Un débat de société s'est ouvert avec l'arrivée soudaine de jeunes soudanais l'été dernier. Une partie de la population en appelle à la solidarité. Des élus redoutent l'installation d'une jungle. Les gendarmes ont renforcé les contrôles. Et les migrants rêvent toujours d'Angleterre...
Qui sont-ils ? Combien sont-ils ? D'où viennent-ils ?
Ce qui frappe de prime abord, c'est leur jeunesse. La plupart sont de grands adolescents, endurcis par le voyage et l'exil. Ils ont seize ans, dix-huit ans, peut-être la vingtaine. Des garçons, aucune fille. L'immense majorité est originaire de la corne de l'Afrique : Soudan, Soudan du sud, Érythrée.
Les migrants tentent d'embarquer pour l'Angleterre, reportage de Layla Landry et Eric Aubron
Il n'existe aucun recensement précis de ces migrants. Et les sources varient. Ils seraient, selon les jours et selon les sources, quelques dizaines, peut-être deux-cent ? Leurs conditions de vie ne permettent pas une estimation plus précises : ces jeunes vivent dans des squats, à Caen ; le plus souvent ils préfèrent rester à Ouistreham où ils vivent dehors, cachés dans des bois, à la merci du froid et de l'humidité.
Une admirable chaîne de solidarité, et des élus qui redoutent l'installation d'une jungle
Très vite, le sort de ces jeunes gens échoués aux portes du terminal des ferries a émus une partie de la population. Très vite, des voix se sont élevées pour demander qu'ils soient mis à l'abri. Au jour le jour, des associations, des collectifs organisent des distributions de repas, de boissons chaudes et de couvertures. Quelques habitants ouvrent aussi parfois les portes de leur logement pour proposer un toit et un lit, le temps d'une nuit, ou davantage.
Dès le mois de septembre 2017, un collectif d'aide aux migrants est créé
Mais des riverains sont aussi excédés par cette présence et les élus sont plus qu'embarrassés. Le maire (LR) de Ouistreham refuse que sa ville devienne "un nouveau Calais". Dans une lettre adressée à ses administrés au mois de novembre 2017, il se disait d'abord "touché par le drame humain" tout en revendiquant un "humanisme pragmatique et lucide". La politique menée par la ville vise à ne surtout pas "favoriser la fixation de migrants" afin d'éviter le phénomène de "l'appel d'air"...
Un dispositif de gendarmerie renforcé, mais pas de plan d'urgence pour les migrants
Le préfet du Calvados a défendu l'action des services de l'état lors de ses voeux à la presse au début de ce mois de janvier. Laurent Fiscus ne juge pas nécessaire de mettre sur pied un plan d'urgence afin d'héberger les migrants. "Des places sont disponibles pour les migrants mineurs comme pour les migrants majeur, et ces places ne sont pas occupées, observe le préfet. Donc, il n'y a pas de besoin spécifique à Ouistreham. ce qu'il faut, c'est persuader ces personnes de venir dans les structures pour être hébergées".Migrants : "l'action de l'Etat est exemplaire" selon le Préfet du Calvados
Lors de la présentation de ses voeux à la presse, Laurent Fiscus, le préfet du Calvados a fait le bilan 2017 de la politique d'hébergement d'urgence et de prise en charge des populations migrantes. Il est également revenu sur la question des squats et sur le comportement des forces de l'ordre.
Dans le même temps, le dispositif de sécurité a été singulièrement renforcé à Ouistreham où les gendarmes tentent désormais de contenir les migrants qui courent vers les camions dans l'espoir d'embarquer pour l'Angleterre.
Le rêve d'Angleterre : "c'est l'aventure de leur vie, ils ne feront pas demi-tour"
À tort ou à raison, les jeunes Soudanais qui patientent à Ouistreham voient l'Angleterre comme le but ultime de leur voyage. La Grande-Bretagne a aussi la réputation d'être un pays où il est facile de trouver un petit boulot. Et beaucoup de ces jeunes migrants sont originaires de pays anglophones, ce qui n'est pas un détail.
Pourquoi les migrants continuent de rêver d'Angleterre
Emmanuel Macron a choisi Calais pour son premier déplacement sur l'immigration, ville emblématique de la crise migratoire. Le Président a rencontré ce mardi des élus, des associations, des migrants en plein débat sur le projet de loi destiné à réformer la politique migratoire et le droit d'asile en France.
À la veille de Noël, nous avions rencontré un groupe d'amis venus à Ouistreham proposer à des migrants de venir passer quelques heures au chaud dans leur club de danse. Ces "copains", comme ils se désignent eux-mêmes, leur rendent visite chaque semaine "Eux, ils sont de passage. Ils savent qu'en France, il n'y a rien pour eux. Leur but, c'est de passer, un point c'est tout", souligne Jessye. "Je ne sais pas ce qu'ils espèrent de mieux en Angleterre. Je n'y connais rien. Mais pour eux, c'est super là-bas. Mais ça, je ne sais pas si c'est vrai..." ajoute Thierry. "Que ce soit un rêve, une utopie, pour eux, l'eldorado c'est là-bas. Ils vont refaire leur vie, travailler et vivre, vivre comme nous, tout simplement" insiste Jessye.
C'est porté par cette détermination qu'ils courent derrière les camions, le soir à Ouistreham, en prenant parfois des risques insensés. Ils s'accrochent à leur rêve, à défaut de pouvoir le faire à la remorque des poids-lourd. Devant une telle audace, Thierry ne cache pas une certaine admiration. "C'est l'aventure de leur vie. Ils ne reviendront pas en arrière".