A la veille de la trêve hivernale, Jean-Claude et Odile doivent libérer leur maison d'habitation dont ils sont expulsés à Magny-le-Freule près de Mézidon-Canon. Mais la situation confine à l'absurde. Ils restent locataires de terres et de bâtiments agricoles. La cour de la ferme est coupée en deux.
Devant une remise, les amis et la famille s'activent pour vider une brouette, des planches, du grillage, des bidons. "C'est tout ce qu'on a accumulé en neuf ans de travail", soupire Jean-Claude Piaget. Dans la maison d'habitation, une longère à colombages typique de ce coin de pays d'Auge, sa femme vide la cuisine. Les visages sont fermés. Les gestes las.. "On n'a même pas eu le temps de se retourner. On a reçu un courrier le 19 octobre pour nous dire qu'on avait jusqu'à la fin du mois pour partir".
Ce pourrait être une expulsion tristement banale, comme il s'en décide presque chaque jour jusqu'à la trêve hivernale. Mais le cas n'a rien d'habituel, parce qu'il n'est pas ici question de loyers impayés : la maison leur était prêtée. "Si j'avais su, j'aurais demandé un bail. Mais le propriétaire m'a proposé un prêt à usage, me disant que ce serait plus simple pour tout le monde. On avait de bonnes relations. Si j'avais su que quatre ans plus tard, il nous mettrait dehors pour tout vendre..."
Le propriétaire en question habite désormais aux antipodes, à Melbourne, en Australie. Guillaume Dillée a émigré en 2015 avec l'idée de vendre là-bas un peu de la culture du vieux continent, poursuivant ainsi le travail d'une dynastie d'experts et de collectionneurs des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Alors pourquoi expulser ce couple d'une maison qu'il avait de surcroît gracieusement mis à leur disposition ?
Le propriétaire est exilé en Australie...
"Je regrette que la situation en soit arrivée à ce stade", écrit-il dans un courriel. Guillaume Dillée explique avoir proposé un prêt à usage de la maison d'une durée de quatre ans afin d'aider Jean-Claude Piaget à entreprendre une exploitation agricole. "Je lui avance une importante somme d’argent (...) J’étale sa dette sur 4 ans. J’aménage le règlement des fermages en fonction de ses rentrées d’argent afin qu’il conserve sa trésorerie", poursuit-il.
L'affaire tourne au vinaigre au bout de quatre ans. Le propriétaire se plaint d'impayés. Le locataire saisit la justice afin de requalifier le prêt à usage en bail rural. En vain. Après quatre années de brouilles et de procédures, Jean-Claude et Odile n'ont d'autre choix que de quitter les lieux. "J’aurais préféré conserver un dialogue plutôt que d’avoir à me défendre", déplore Guillaume Dillée depuis Melboune.
L'histoire bascule aujourd'hui dans l'absurde. Car les deux parties restent liées. Jean-Claude demeure locataire d'un bâtiment et de terres agricoles. Et d'une portion de la cour de ferme. "Je ne dois pas faire de faux-pas", dit-il dans un sourire amer. "Les poules en face seront SDF. C'est une histoire de fous" ajoute-t-il inquiet : "j'espère qu'ils ne vont pas couper l'électricité, j'en ai besoin pour ma bergerie". Il a refusé une proposition de relogement dans un HLM. "Je ne peux pas m'éloigner en période d'agnelage. Il faut être là quand les brebis mettent bas..." Le couple emménage dans une caravane stationnée du bon côté de la cour, entre la bergerie, et la maison désormais vide.