Handicap. "Votre dossier sera étudié dans un an." Les délais de traitement ahurissants de la MDPH du Calvados

Les agents de la MDPH (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées) du Calvados croulent sous les dossiers. Les requêtes ont augmenté de 15% depuis la pandémie de Covid-19. Les bénéficiaires doivent souvent attendre des mois, voire plus d'un an pour obtenir des réponses. Certains se retrouvent démunis.

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" - Bonjour, je n'ai toujours pas de nouvelle de ma demande de renouvellement RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) déposée en octobre 2022, il y a 7 mois..." 
" - Nous sommes désolés monsieur mais nous traitons actuellement les demandes déposées en janvier 2022. La vôtre devrait être traitée d'ici à 12 mois". 

Cyril est tombé des nues lorsque la conseillère de la MDPH de Falaise lui a annoncé qu'il devrait encore patienter un an avant que la commission ne statue sur sa requête. Alors qu'il lui semblait que l'attente avait déjà été démesurée, le voilà désormais empli d'inquiétude et de colère.

Car tout pendant que le renouvellement de sa RQTH n'est pas validée, il ne bénéficie plus de son statut de travailleur handicapé, ce qui pose aussi un problème à son employeur, qui n'est plus en mesure de justifier l'emploi d'un salarié handicapé. 

Cyril est, qui plus est, agacé au plus haut point par les difficultés rencontrées pour joindre les services de la MDPH du Calvados. "On nous demande de prendre rendez-vous par téléphone pour être reçu en présentiel mais quand on appelle, personne ne répond". 

Sophie a été confrontée à ces difficultés il y a 12 ans, lorsqu'elle a déposé un dossier pour l'aménagement d'une salle de bain pour son fils, hémiplégique.

"Ca a pris près de deux ans. Au final, on n'avait pas attendu leur réponse parce qu'il fallait bien que Loris se lave. On a fait les travaux et exceptionnellement, ils nous ont remboursé ensuite, parce qu'entre temps, ils avaient aussi perdu notre dossier". Aujourd'hui, elle s'apprête à faire une nouvelle demande, pour des WC adaptés, mais réfléchit clairement à entamer les travaux avant de connaître la réponse à son dossier. 

Cela rend les relations conflictuelles alors que ces structures ont été créées pour faciliter la vie des personnes handicapées. Cela va à l'encontre de l'objectif de départ.

Mélanie, maman d'un enfant atteint du syndrome Williams-Beuren

A la MDPH, on comprend cette détresse, même si on estime que les délais énoncés sont exagérés. "En moyenne globale, on est à sept mois pour toutes les demandes. Normalement, les délais légaux sont de quatre mois, mais je crois qu'aucune MDPH ne peut les respecter. C'est un problème bien connu de tout le monde.

Manuela Magnan, directrice de la MDPH du Calvados, fait amende honorable. Elle reconnait aussi que les délais de traitement se sont dégradés ces dernières années, notamment depuis la pandémie de Covid-19. 

En 2019, la Maison des personnes handicapées du Calvados avait reçu 34 704 demandes. En 2022, ce total a grimpé à 39 964. Cette forte augmentation, d'environ 15%, Manuela Magnan y trouve plusieurs explications. 

L'explosion du nombre de demandes coïncide avec la crise sanitaire. Pour certains, le handicap s'est révélé ou dégradé. La MDPH doit traiter toutes les demandes, même celles où l'on sait que le dossier ne passera pas. Il y a aussi une zone blanche, avec des personnes pas tout à fait adaptées au monde du travail, qui pensent que leurs difficultés relèvent du handicap, alors que non.

Manuela Magnan, directrice de la MDPH du Calvados

Selon la directrice de la MDPH du Calvados, le contexte actuel d'inflation est aussi à mettre en cause. Compte tenu des difficultés des personnes à vivre, certaines tentent leur chance pour toucher l'AAH (allocation adulte handicapé), qui permet de percevoir une indemnité équivalente au double du RSA (revenu de solidarité active). 

40 000 dossiers à traiter par an pour 13 agents administratifs

Il en découle une pile de dossiers faramineuse à étudier pour la cinquantaine de collaborateurs de la MDPH, et notamment les commissions instructrices.

Composées d'une équipe pluridisciplinaire de spécialistes du handicap, elles se rassemblent généralement une fois par semaine, et doivent donc traiter le maximum de dossiers possible. Un impératif de productivité stressant qui aboutit parfois à des ratés. 


"On savait que ça allait être compliqué donc on a voulu anticiper". En mars 2021, Mélanie dépose une demande d'AESH (accompagnant d'élève en situation de handicap) pour son garçon atteint d'un syndrome Williams-Beuren qui doit rentrer en CP en septembre.

La demande n'aboutit finalement qu'en... octobre 2022. Entre temps, le dossier est tout d'abord refusé, à la "grande surprise" de la maman, qui avait pourtant des attestations de psychologue scolaire, d'ergothérapeute, de psychomotricienne, et d'orthophoniste.

Après de multiples relances sans réponse pour obtenir des explications, elle finit par agiter la menace d'un recours aux médias. "On a obtenu un rendez-vous dans la journée". On lui explique finalement "qu'aucune explication rationnelle ne peut expliquer le refus et que sa demande apparaît recevable". En janvier 2022, elle se retrouve devant le comité instructeur et comprend que son dossier "n'a pas été vraiment lu" parce qu'on lui répond "ah bah si on avait su ça..." alors que les pièces présentées étaient identiques.

Des renforts à la rentrée, suffisant pour rattraper le retard ?

Son fils obtient finalement son AESH en CE1, mais a éprouvé beaucoup de difficultés en CP, si bien qu'aujourd'hui, compte tenu du retard d'apprentissage, on lui conseille d'intégrer une classe spécialisée ULIS. "S'il avait pu avoir une AESH dès le CP, peut-être qu'on n'en serait pas arrivé là et qu'il pourrait rester intégré au système scolaire normal", se désole Mélanie. Un exemple parmi beaucoup d'autres des conséquences engendrées par la trop grande charge de travail qui pèse sur les salariés de la MDPH du Calvados. 

Face à cet alourdissement du travail quotidien de ses collaborateurs, la structure est démunie. Elle n'a pas pu compter jusqu'à maintenant sur de la main d'oeuvre supplémentaire. "Nous avons 13 agents pour traiter administrativement 40 000 dossiers sur les six antennes du territoire et le site de Caen, et nous sommes une petite cinquantaine à contribuer à l'avancée du dossier. Nous allons recevoir du renfort mais il faut former les agents au préalable. Alors, ils ne seront aptes qu'à la rentrée".

Une brigade temporaire de huit à dix agents, en CDD, arrivera en septembre avec pour objectif d'abaisser la pile de dossier à un niveau convenable. Dans un premier temps cela aura pour effet d'alléger la charge de travail des personnels, et ensuite assouplira peut-être un peu les délais de traitement de demandes. Pour les réduire davantage, la MDPH compte sur l'arrêt de limitation dans le temps de certains dispositifs. Au quatrième trimestre 2022, près de 74% des RQTH ont été délivrées sans limitation de durée. 

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