Rejet des eaux usées en mer : la Manche est-elle le pot de chambre de nos voisins britanniques ?

Suite à d'importants orages, quantité d'eaux usées ont été rejetées par les Britanniques dans la Manche. L'eurodéputée normande Stéphanie Yon-Courtin et deux de ses collègues enjoignent la commission européenne à réagir. Au Royaume-Uni, les défenseurs de l'environnement dénoncent l'inaction des pouvoirs publics.

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Des dizaines de plages impropres à la baignade dans le sud de la Grande-Bretagne et ce en pleine période estivale. Si l'affaire a provoqué des remous au Royaume-Uni en plein mois d'août, elle commence à faire quelques vagues de l'autre côté de la Manche. L'eurodéputé normande, Stéphanie Yon-Courtin, et deux de ses collègues (tous trois issus de LREM), Nathalie Loizeau et Pierre Karleskind, le président de la commission de la pêche du Parlement européen, enjoignent la commission européenne à régir. "Nous craignons des conséquences négatives sur la qualité des eaux marines que nous partageons avec ce pays et incidemment sur biodiversité marine mais aussi sur les activités des pêcheurs et des conchyliculteurs", alertent les trois élus français.  

Selon nos confères britanniques de Inews, l'association Surfers against sewage (Les surfers contre les eaux usées) recensait près de 90 plages polluées par le déversement d'eaux usées durant le mois d'août. Au coeur de l'été, de violent orages se sont abattus sur la Grande-Bretagne. Cet épisode a succédé à une importante sécheresse qui a rendu les sols incapables d'absorber ce surplus d'eau. Plusieurs opérateurs de réseau d'eau ont donc procédé à des déversements dans les rivières et la mer. Comme le rappelle la BBC, les eaux usées des toilettes et les eaux de pluie transitent encore par les mêmes tuyaux dans une grande partie du pays.

Déjà un scandale en 2021

Le président de l'association Surfers againts sewage, Hugo Tagholm, dénonce "un vandalisme environnemental industriel" dans les colonnes de nos confères britanniques. "Des années de sous-investissement sont désormais visibles. Il est temps que les énormes bénéfices des compagnies des eaux soient détournés vers une gestion appropriée de l'eau et des eaux usées, et pour la protection des personnes et de la planète." Car le problème est loin d'être une nouveauté au Royaume-Uni. A l'automne 2021, Chris Pearsall avait diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo qui avait fait scandale outre-manche. Le photographe britannique avait filmé, à une quarantaine de kilomètres de Southampton, un tuyau déversant des eaux usées non traitées dans la mer durant 49 heures.

Cette vidéo avait fait d'autant plus scandale qu'au même moment les députés conservateurs s'était opposés à un amendement au projet de loi sur l'environnement porté par la chambre des lords. L'amendement visait à interdire aux compagnies des eaux ce type de rejet dans la nature. Le gouvernement de Boris Johnson avait notamment mis en avant le coût induit par une telle interdiction. "Éliminer les débordements de tempête signifie transformer l'ensemble du système d'égouts victorien en un tout nouveau système d'égouts", un chantier estimé entre 150 et 650 milliards de Livres sterling. "Pour donner une certaine perspective, 150 milliards de livres sterling représentent plus que l'ensemble du budget des écoles, de la police et de la défense réunis."

Ces rejets d'eaux usées dans la nature sont autorisées par la législation européenne dans des "circonstances exceptionnelles", telles que l'épisode rencontré cet été au Royaume-Uni. Mais cette pratique semble avoir perdu de son caractère "exceptionnel" ces dernières années. En juillet 2021, le quotidien The Guardian recensait, dans une enquête, plus de 200 000 déversement d'eaux usées en 2019. Quelques semaines plus tard, l'Agence pour l'environnement britannique reconnaissait l'existence de 400 000 événements similaires pour l'année 2020. Dans un communiqué, elle déclarait que la pollution par les eaux usées pourrait être "dévastatrice pour la santé humaine, la biodiversité locale et notre environnement". A la demande du Parti travailliste, elle a récemment révélé que plus d'1,2 millions de déversements avaient été recensés entre 2016 et 2021.

Un "quatrième drame" pour les pêcheurs ?

Les députés libéraux démocrates ont eux aussi contribué au débat cet été en étudiant minutieusement les données de l'agence britannique pour l'environnement. Selon leurs recherches, un quart des rejets effectués l'an dernier n'ont fait l'objet d'aucune surveillance des compagnies des eaux, en raison d'instruments de mesure inopérants voire absents, comme le rapporte la BBC. "Il y a urgence à aller enquêter et à mettre la pression sur les autorités britanniques pour que ce gouvernement établissent un plan de traitement des eaux usées pour éviter que ce soit déversé massivement dans nos eaux", réclame l'eurodéputé normande Stéphanie Yon-Courtin, "Il faut agir rapidement de façon à ce qu'on arrive pas à une interdiction de pêche en Manche et mer du Nord. Ce serait catastrophique. Nous avons des pêcheurs qui n'ont pas à vivre un quatrième drame après le Brexit, la pandémie de covid et l'augmentation des prix suite à la guerre en Ukraine.

A Cherbourg, Pascal Bailly du Bois, océanographe et directeur du centre de formation Intechmer, tempère quelque peu l'inquiétude de l'eurodéputé. Les côtes normandes devrait être épargnée grâce aux courants marins. "Il faut faire l'analogie entre la Manche et une rivière qui s'écoule de l'ouest vers l'est, de l'Atlantique à la Mer du Nord", explique ce spécialiste des polluants en mer, "Cette rivière va former une sorte de frontière entre les côtes du sud de l'Angleterre et les côtes de la Manche (côté normand). Il y aura un transport vers l'est d'une éventuelle pollution qui va être diluée sur nos côtes." Le secteur de la Mer du Nord devrait être davantage impacté même si, selon Pascal Bailly du Bois, la concentration en polluants devrait être divisée par dix. 

Un plan en sommeil ? 

Si la prise de parole est française, l'inquiétude est partagée au-delà de nos frontières, affirme l'eurodéputée Stéphanie Yon-Courtin. "Il y a aussi nos amis belges, aux Pays-Bas, le Danemark et l'Irlande qui s'inquiètent", indique l'élue normande qui a interpellé avec deux de ses collègues le commissaire européen à l'environnement. "Ce n'est pas parce qu'il y a eu Brexit, que le gouvernement britannique doit s'exonérer de ses obligations : la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer et l'Accord de commerce et de coopération (conclu avec l'UE lors du brexit)."  

"Nous sommes le premier gouvernement à prendre des mesures pour lutter contre les débordements d'eaux usées", a récemment déclaré Steve Double, le ministre britannique en charge de l'eau (Source : BBC). Le gouvernement conservateur a indiqué vouloir réduire de 70% les rejets d'eaux usées dans les eaux de baignade d'ici 2035. Au printemps dernier, le ministère de l'environnement a lancé une consultation publique sur un "plan gouvernemental des rejets de débordements d'orages". Ce plan devait initialement être présenté le 1er septembre prochain.

Mais Boris Johnson, poussé vers la sortie par son parti, se contente désormais de gérer les affaires courantes. Le Premier ministre en sursis d'ailleurs été étrillé par son propre père, Stanley Johnson, ancien député européen et l'un des rédacteurs de la législation européenne sur la qualité des eaux. Quant à la potentielle future locataire du 10 Downing Street, Liz Truss, donnée favorite par les sondages, le quotidien The Guardian a révélé en début de semaine qu'elle avait considérablement réduit le budget alloué à la lutte contre la pollution de l'eau lorsqu'elle était secrétaire d'état à l'environnement entre 2014 et 2016. Le plan semble toutefois toujours d'actualité, assurent les autorités du Royaume-Uni. "Le plan du gouvernement exigera des compagnies des eaux qu'elles réalisent les plus gros investissements jamais consentis en matière d'infrastructures environnementales - 56 milliards de livres sterling sur 25 ans - dans le cadre d'un programme à long terme visant à lutter contre les rejets d'eaux usées d'ici 2050", assure l'ambassade de Grande-Bretagne en France dans un communiqué diffusé ce vendredi en fin d'après-midi.

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