Témoignages. Désert médical : "On va quand même pas appeler le Samu pour renouveler une ordonnance…"

Publié le Écrit par Pierre-Marie Puaud
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Comment se soigner quand le généraliste vient à manquer, quand la médecine de base n'est même plus accessible ? En Normandie, des milliers d'habitants n'ont plus de médecin traitant. Comment vivent-ils cette situation de pénurie ?

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La pénurie de médecin est telle que les élus des petites communes se retrouvent tout à la fois en première ligne et désarmés. À Bourgvallées (Manche), la commune est prête à casser sa tirelire pour permettre aux habitants de se soigner. Le cabinet médical est vide. L'idée serait d'y salarier deux médecins, payés 5.000 euros net mensuels pour 35 heures de travail hebdomadaire. "On nous a dit que ça pourrait intéresser de jeunes médecins qui ont des enfants", justifie la mairie. Malheureusement, les candidatures se font toujours attendre.

Pourtant, le secteur est dynamique. Le pays de Saint-Lô frise le plein-emploi. L'immobilier se porte bien. L'accès aux soins, c'est le bât qui blesse. À la pharmacie, située de l'autre côté de la route, une cliente revient d'une consultation. "Moi je vais à Condé-sur-Vire. Il faut trois semaines pour avoir un rendez-vous. Si c'est urgent, il faut discuter avec la secrétaire". Le pharmacien précise : "vous vous rendez compte, dans notre bassin de 9000 habitants, nous n'avons que deux médecins !"

À Periers, la mairie a mandaté un cabinet de recrutement pour tenter d'attirer un nouveau médecin espagnol. Un généraliste va bientôt prendre sa retraite. Il y a urgence, mais la prestation coûte 20 000 euros. L'oiseau rare n'est pas encore arrivé. "Cela devient difficile. L'Espagne a un peu serré la vis et les médecins n'ont plus les mêmes avantages qu'avant", explique le maire Gabriel Daube.

En 2018, deux médecins andalous ont posé leurs valises à Periers, attirés par le modèle libéral. "En Espagne, nous sommes fonctionnaires, moins libres". Ils n'ont pas tardé à se constituer une patientèle pléthorique et aujourd'hui, comme beaucoup de leurs confrères, ils ne peuvent plus accepter de nouveaux patients.

 

Ce n'est pas le travail qui manque dans ce gros bourg commerçant. À l'Ehpad où les deux médecins andalous visitent leurs patients, la désertification médicale inquiète. "Ça fait peur qu'il n'y ait plus trop de médecins, concède Léna, l'une des infirmières de l'établissement. C'est important qu'ils puissent venir ici. On ne peut pas faire hospitaliser tout le monde. Appeler le Samu pour des renouvellements de traitement, ce n'est quand même pas la solution".

"On appelle dans tous les cabinets médicaux. Ils nous disent qu'ils ne prennent plus de patients"

Un camping-car stationne devant la maison médicale de Gacé (Orne). Le médicobus est un cabinet mobile qui s'adresse en priorité aux habitants de l'Orne dépourvus de médecin traitant. Ils se comptent par milliers... "Nous habitons à Gacé depuis peu de temps. On a téléphoné partout, mais ils nous disent qu'ils ne prennent pas de nouveaux patients", explique un couple qui patiente sur le parking dans une voiture. 

La secrétaire médicale reçoit dans un bureau de la maison médicale. "Partout où on va, les gens nous disent qu'ils ne savent comment ils feraient si nous n'étions pas là." Un patient a fait le chemin depuis Livarot dans le Calvados. Une demi-heure de route. "C'est ça où je vais à Caen. Je n'habite pas toute l'année ici. J'ai découvert le médicobus par hasard, c'est bien pratique".

Une douzaine de médecins se relaient à bord du camping-car. Des jeunes retraités et des médecins en activité qui donnent de leur temps comme on entre en mission. Le docteur Lemoine exerce à Mortagne au Perche. Le mercredi, il embarque à bord du Médicobus. "Ce matin par exemple, sur les douze patients qui ont rendez-vous, dix n'ont pas de médecin. Certains viennent avec des dossiers lourds. Les gens ne se soignent pas comme il faudrait. La situation est très préoccupante."

Aujourd'hui, le ministère de la Santé aimerait déployer des Médicobus un peu partout en France, sur le modèle de celui qui parcourt l'Orne. Ce qui fait sourire amèrement le docteur Lamé, un jeune retraité qui assure la permanence à Sainte-Gauburge. "Quand j'ai commencé, on nous disait qu'il y avait trop de médecins. Et puis il y a eu la loi Juppé qui a incité les médecins à prendre leur retraite. Une catastrophe... Puis on n'a pas formé assez de médecins, et que ce soit la droite ou la gauche, on n'a pas anticipé".

Un couple de retraité n'a trouvé que le Medicobus pour se soigner. Denise peine à contenir sa colère.

Maintenant, on ne peut plus aller directement aux urgences. Il faut appeler le 15. Quand on appelle le 15, on nous dit d'aller voir notre médecin. Il vaut mieux ne pas être malade. C'est grave. Il faut nous envoyer des médecins. On ne pourra pas se soigner nous-même.

Denise

Habitante de Sainte-Gauburge

La télémédecine, faute de mieux : "c'est ça ou aller à Caen et faire une heure de route..."

La maison médicale de Saint-Clair sur l'Elle sent encore le neuf. Elle a coûté plus de 900 000 euros d'argent public. Un kiné et des infirmières y sont logés, mais les cabinets des généralistes sont désespérément vides. La pharmacie du bourg a donc investi dans une borne de téléconsultation. À défaut de médecin sur place, il est possible d'en voir un à travers un écran. "C'est un service qu'on rend, mais ce n'est clairement pas la médecine qu'on souhaite, explique Maxime Patrix, le pharmacien. C'est un progrès technique en même temps qu'une régression sociale".

Dans la commune voisine de Cerisy-la-Forêt, le cabinet médical est tout aussi neuf et tout aussi vide. Le couple de médecins qui a pris sa retraite l'année dernière n'a pas été remplacé. La pharmacie a aussi investi dans une borne de téléconsultation. Un client maugréé : "Dans les grandes villes, ils s'en foutent. L'électronique c'est tout ce qu'ils voient. Mais c'est pas l'avenir ça. Moi je préfère avoir quelqu’un en face".

Une jeune femme pousse la porte. Masque sur le nez. Mal à la gorge. Mal aux oreilles. Le pharmacien lui propose la téléconsultation. Après cinq minutes d'attente, l'écran s'allume. Un médecin apparaît qui opère depuis une plateforme située dans une grande ville. Le pharmacien l'aide à manipuler les objets connectés qui permettent l'auscultation de la gorge et des oreilles. "Quand les gens ont vraiment besoin d'un médecin rapidement, ils sont contents de trouver la machine", reconnaît Manuel Humbert, le pharmacien. 

Le compagnon de la jeune femme abonde : "On a téléphoné partout. Pas de rendez-vous possible. Ça dépanne. Sinon, à chaque fois qu'on a besoin d'un médecin en urgence, il faut aller jusqu'à à Caen à presque une heure de route. C'est la seule solution pour être sûr de voir un médecin";

"Il faut des décisions politiques pour nous amener des médecins"

"On est malheureusement dans un désert médical. Vous voyez la dame qui est avec moi en ce moment ? Elle vient de Sourdeval, à quatorze kilomètres d'ici où il n'y a plus de médecin".

Ses petites fiches cartonnées un peu jaunies ne le quittent pas. Elles s'empilent sur les étagères de son cabinet. Le docteur Martin exerce à Vire (Calvados) depuis plus de trente ans. Les vaccins, les prescriptions, tout est soigneusement consigné à la main. Il soigne près de 4.000 patients. C'est sans doute trop, mais comment faire autrement ?

Son téléphone est pris d'assaut. Quand ce ne sont pas des patients du cabinet qui appellent pour prendre rendez-vous, ce sont des habitants qui sont à la recherche d'un médecin traitant. "Pour l'instant, on ne peut pas prendre de nouveaux patients. Nous recherchons des solutions".

À 67 ans, le docteur Martin aurait mérité un peu de répit, lui qui n'a jamais compté ses heures : il est également conseiller municipal et médecin du club de foot. L'heure de la retraite a sonné, mais il a pris une décision radicale : "je suis officiellement à la retraite depuis le 1ᵉʳ octobre 2023, mais je suis un retraité actif". Le docteur Martin continue d'exercer, au cabinet et à domicile. "J'essaye de donner un coup de main humblement, mais il nous faut des décisions politiques pour nous amener des médecins !"

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