Pour sa 18ème édition, le salon du livre de Trouville accueille jusqu'à dimanche une cinquantaine d'auteurs prestigieux, comme Régis Debray, Eric Fottorino, Laurent Binet, Philippe Vilain. Rencontre avec Jérôme Garcin qui a écrit en Normandie "Le dernier hiver du Cid" sur Gérard Philipe.
Il y avait du monde et du beau monde, dans le salon feutré du casino de Trouville. Dans la bonne humeur, on se bousculait presque pour rencontrer les auteurs. Les amoureux des lettres ne savaient d'ailleurs plus où donner de la tête.
A ma gauche Jérôme Garcin écoutait les souvenirs d'une admiratrice de Gérard Philipe, à ma droite, on parlait vélo avec Eric Fottorino, juste en face, l'incontournable Régis Debray évoquait "le génie français". A ses côtés, Philippe Vilain, auteur du très remarqué "Pas son Genre"* racontait ses souvenirs d'enfance, en Normandie.
* adapté au cinéma par Lucas Belvaux
60 ans après sa mort, Gérard Philipe fascine encore
Nous nous sommes attardés à la table de Jérôme Garcin, où l'émotion se lisait sur les visages de l'auteur et d'une lectrice, à l'évocation de Gérard Philipe. Dans son dernier livre, "Le dernier hiver du Cid", le journaliste et écrivain raconte les derniers mois de la courte vie de cet immense comédien, disparu à l'âge de 36 ans.
Hélène, une trouvillaise d'adoption, lui confie l'avoir vu plusieurs fois sur scène : "Moi qui n'ai pas toujours de la mémoire, je me rappelle très bien du jour de sa mort. Je me promenais boulevard St-Michel à Paris. On me dit que Gérard Philipe vient de mourir. Mes jambes se dérobent. On m'accompagne à un café et je me mets à pleurer. Ce fut un choc énorme."
"Il était transcendant. Il a marqué ma jeunesse et j'en éprouve encore une émotion", nous explique Michel "J'ai vu pratiquement tout au TNP*, à l'époque de Jean Vilar. On n'a plus d'acteurs de sa trempe, aujourd'hui."
* Théâtre National Populaire
Jérôme Garcin prend le temps, il écoute, sourit et confie être surpris de cet accueil si chaleureux que lui réserve le public. Certains sont même venus de Tunisie et ont fait un détour par la Normandie pour échanger ne serait-ce quelques minutes avec lui, qui connait très bien l'histoire fulgurante de l'acteur du Cid, de Fanfan la Tulipe, ou pour les plus jeunes, de la voix de Pierre et le Loup ou du Petit Prince.
Dans "Théâtre intime" (2003), il racontait déjà sa rencontre avec Anne, la femme de Gérard Philipe. Marié depuis quarante ans à sa fille, Anne-Marie, il s'est attaché dans ce livre à décrire les derniers instants du comédien, qui rêvait d'incarner encore de multiples personnages. Le matin même de sa mort repose « Sur la table de nuit le volume des Troyennes, un coupe-papier en nacre fiché à la page 123, avec, dans la marge, ce leitmotiv : « Pour moi, dans vingt ans. »
Se savait-il condamné ? Sa femme, Anne, lui a caché son cancer, qui finira pas l'emporter en quelques mois, il y a tout juste 60 ans, le 25 novembre 1959.
"Il n'y a de commémoration des 60 ans de sa disparition, à part ce livre"
Cet engouement autour de cette figure du théâtre, devenu éternel dans le coeur de beaucoup d'admirateurs, contraste avec l'absence de commémorations, que regrette Jérôme Garcin :
"Je venais avec un fond de scepticisme, qui repose sur le fait que le 25 novembre prochain - c'est les 60 ans de disparition de celui qui fut une icône nationale et que à part ce livre, rien n'a été prévu, ni à Avignon l'été dernier, ni prochainement en France pour commémorer sa disparition.
Cet oubli est triste et grave. Pour moi, ce n'est pas seulement l'oubli d'un grand comédien mais c'est l'oubli d'une grande figure morale. Alors de voir ces personnes me témoigner presque leur affection, ça me donne le sentiment qu'on a besoin de se souvenir de lui. C'est très émouvant".
Se souvenir des engagements de Gérard Philipe : une figure combative
Dans les allées, Michel, Hélène, tous ces fidèles spectateurs qui l'ont vu sur scène, regrettent que l'esprit qu'il incarnait aux côtés de Jean Vilar ait disparu. "Si on devait prendre un seul exemple, explique Jérôme Garcin, Gérard Philipe à la fin de sa jeune vie est une star internationale.
"L'esprit qu'incarnait Gérard Philipe a disparu"
Il joue en français les tragédies de Tokyo aux Etats-Unis. Cet homme là fait le choix d'entrer au TNP (Théâtre National Populaire) de Jean Vilar. Son nom est placé à la fin, par ordre alphabétique, dans le même caractère que les autres, c'est inimaginable aujourd'hui.
Son cachet de la star qu'il est, est le même que celui des autres comédiens de la troupe de Jean Vilar. Et pour lui, cela aurait été insensé de demander davantage ou d'exiger que son nom soit écrit en plus gros.
Il travaillait ardemment à ce que le syndicat des acteurs qu'il avait crée, travaille à l'égalité de tous les comédiens. Le statut des intermittents du spectacle est né du combat qu'a mené Gérard Philipe.
Est ce que vous imaginez tout cela mis bout à bout sur le visage d'un comédien aujourd'hui ? "
L'image de Gérard Philipe ne s'arrête pas à cette stature d'icône romantique. C'était un militant. Comme Jean Vilar. "C'est un combat inoui qu'on peine à imaginer aujourd'hui.
Leur but n'était pas d'offrir le grand théâtre aux nantis, à ceux qui ont eu la chance d'être élevé dans la culture. C'était de la faire découvrir à ceux qui n'y ont pas eu accès dans leur enfance et leur jeunesse. C'est sublime comme projet.
C'est pour cela que je regrette que ce pays n'ait pas eu le bon sens de commémorer les 60 ans de sa disparition, quand est mort beaucoup plus qu'un comédien. Une figure nationale mais aussi une figure combative."