès spectaculaires mais l'animal est quand même puni pour le dommage causé. C'est peut-être une survivance de l'idée que l'animal est coupable et qu'il doit disparaître. Cela dit, de nos jours, on est plutôt dans une idée de protection de l'animal, que de condamnation.