L'année 2022 s'annonce riche en hommages, sur la côte Fleurie. Alors que Marcel Proust disparaissait le 18 novembre 1922, quelques jours plus tard, naissait le 4 décembre une autre icône qui allait faire vibrer sur scène et au cinéma plusieurs générations.
Gérard Philipe était adulé, on le sait. Il suffit de voir le public l'accueillir en tournée et l'applaudir, une fois le rideau tombé. Chacun garde un souvenir ému. L'admirer sur scène, jouant sous la direction de Jean Vilar, pour les plus chanceux. Le voir au cinéma, dans le Rouge et le Noir (1954), Fanfan la tulipe (1952) Une si jolie petite plage (1949) ou encore l'entendre, enfant, nous raconter Pierre et le Loup de Serge Prokofiev.
Gérard Philipe aurait eu 100 ans, le 4 décembre 2022. Parti trop tôt, à 36 ans, atteint d'un cancer du foie fulgurant, ses derniers mois ont été racontés en 2019, dans un récit intime, intitulé "Le dernier hiver du Cid" . Se savait-il condamné ? Peut-être, peut-être pas. Mais ce que l'on perçoit surtout, c'est cette profonde histoire d'amour entre lui et sa femme, Anne.
Jérôme Garcin tenait la plume. Son épouse, Anne-Marie, fille de Gérard Philipe, prêtait sa voix, pour sa version audio. D'ailleurs, si vous n'en avez jamais fait l'expérience, commencez par cette lecture, très émouvant.
"L'amour en toutes lettres", une lecture inédite aux Franciscaines de Deauville
Tous les deux font vivre l'âme de Gérard Philipe depuis des décennies et on se doutait bien qu'ils ne laisseraient pas passer pareille occasion pour rappeler l'acteur rare et engagé qu'il était. Un texte et leurs voix suffisent. Dimanche, ils feront donc résonner les mots de Gérard Philipe, dans un écrin propice à la confidence, la chapelle des Franciscaines, à Deauville.
Le lieu n'a forcément pas été choisi au hasard. En voisin, Anne-Marie Philipe et Jérôme Garcin, ont été séduits par l'endroit qu'ils connaissent bien. Alors pour célébrer le centième anniversaire de son père, il fallait le faire vivre, lui donner la parole, l'entendre évoquer sa passion, faire comprendre quel homme il était. Fidèle à lui-même. En amour comme en amitié.
Alors, ils ont choisi de reprendre "Correspondance" *. Ces 125 lettres écrites entre Gérard Philipe et son ami Georges Perros, jusqu'en 1959, puis entre ce dernier et Anne Philipe, après la disparition de son mari. Cet échange épistolaire a été révélé au public en 2008 et n'a jamais été lu sur scène.
Leur histoire commence à la Libération, lorsque Gérard Philipe rencontre Georges Perros au Conservatoire. L'un deviendra l'acteur que l'on connaît, l'autre un écrivain, le confident auquel Gérard s'accroche pour rester lui-même et ne pas céder au chant des sirènes que provoque parfois la célébrité.
Sur scène, Gérard a la grâce, mais il ne le sait pas; Georges n’a pas de génie, et il le sait. Le premier, efflanqué, est promis au soleil de la gloire, le second, trapu, à son ombre. L’un s’emballe tandis que l’autre ronge son frein. Leurs chemins auraient dû se séparer, ils se sont au contraire rejoints jusqu’à, parfois, se confondre.
Jérôme GarcinExtrait de la préface de "Correspondance", par Georges Perros, Anne et Gérard Philipe
Anne-Marie Philipe explique qu'ils étaient comme des frères. "Georges Perros avait perdu son frère jumeau. Mon père était comme son double".
Un ami perdu, un mari disparu, la correspondance va néanmoins se poursuivre entre Anne et Georges, qui souffrent tous les deux du manque de l'être aimé.
D'ailleurs, à la fin de la préface de cette Correspondance, Jérôme Garcin qualifie ainsi leurs relations.
C’est le terme d’une correspondance triangulaire qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire du théâtre, du cinéma et de la littérature, qu’il faut savoir lire entre les lignes du cœur, et où l’amitié ressemble si fort à l’amour qu’on ne sait quel nom vraiment lui donner.
La promesse d'une lecture encore à la fois vivante et bouleversante, qui mériterait d'être montrée plus d'une fois. Avec Jacques Gamblin dans le rôle de Georges Perros , qui sait ? Anne-Marie Philipe a l'art de savoir convaincre.
*L'amour en toutes lettres, à la Chapelle des Franciscaines dimanche à 15H30. Deauville. Réservations
*Correspondance, par Georges Perros, Anne et Gérard Philipe, préface de Jérôme Garcin, Finitude, 174 p., 20 euros