RENCONTRE. Alors que les Français ont été vus nombreux à profiter du soleil le week-end dernier, le philosophe et professeur à l'université de Rouen Emmanuel Faye alerte sur la portée du discours sur le déconfinement.
Lorsque l'on vit une situation d'enfermement comme celle que nous traversons, est-il bien raisonnable de parler d'ores et déjà du jour d'après ?
Le discours qui est tenu actuellement sur le déconfinement n'est pas le plus approprié car nous ne sommes pas encore sortis de la pandémie. On observe que la situation à l'égard d'un prochain déconfinement varie selon les pays. L'Autriche et le Danemark sont sur le point d'amorcer ce processus. Mais il semble qu'en France, nous n'ayons pas encore réunis tous les moyens en tests et en masques pour faire de même. Il faut donc garder en tête l'impératif de prudence, car on a vu que très vite, dès que le soleil revient, les gens reprennent leur liberté physique.
Comment expliquer un tel afflux de personnes dans les rues le week-end dernier en dépit des consignes de confinement ?
Beaucoup, surtout chez les jeunes, ne se sentent pas menacés par le virus et ont besoin de retrouver une atmosphère de convivialité. Il est important de maintenir le lien social pour ne pas tomber dans l'angoisse de la solitude. J'ai une pensée pour les étudiants qui se retrouvent parfois confinés dans des petites chambres, ce n'est pas facile pour eux. C'est pourquoi nous faisons tout pour maintenir le lien pédagogique avec nos étudiants. La question qui se pose au philosophe est de trouver l'équilibre difficile entre l'impératif de santé, l'équilibre psychologique, et le respect des libertés publiques. Il faut faire attention à ne pas créer un précédent sur lequel il serait difficile de revenir.
Dans une société où tout va trop vite ne sommes-nous pas en train de retrouver l'état de nature ?
Effectivement, nous sommes à l'inverse du "tout va trop vite", dans une sorte de retour à une vie plus réfléchie où l'on prend le temps de faire les choses. Mais ce n'est pas qu'un retour aux sources car si on a la chance de rester chez nous, c'est parce que d'autres sont sur le front : les soignants, le personnel des supermarchés, les postiers, le personnel dans les EHPAD ; j'habite justement en face d'un centre pour personnes âgées. Habituellement, comme philosophe, j'apprécie l'introspection et le retour sur soi. Mais dans cette période, je n'ai pas trop le coeur à philosopher. Je pense surtout à m'informer, à éprouver les solidarités humaines et à réfléchir à ce que nous aurons à construire après la pandémie.