Jazz sous les pommiers est aujourd'hui le troisième festival du genre en France si l'on s'en tient au nombre d'entrées. Au fil des ans, ce carrefour de toutes les musiques a conquis un public large et fidèle. Pour beaucoup, le festival est aussi un moment de rassemblement qui ponctue l'année.
Et dire que cette musique est souvent jugée sérieuse et élitiste, réservée à des connaisseurs... Quelques instants passés dans les files d'attente entre monsieur et madame Tout-le-monde suffisent à battre en brèche cette idée reçue. Des enfants, des familles, des jeunes, des retraités : tous les publics se croisent et se mêlent à Jazz sous les pommiers. Rencontres.
"Moi, je ne suis pas très jazz, mais..."
Certes, c'est un festival de jazz. Mais le directeur du festival, Denis Le Bas, a très tôt souhaité ouvrir la programmation "aux musiques cousines", le blues américain, la salsa, la rumba, les musiques africaines, qui ont toutes en commun de laisser une large place à l'improvisation. "On est entré par le biais des musiques du monde" reconnaît Jean-Claude, un habitant de Courcy près de Coutances qui vient chaque année avec sa femme Blandine et avec Elizabeth et Jean-Noël, un couple d'amis Granvillais. "C'est d'ailleurs l'intérêt. Pas besoin d'être un connaisseur pour entrer dans le festival. Chacun peut y trouver sont compte."
"Le jazz pur, a priori, ça m'ennuie" tranche Irène, une habitante de Coutances. "Quand à la sortie de certains concerts, j'entends dire : il y avait de belles phrases... Moi, je n'ai pas les connaissances pour saisir tout ça. Mais je m'aperçois que plus je viens, plus je vois de groupes, plus j'entre dans le jazz. Mon oreille évolue. Maintenant, quand j'entends un morceau, je me surprends à reconnaître des instruments".
"Cette année, je vais voir... quinze concerts !"
Si les concerts programmés à minuit et demi au Magic Mirror attirent un public plutôt jeune, le théâtre et la salle Marcel Hélie voient passer des spectateurs venus de tous horizons : des retraités, des jeunes couples, des bandes d'amis qui s'offrent une sortie. Les spectacles de rue (gratuits), comme le dimanche en fanfares et ses concerts organisés en plein air en différents lieux de la ville permettent aussi à des familles de profiter de la fête : "Les fanfares, c'est ouvert. On peut ressortir facilement et aller voir un peu plus loin" apprécient François et Fabienne, venus de Valognes avec leurs deux jeunes enfants. Ils avaient coché cette date et acheté leurs billet, sans d'ailleurs savoir qui allait se produire "J'ai regardé le programme le matin même pour connaître les horaires précis," explique Fabienne.
C'est un ami qui s'occupe d'acheter les billets. En général, on regarde le programme et ce qui est écrit, et on se laisse tenter. Et tous les ans, on a de bonnes surprises.
La force de Jazz sous les pommiers, c'est d'avoir su gagner la confiance de son public. Beaucoup de spectateurs achètent les yeux fermés. "Nous venons tous les ans de l'Orne" chuchote une spectatrice dans la pénombre de la salle Marcel Hélie juste avant l'entrée en scène de Jean-Luc Ponty. "C'est ma place ici. Je me mets toujours au premier rang pour voir les musiciens, leurs expressions. On vient à plusieurs. C'est un ami qui s'occupe d'acheter les billets. En général, on regarde le programme et ce qui est écrit, et on se laisse tenter. Et tous les ans, on a de bonnes surprises. D'ailleurs, au début, mon mari n'était pas trop intéressé. Maintenant, c'est lui qui est le plus motivé !". Chut, le concert commence...
Pour Irène, le festival commence dès le mois d'avril avec la soirée de présentation au théâtre. Elle repère déjà les premiers noms. Puis une fois à la maison, elle écoute le disque distribué ce soir-là aux spectateurs. Il donne une idée de ce que proposent les artistes qui sont à l'affiche. "Cette année, c'est mon record. Je vais voir quinze concerts. J'ai pris une journée de congé le vendredi pour être là tout le week-end. Il y les stars, mais il y aussi des soirées à six ou huit euros. Je me dis pourquoi pas. Parfois, c'est là qu'on fait les plus belles découvertes."
Les Coutançais se retrouvent "à Jazz"
"Moi je dis à Irène : tu choisis, j'aime tout, je t'accompagne" ajoute Thérèse, pas trop exigeante lorsqu'il s'agit de la musique. Elle y trouve toujours un peu de dépaysement : "Moi, à la maison, j'écoute la radio, et ça commence à être rengaine. Au moins, ici, ça change." À 75 ans, elle profite d'abord de ce festival "pour voir du monde. Ça fait sortir."
"C'est un peu comme le carnaval de Granville, ça marque un moment dans l'année. Ça réunit les familles. Maintenant, il y a noël et il y a jazz."
Quand les concerts se terminent, le "village" fait le plein. C'est le coeur battant du festival. Il palpite au pied de la cathédrale, entre le théâtre et la salle Marcel Hélie. La soirée s'y prolonge autour d'une assiette de bulots, une douzaine d'huîtres, ou une brochette de canard. Le verre de cidre du pays nuit rarement à la conversation. On passe d'une table à l'autre, on se croise, on tombe sur un copain perdu de vue, un ancien collègue, une camarade de classe étrangement oubliée.
Les Coutançais ont même une expression pour parler de ces soirées en pays de connaissance : ils vont "à jazz". Certains se retrouvent ici d'une année sur l'autre. "Nos enfants sont nés dans cette ambiance. Maintenant, mon fils est à Lyon. Tous les ans, il pose des congés pour être là. Il a même converti des amis lyonnais et grenoblois. Et maintenant, on fait famille d'acueil", sourit Blandine. "C'est un peu comme le carnaval de Granville, ça marque un moment dans l'année", observe Jean-Noël. Blandine conclue : "Ça réunit les familles. Maintenant, il y a noël et il y a jazz."